Le Conseil constitutionnel a rendu le 25 janvier sa décision quant à la récente loi votée pour « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration des étrangers », après avoir été saisi de plusieurs recours, à commencer par celui du président de la République.
Pour comprendre ce qui suit, il faut rappeler qu’un véritable coup d’État juridictionnel a été perpétré en 1971, le Conseil s’étant alors arrogé le droit de juger en fonction du préambule de la Constitution, comprenant la déclaration de droits de l’homme de 1789. Préambule jusqu’alors considéré comme un catalogue d’intentions philosophiques et donc hors du droit positif.
Cette jurisprudence contre-révolutionnaire, dite du « bloc de constitutionnalité » solde la fin de l’État républicain, nomocratie mise en forme sous Napoléon et entérinée par les restaurations, le Second empire et les républiques. Elle a pour but de juger le contenu des lois au fond et non plus sur la seule forme.
Le code pénal de 1810, abrogé en 1994, disposait en son article 127 : « Seront coupables de forfaiture, et punis de la dégradation civique : 1°- Les juges … qui se seront immiscés dans l’exercice du pouvoir législatif … en arrêtant ou en suspendant l’exécution d’une ou plusieurs lois … » Tel était l’État républicain, abandonné au profit de son antonyme l’État de droit depuis un demi-siècle et qui ruine le principe de séparation des pouvoirs.
Les politiques auraient pu remettre cette juridiction à sa place par une loi constitutionnelle, mais ils ont abondé inconsidérément et systématiquement dans le sens inverse.
Quid de cette décision du Conseil constitutionnel du 25 janvier, qui censure 32 des 86 articles de la loi immigration sur la forme et 3 autres sur le fond (le communiqué du Conseil n’en évoque que 2) ?
Qui sont les oligarques immigrationnistes du Conseil constitutionnel ?
Articles censurés sur la forme
Ces 32 articles sont, selon le Conseil des « cavaliers législatifs ». On appelle ainsi des dispositions insérées dans un projet ou une proposition de loi, mais étrangères à son objet ou périmètre. En soit, ce n’est guère grave en général, mais ça le devient (ce qui n’est pas le cas ici) quand on est en présence d’une procédure parlementaire spéciale et dérogatoire. Par exemple les lois de finance, aussi convient-il d’éviter de voir dans leurs dispositions spécifiques se glisser des « cavaliers » opportunistes.
Lors des modifications constitutionnelles faites à l’initiative du président Sarkozy, en 2008, l’article 45 de la constitution de 1958 a été complété d’une disposition rendant seul recevable « tout amendement … dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». C’est en prétendant s’appuyer sur ce texte qu’aujourd’hui le Conseil a trouvé dépourvu de lien avec le projet de loi « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » :
– Les articles 3, 4 et 5, sur le regroupement familial des étrangers,
– Les articles 6 et 8 sur les titres de séjours pour motif familial des étrangers,
– Les articles 9 et 10 sur les titres de séjours tenant à l’état de santé des étrangers,
– Les articles 11, 12 et 13 sur les titres de séjour pour motif d’études et les frais d’inscription des étudiants étrangers,
– L’article 15 excluant les étrangers en situation irrégulière du bénéfice de la réduction tarifaire accordée en Île-de-France sous condition de ressources,
– L’article 17 sanctionnant d’une peine d’amende délictuelle le séjour irrégulier des étrangers majeurs,
– l’article 19, soumettant le bénéfice du droit au logement, aides et allocations pour les étrangers une condition de résidence de cinq ans,
– Les articles 24, 25, 26 et 81, réformant certaines règles du Code civil pour l’accès des étrangers à la nationalité française,
– L’article 47 pour partie (§ III et IV), sur l’aide internationale prenant en compte le degré de coopération des États étrangers en matière de lutte contre l’immigration irrégulière,
– L’article 67 modifiant les conditions d’hébergement d’urgence de certains étrangers sans abri ou en détresse.
À l’évidence, l’énoncé de ces mesures censurées, qui visent toutes les étrangers, relèvent bien formellement d’ « un lien, même indirect » avec la question de l’immigration… Comprenne qui pourra !
Articles censurés sur le fond
D’abord, partiellement l’article 1er de la loi en ce qu’il prévoyait un débat annuel au parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration. Effectivement, on ne voit pas en effet comment une loi non constitutionnelle pourrait lier le Parlement pour l’avenir en encadrant sa souveraineté.
En revanche, le Conseil a injustement censuré l’article 38 de la loi autorisant le relevé des empreintes digitales et prises de photographie d’un étranger sans son consentement. Pour ce faire, il vise les articles 2, 4 et 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, vagues à souhait ; l’article 2 légitime même la « résistance à l’oppression » (qui n’a pas été reconnue aux Gilets jaunes), proclamant ainsi la victoire de la force sur le droit ! L’article 9 porte sur la présomption d’innocence, bien sûr hors de propos ici, puisqu’il s’agit de mesures de sûreté et de police.
Le Conseil Constitutionnel, pilier du gouvernement des juges
L’État de droit et l’arbitraire du juge
On nous dit que le Conseil constitutionnel juge en droit. Oui et non…
Oui, dans la mesure où, depuis 1971, il invente le droit de façon arbitraire, à la manière de la Cour suprême des États-Unis. Non dans la mesure où cette institution politique, composée de personnes non élues, désignées par des politiques, recycle volontiers des politiciens sur le retour, tels Laurent Fabius ou Alain Juppé. Juges de rencontre qui n’ont ni forcément les compétences requises ni surtout l’équanimité des sages qu’ils ne sont pas du tout. Un recrutement par tirage au sort, hors du monde politique serait, à tout le moins, préférable.
Depuis 2008 et les réformes constitutionnelles de Sarkozy, le Conseil constitutionnel peut annuler des lois même antérieures, sur des recours individuels au moyen de la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC)… Il s’agit encore et toujours d’un alignement sur les institutions américaines et la doctrine allemande du XIXème siècle dite de l’État de droit (Rechtsstaat). Nous avons connu cela avant la lettre, avec les parlements de l’Ancien Régime, et ça s’est très mal terminé…
« [Étaient] coupables de forfaiture et puni … les juges … qui [s’étaient] immiscés dans l’exercice du pouvoir législatif … » : c’était tout de même mieux, le droit français, et moins arbitraire que l’État de droit ! C’était la belle époque de la séparation des pouvoirs et de notre indépendance.
Éric Delcroix
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