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La Chine, menace pour l’Occident ?

La Chine, menace pour l’Occident ?

par | 2 avril 2019 | Europe, Géopolitique

La Chine, menace pour l’Occident ?

Par Michel Leblay, patron d’émission sur Radio Courtoisie ♦ Nul ne peut raisonnablement anticiper le jugement que portera, avec le recul du temps, l’historien sur les mutations subies dans les dernières décennies du XXe siècle et les premières du siècle suivant par cet espace de civilisation qu’est aujourd’hui l’Occident. S’il n’a pas connu la guerre sur son sol depuis une aussi longue période, fait exceptionnel, en revanche, intérieurement ce qui marquera probablement cet historien c’est une révolution des mœurs et toutes ses conséquences et, après un moment d’une croissance économique, jusque là unique, une inexorable dégradation de la situation. A l’extérieur, étudiant cet Occident dont la domination sur la planète avait été sans égal, l’historien relèvera au moins deux périls dont il connaîtra les effets : la poussée migratoire des peuples du sud à la recherche de la richesse et installant chacun leur culture ; l’ascension géopolitique et géo-économique de pays antérieurement soumis lors de la grande expansion coloniale, devenus compétiteurs avant, peut-être, ce que constatera l’historien, de subordonner. Pour ce dernier trait, le regard se tourne naturellement vers la Chine.


La Chine et quelques éléments d’histoire

Pays multimillénaire qui a connu bien des vicissitudes dans son histoire, assise sur une philosophie, une Sagesse comme l’écrivait Marcel Granet dans son incomparable livre sur la Pensée chinoise, particulièrement riche, la Chine se place maintenant en concurrent direct de l’Amérique pour la prééminence mondiale. Sans revenir sur un long passé, au regard des préoccupations présentes, il convient d’observer que la Chine si elle n’a pas basculé comme les nations européennes dans la révolution industrielle au XIXè siècle, ce qui en fit une proie pour le vieux continent, elle fut néanmoins la première à partir du milieu du XVIIIè siècle a présenté un décollage en termes de croissance du produit intérieur. Ce premier décollage, dans un contexte de paix intérieure et de croissance démographique, était lié à la performance de l’agriculture et au développement d’activités manufacturières de tissage de la soie et du coton.

Mais, n’ayant pas développé les techniques qui furent à la base de cette révolution industrielle, l’économie chinoise stagna à partir des années 1830 au moment où l’Occident entamait son ascension économique.

Après l’effroyable dictature de Mao, durant laquelle, la Chine devint, néanmoins, une puissance nucléaire (premier essai, le 16 octobre 1964) et accéda au rang de membre permanent du Conseil de sécurité, le 25 octobre 1971 (se substituant à la Chine de Taiwan qui représentait les vaincus de la guerre civile achevée en 1949), une révolution pacifique menée par Deng Xiaoping à partir de la fin de l’année 1978 allait ouvrir la voie d’un développement économique sans précédent par sa rapidité tout en maintenant l’emprise absolue du parti communiste. En quelques années, la Chine allait devenir ce que d’aucuns appellent l’atelier du monde. Disposant d’une main-d’œuvre à bas coûts et corvéable à merci, le pays bénéficia de l’abandon à son profit d’une partie de la production manufacturière des nations occidentales vers lesquelles il exporta ses fabrications. Parti d’un niveau de développement faible, ce qui était autrefois l’Empire du milieu atteint rapidement et mécaniquement, par un processus de rattrapage, des taux de croissance du produit intérieur élevé. 

L’Organisation de coopération économique de Shangaï

Parallèlement à cette ascension économique, dans un monde en recomposition politique après la fin de la guerre froide, la Chine imprima ses premières initiatives. Ce fut en 1996 la constitution du Groupe de Shangaï, groupe informelle qui réunissait la Chine, la Russie et quatre républiques d’Asie centrale, anciennement soviétique : le Kirghizistan, le Kazakhstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Il s’agissait, à l’époque, d’une part, de régler les différends frontaliers existant avec la Chine au temps de l’URSS et d’autre part, d’établir des liens de coopération économique entre ces six Etats. Réunis à Shangaï, les 14 et 15 juin 2001, les présidents de ces six Etats ont créé officiellement l’Organisation de coopération économique de Shangaï (OCS). Le 10 juillet 2015, il fut décidé d’admettre dans l’Organisation l’Inde et le Pakistan officiellement intégrés en 2017. De plus quatre Etats ont la qualité de membres observateurs : Afghanistan, l’Iran, la Mongolie et la Biélorussie sans compter des pays admis aux discussions comme la Turquie ou l’Azerbaïdjan. La dernière réunion de l’Organisation a eu lieu les 9 et 10 juin 2018 à Qingdao en Chine (le G7 s’étant tenu les 8 et 9 juin). Il apparaît que le groupe dont les huit associés représentent plus de 41% de la population mondiale et non loin du quart du produit intérieur brut mondial se situe en opposition aux Occidentaux et à ce qu’il considère comme l’hégémonie occidentale.

Les Nouvelles routes de la soie

Fort d’un développement économique orienté vers l’exportation de produits manufacturés qui permet ainsi l’accumulation de capitaux, la Chine, masse de 1,4 milliards d’habitants, selon les estimations, héritière d’une grande histoire, ne pouvait limiter longtemps son ambition à son enrichissement et à l’élévation du niveau de vie de sa population. La création de l’OCS en 2001 témoignait déjà du rôle qu’elle s’accordait par rapport à l’Eurasie dont elle constitue le flanc oriental.

Deng Xiaoping à la fin des années soixante-dix avait donné l’impulsion économique. En 2012 a été promu au premier rang de la scène politique chinoise Xi Jinping, nommé, le 15 novembre 2012, secrétaire général du Parti communiste et président de la Commission militaire centrale. Quelques mois plus tard, il est élu, le 14 mars 2013, Président de la République. Non seulement, il est réélu cinq ans plus tard au terme de son mandat, mais le 11 mars 2018, le Parlement chinois par une modification de la Constitution a aboli la disposition limitant à deux mandats la fonction présidentielle. Xi Jinping apparaît ainsi comme le dirigeant chinois le plus puissant depuis Mao Zédong.

Maître de la Chine, Xi Jinping est maintenant l’un des trois dirigeants majeurs de la planète avec Donald Trump, le président des Etats-Unis, le plus marquant depuis Donald Reagan, et Vladimir Poutine, qui s’inscrit dans la lignée des grands hommes d’Etat. Cependant, le pays que dirige ce dernier n’a pas à ce jour le potentiel de puissance des deux Etats qu’emmènent les deux premières personnalités citées.

Xi Jinping depuis le 7 septembre 2013 et l’annonce qu’il fit à Astana, capitale du Kazakhstan est porteur d’un grand projet La Nouvelle route de la soie ou la Ceinture et la Route, rebaptisée en 2017 Initiative Ceinture et                                                      Route (Belt and Road Initiative – BRI). Héritière, symboliquement, des deux premières routes de la soie, la première au IIè siècle, traversant l’Asie centrale av JC et la seconde, au XVè siècle, arrêtée sur les rives africaines de l’océan Indien, cette nouvelle route à la fois terrestre et maritime, partant de Xi’an comme autrefois, doit relier les trois continents : Asie, Afrique, Europe où elle aboutit. Elle vise à une intégration économique et commerciale de l’immense espace eurasiatique au sein duquel la Chine aurait un rôle prépondérant sinon dominant. Le projet repose sur la construction d’un immense réseau d’infrastructures routières, ferroviaires et portuaires. Pour son financement, la Chine a notamment créé la Banque asiatique d’investissements pour les infrastructures qui comprenait quatre-vingt-six membres en 2018 dont plusieurs pays européens, notamment l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni.

La Chine puissance maritime

En 1433, après la dernière expédition maritime de l’amiral Zheng He, la Chine renonça à la navigation hauturière. Ce n’est qu’au XXIè siècle qu’elle renoua avec une volonté de puissance maritime. Soucieuse d’assurer la sécurité de ses voies d’approvisionnement mais aussi aspirant à une maîtrise de son espace maritime proche, en l’occurrence la mer de Chine et sa partie méridionale et ses nombreuses îles et îlots, la Chine se dote d’une flotte dont l’importance est déjà conséquente. Ainsi de 2014 à 2018 le tonnage des bâtiments lancés par la marine chinoise s’est élevé à 678 000 tonnes dont les navires gardes-côtes, non loin du tonnage total des bâtiments de la Royal Navy : 692 000 tonnes (Source Défense & Sécurité Internationale Hors-série n° 62)

Concernant la Mer de Chine, Pékin s’y étend au détriment des autres pays riverains, en aménageant un ensemble d’îles qui lui permettent d’en avoir le contrôle. Pour cela, la Chine a fait fi du droit international. Ainsi, le 12 juillet 2016, le tribunal arbitral de La Haye a donné tort à la Chine dans le différend qui l’opposait aux Philippines pour le contrôle des îles Spratleys et des hauts fonds de Scarborough. A la suite de ce jugement un porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois a déclaré que la décision du tribunal international était nulle et non avenue et n’avait aucune force contraignante.

La Chine rivale des Etats-Unis et l’enjeu européen

Si les dirigeants chinois visent pour leur pays le premier rang mondial au milieu du siècle, les Etats-Unis entendent bien conserver leur position. Il s’ensuit une compétition géoéconomique et géopolitique au regard de laquelle l’essayiste américain Graham Allison évoque la guerre du Péloponnèse à travers une théorie qu’il appelle le piège de Thucydide.

Déjà l’un des axes de la politique étrangère de Barack Obama reposait sur le basculement de l’affrontement géopolitique de l’Atlantique vers le Pacifique qui devenait l’aire prioritaire. Donald Trump, raillé par une certaine intelligentsia européenne, a compris, en homme d’Etat, toute l’importance du défi pour l’Amérique. S’il prend des mesures considérées comme protectionnistes pour limiter le déficit commercial avec la Chine (323 milliards de dollars en 2018), sa préoccupation première est de maintenir l’avance technologique américaine, au fondement de la puissance. La Chine a décidé un effort d’investissement considérable dans le domaine de l’intelligence artificielle. Par ailleurs, les Etats-Unis ont du retard vis-à-vis de la Chine dans le développement du réseau de télécommunications de cinquième génération dit 5G où l’entreprise Huawei apparaît comme l’un des chefs de file au niveau mondial. Ce qui explique les mesures prises par les Etats-Unis à l’encontre de cette entreprise, en particulier la demande d’extradition Meng Wanzhou, l’une des dirigeantes de Huawei, arrêtée au Canada.

Si la géopolitique anglo-saxonne a été marquée par la crainte d’une domination russe sur l’espace eurasiatique, à l’évidence le danger aujourd’hui est chinois. L’Europe apparaît alors comme un enjeu majeur. Celle-ci paraît bien divisée dans son approche des relations avec la Chine et au niveau de l’Union européenne, idéologiquement désarmée par sa conception de la concurrence et de la société ouverte. Nombre de pays d’Europe, notamment d’Europe centrale et orientale ont bénéficié des investissements chinois même si ceux-ci ont globalement sensiblement diminué en 2018 par rapport à 2017 et 2016 pour des raisons propres à la Chine. Mais il ne faut pas cesser de s’inquiéter. En janvier 2016, le groupe chinois Cosco obtenait la concession du Pirée, l’un des aboutissements de la voie maritime de la Nouvelle route de la soie et débouché commercial vers l’Europe centrale. Plus grave peut-être, quelques jours avant la visite en Europe du président Xi Jinping, il était annoncé que l’Italie allait adhérer à l’Initiative Route et ceinture, en l’occurrence le projet de Nouvelles routes de la soie. Il s’agit du 68è pays à intégrer le projet et le premier parmi les membres du G7.

Comme la Grèce ruinée par son appartenance à la zone euro et ses contraintes inadaptées, l’Italie, elle aussi en difficultés économiques, est certainement à la recherche de ressources pour rétablir sa situation. Face à la menace d’un assujettissement économique à la Chine, les politiques imposées au sein de la zone euro, principalement à l’initiative de l’Allemagne, apparaissent bien à courte vue. L’Allemagne, d’ailleurs, est l’objet d’une attention particulière des Etats-Unis pour ses relations avec la Chine. L’Amérique aurait dernièrement sommer le gouvernement allemand de choisir entre les équipements que propose le chinois Huawei et son maintien au partage d’informations sensibles que les Etats-Unis livrent à leurs alliés (Jean-Marc Sylvestre, Atlantico, le 13 mars 2019).

Quant à la France qui a reçu le président Xi Jinping les 24 et 25 mars derniers, son Président paraît préoccupé par cette expansion chinoise. Mais, pris par son alliance étroite avec l’Allemagne dont les exportations vers la Chine sont une nécessité pour sa balance commerciale, sa marge politique est bien étroite.

Quelles que soient les divergences entre les Etats-Unis et les pays d’Europe et elles sont nombreuses pour certains, notamment la France, l’intérêt du vieux continent n’est pas de privilégier une relation avec la Chine qui conduirait à une domination de cette dernière. Dans un esprit d’indépendance et de préservation de la souveraineté aussi bien dans le domaine de l’économie que de la politique étrangère, le lien avec l’Amérique dans la configuration géopolitique présente demeure nécessaire.

Michel Leblay
02/04/2018

Source : Correspondance Polémia / Rendez-vous politique de la réinformation du 1er avril 2019

Crédit photo : Kremlin.ru [CC BY 4.0]

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