Collaborateur de la revue Éléments et du site Métamag, auteur d’une quinzaine d’ouvrages, Pierre Le Vigan nous propose dans son dernier livre une Chronique des temps modernes, une promenade intellectuelle et, mieux encore, sensitive, de la modernité, sous la forme de notes souvent brèves, rarement de quelques pages ; une promenade critique qui touche à tous les domaines de la vie, de l’éthique et à tous les aspects de notre civilisation déclinante.
C’est un livre qui se picore mais qui invite aussi le lecteur à prendre le temps de se livrer à de profondes méditations. C’est que l’immense érudition de Pierre Le Vigan est tout sauf une somme stérile de savoirs mais se déploie au service d’un regard, d’une vue du monde, sans complaisance sur notre monde occidental, l’individualisme ou la critique du mythe du Progrès (mais pas des progrès).
Au fil des pages nous allons à la rencontre de Montherlant, Céline, Houellebecq, Richard Millet, Taguieff, Régis Debray et de tant d’autres : pas seulement de contemporains, mais aussi de Nietzsche ou de Jomini (penseur militaire du XIXe siècle), et sont également conviées des considérations « inactuelles », au sens d’éternelles, venues d’Horace ou de Sénèque.
Dans l’éclectisme de ses notes, P. Le Vigan traite d’innombrables sujets. Cela va du tango à la notion du temps lié à la dépression dans notre société, la ville et son urbanisme, la sexualité, le téléphone portable, la géopolitique, l’Irak, la dictature du marché… et, dans ce foisonnement de thèmes, toujours un œil critique, parfois une agréable légèreté mais souvent beaucoup de profondeur.
Laissons-lui la parole. Il sépare « deux façons de penser et d’écrire : l’une consiste à chercher à affirmer à toute force des vérités (qui se veulent) nouvelles ; l’autre consiste à désobscurcir, à désopacifier, à clarifier une question », et de poursuivre : « …l’autre méthode est ce que je n’hésite pas à appeler de la bonne vulgarisation. C’est un pari sur l’intelligence de tout public un tant soit peu cultivé et honnête ; je crois qu’il faut faire ce pari », un pari résolument gagné dans sa Chronique des temps modernes. Il poursuit aussi :
« J’écarte la troisième voie qui est, elle, de l’érudition sans pensée, du maniérisme stérile, de la posture qui cache mal l’imposture. C’est la voie Derrida… »
Loin de ce maniérisme, Pierre Le Vigan pratique la parrhésia «…un dire ouvert, dans lequel le souci de comprendre le point de vue de l’autre passe par le souci d’honnêteté vis-à-vis de soi ». Que de pépites de la pensée cette chronique met-elle en valeur, que de citations remarquables tirées d’une foule d’auteurs ! Il est vrai que pour Le Vigan « citer c’est rendre hommage à ce qui a été déjà pensé. Ce n’est pas se dissimuler derrière ses citations, c’est prendre place dans un cortège. »
Il est tant de passages de son livre que nous aimerions évoquer que l’on y renonce. Nous ferons nôtre le beau commentaire de Michel Marmin : « Pierre Le Vigan est un penseur sensuel. La profondeur de ses vues tient d’abord au fait que ce sont des vues, c’est-à-dire qu’il n’avance rien qu’il n’ait personnellement senti, éprouvé, expérimenté. »
Se lit avec délectation.
Alain-Christian Drouhin
16/02/2014
Pierre Le Vigan, Chronique des temps modernes, Éditions La Barque d’or, 20/01/2014, 235 pages.