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Christchurch : pataphysique de la société du crime

Christchurch : pataphysique de la société du crime

par | 29 mars 2019 | Exclusivité Polémia, Société

Christchurch : pataphysique de la société du crime

Par Jure Georges Vujic, écrivain franco-croate, politologue ♦ L’attentat de Christchurch n’en a pas fini de faire parler de lui. La caste politico-médiatique a immédiatement et honteusement instrumentalisé ce drame. Dans le texte ci-dessous, Jure Georges Vujic tente, lui, de comprendre les causes profondes de ce crime.


Le crime expiatoire idéal

Le dernier massacre de Christchurch en Nouvelle Zélande peut être interprété sous divers angles : individuel/psychologique, idéologique et politique, ou même sociologique. Ce crime odieux et unanimement condamnable, commis au non d’un narratif néo-Brevikien, suprémaciste et pseudochevaleresque, fait pourtant écho – parfois paradoxalement – au narratif islamo-eschatologique djihadiste, les deux versants d’une même maladie socialement déstructurante et schizophrène que l’on nomme l’occidentisme.

Bien sûr, ce crime commis sur le sol zélandais – l’hémisphère extrême ouest de l’Occident multiculturel et anglo-saxon – constitue le crime « idéal », expiatoire, celui d’un blanc occidental, raciste, classé à l’ultra-droite, et contre des musulmans.
Un crime sublimé par la presse dominante, ayant complètement occulté les massacres commis contre des chrétiens lors de ces derniers jours, tous aussi terribles, alors que l’attentat d’Utrecht a été traité en second plan. En Égypte, des islamistes ont massacré, en avril 2017, 45 chrétiens dans deux églises coptes, alors que nombreux sont les attaques fréquentes contre des églises en Égypte, en Syrie et en Irak, par des extrémistes islamiques.

Bien sûr, l’opportunité est trop grande pour une fois de plus culpabiliser la civilisation occidentale pour son atavisme raciste et néocolonial, tout en appelant à un front anti-raciste global, pour bannir de la sphère publique les livres jugés dangereux pour le système tels que ceux de Renaud Camus, ayant inspiré le tueur de Christchurch.

Du « moi » au mal

Et pourtant, ce dernier massacre rend compte aussi, au delà de la seule dimension pathétique, de l’éclatante confirmation de l’affrontement dissymétrique persistant entre le Bien Occidental – multiculturel, libéral et marchand – et des singularités radicales souterraines… Entre l’Empire et le terrorisme au divers visages… Entre l’Occident du marché unique universel et une multitude du refus pathogènes de celui-ci, antagonistes ou contradictoire.
D’autre part, en raison de l’emprise de la culture narcissique et individualiste dominante qui génère l’impératif de l’exhibition, de la mise en scène du “Moi”, de la celebrity éphémère sur les réseaux sociaux, la distinction manichéenne entre le bien et le mal disparaît. Et le mal, banalisé, se partage, devenant alors un simulacre de bien collectif, alors que la quotidienneté et la familiarité du crime permanent permet cette banalisation du mal par la distanciation progressive des affects, la banalisation du mal qui selon Hanah Arendt « s’inscrit toujours dans le vide la pensée ».

Barbarie solitaire

Si l’on se replace dans une registre Baudrillardien, ce massacre retransmis en temps réel, en tant que phénomène extrême « youtoubisé » et mis en scène par le tueur lui sous la forme d’un jeu vidéo, pourrait très bien correspondre à ce « crime parfait » évoqué par Baudrillard. Plus hyper-réel que le réel, « plus virtuel que la réalité virtuelle». Un crime qui, en dépit des nombreuses victimes innocentes elles réelles, demeure banalisé, en tant que réalité expurgée de sens.
Dans une société hyper-individualiste, atomisée, où tous les référents traditionnels structurants ont disparus, où les criminels, la déviance, les parias sont adulés et présentés quotidiennement au cinéma et à la TV comme des modèles glamourisés d’ anti-héros… il ne faut pas s’étonner du manque d’empathie des auteurs de ces crimes – car cette nouvelle forme de “barbarie solitaire” relève rarement de la névrose ou la psychopathologie. Pourtant elle résulte de cette fragilité narcissique et des carences dans le contact avec soi-même, et avec l’altérité.

En effet, c’est bien le réel d’un occidentisme matérialiste, hyper-individualiste et marchand qui crée les conditions favorables à la violence structurelle et aux processus de transformation dont les symptômes anxiogènes (qui, paradoxalement, cohabitent avec l’hyper-ludisme et le festif, le crime, le meurtre étant vécus comme un jeu virtuel), sont visibles dans l’anomie sociale générale, le narcissisme pathologique et la perte de sens, les malaise sociaux qui ne seront pas soignées par les mesures prophylactiques.
C’est bien aux causes qu’il convient de s’attaquer, à cette société du crime global, crime à la fois ontologique, culturel et anthropologique, une réalité absorbante qui dilue et nivelle toutes les différences, les antagonismes, en les confondant dans la même promotion inconditionnelle. L’Occident est à l’image d’un réel désincarné, un principe d’équivalence ou tout se vaut, une réduction au même qui est au cœur de cette pataphysique de la société du crime permanent.

Jure Georges Vujic
29/03/2019

Source : Correspondance Polémia

Crédit photo : Domaine public

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