« Pour la France et la Russie, être unies, c’est être fortes, être désunies, c’est être en danger. C’est une condition indispensable du point de vue de la géographie, de l’expérience et du bon sens. » Charles De Gaulle, 1944.
Les événements récents en Ukraine ont fait ressurgir le spectre d’une guerre au cœur de l’Europe orientale et déclenché un sérieux conflit diplomatique entre l’Europe de Bruxelles, la Russie et les Etats-Unis d’Amérique. Ils ont surtout permis de contempler l’impuissance politique et diplomatique de l’Europe de Bruxelles tout autant que sa totale dépendance vis-à-vis de son partenaire américain, au sein de l’OTAN, notamment dans le cadre de ses relations avec la Russie.
Une tribune de Alexandre Latsa, Pierre Gentillet et Thierry Mariani.
L’ordre mondial de 1991 touche à sa fin
Le monde bipolaire de 1945 avait clairement entraîné un partage de l’Europe entre une zone sous domination américaine et une zone sous domination soviétique. Ce monde bipolaire, celui de la Guerre froide, aura duré près d’un demi-siècle avant que ne s’effondre l’ « Empire du mal » et que le monde ne devienne, de fait, unipolaire. Le président américain George Bush père proclamait ainsi la naissance d’un nouvel ordre mondial alors que son armée traversait le désert irakien.
La supériorité économique, politique et militaire américaine (par une capacité de projection inégalée dans l’Histoire) semblait devoir conférer aux Etats-Unis une domination définitive. L’accord sur le modèle politico-économique qui « devait » régenter la planète semblait même acquis et l’idéologie du vainqueur paraissait fonctionnelle pour toujours. On a même rêvé de la fin historique des idéologies. Ainsi, pour certains auteurs, tel Francis Fukuyama, l’Histoire devait s’achever le jour où un consensus universel sur la démocratie mettrait un point final aux conflits idéologiques.
Il n’en fut rien. Le monde de l’hyper-domination unilatérale américaine fut de courte durée sur le plan historique. Si la crise de 2008 a passablement accentué cette mutation profonde, la fin du monde unipolaire et « occidentalo-centré » ne signifie pas pour autant la fin des processus de globalisation, bien au contraire. L’émergence d’une nouvelle architecture multipolaire devrait plutôt renvoyer le monde à un équilibre des puissances et des blocs. Au sein de cette nouvelle architecture multipolaire émergente, le retour de la Russie parmi les grandes puissances modifie fondamentalement la balance des équilibres de l’hémisphère nord, que ce soit en Europe mais aussi dans la région eurasiatique.
Rééquilibrer un tropisme à l’Ouest déjà beaucoup trop poussé
Il s’agit de comprendre que l’Europe sera toujours considérée par les grandes puissances comme un avatar américain totalement dépendant tant qu’elle ne prendra pas plus de distance vis-à-vis des positions américaines. C’est la raison pour laquelle il pourrait apparaître ambitieux pour l’Europe de se tourner davantage vers Moscou.
L’Europe qui a pour mission d’unifier le continent par le biais notamment d’une convergence des politiques nationales peut faire face à des zones d’influence russe comme en Ukraine ou en Biélorussie. Cependant, on ne peut concevoir uniquement l’Europe sous le prisme d’une opposition permanente à Moscou sous peine d’oublier que l’autre partie du continent suit les intérêts de Washington.
Si la Russie se méfie tant de l’Union européenne, c’est parce qu’elle la voit avant tout, depuis la Guerre froide, comme une création américaine, inventée pour unifier l’Europe contre l’ennemi des États-Unis : la Russie.
Si la Russie parvenait à ne plus nous voir comme une émanation de l’OTAN mais comme un partenaire ouvert et indépendant, alors le frère russe nous respecterait et reconnaîtrait l’Europe pour ce qu’elle est vraiment, à savoir un ensemble de nations libres voulant s’unir autour d’un projet commun allant des côtes normandes aux grandes plaines de l’Est et dont les racines ne sont pas outre-Atlantique.
La Russie et la France, partenaires naturels sur le continent
Objectivement, l’Europe ne peut pas imaginer se réaliser sur le continent sans la Russie, que ce soit sur le plan économique, politique ou même diplomatique. Jean-Pierre Chevènement le reconnaît lui-même : « Sans la Russie, il manque quelque chose à l’Europe ».
Au sein de l’Europe, la France, alliée historique de la Russie, a un rôle historique à jouer pour poser les fondements du plus grand projet de ce siècle : la création d’une authentique alliance entre l’Europe et la Russie permettant l’établissement d’un territoire de paix de l’Atlantique au Pacifique.
L’interdépendance entre nos deux pays concerne tant la politique que la diplomatie ou l’Histoire, comme en attestent les positions communes des deux pays durant les dernières guerres civiles européennes.
Enfin, comment ne pas aborder le plan économique puisque l’interdépendance entre la France et la Russie est réelle. Si en 1992 la France était sur le plan des échanges commerciaux le 31e fournisseur de la Russie, elle rayonne désormais à la 5e place avec un volume d’échanges bilatéraux de 28,1 milliards de dollars en 2011 contre 16,6 milliards de dollars en 2007.
Bien évidemment, c’est l’avenir qu’il faut regarder : une impulsion de la part de la France, puissance nucléaire et nation diplomatique, pourrait contribuer à l’émergence réelle de cette architecture continentale économique, diplomatique et politique. Sur le plan militaire, une telle alliance pourrait équilibrer les accords entre l’Europe et les Etats-Unis via l’OTAN à l’ouest, et les accords russo-chinois via l’Organisation de Shanghai à l’est, en recentrant l’Europe de façon authentiquement gaullienne sur son territoire.
Ce mouvement géostratégique serait d’autant plus vital pour la France et la Russie à l’heure où l’hémisphère nord s’apprête à se scinder de nouveau en deux, entre union transatlantique et union eurasiatique.
Le rôle de la droite française ?
Depuis presque 20 ans, la gauche française, qui était si prompte à critiquer les Etats-Unis, s’est entièrement tournée vers les Etats-Unis. Des ténors du parti socialiste – autrefois plus raisonnés dans leur position envers Washington – comme Pierre Mauroy ont vu se succéder de nouveaux venus comme Laurent Fabius ou Pierre Moscovici plus proches des Etats-Unis car méfiants vis-à-vis de la Russie. Cette mutation idéologique et géopolitique de la gauche semble d’ailleurs s’être achevée récemment à propos de l’Ukraine mettant bien mal à l’aise Jean-Pierre Chevènement, représentant spécial de la France pour la Russie et partisan d’un dialogue franc et honnête avec Moscou. Ce dernier incarne aujourd’hui cette gauche minoritaire, dépassée et isolée dans sa propre famille politique.
La droite a donc une chance à saisir. Nicolas Sarkozy a souvent été présenté comme « l’ami américain » en particulier à cause de la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Cette approche est assez réductrice. En effet, à partir de 2008 et de la crise géorgienne, Nicolas Sarkozy n’a pas attendu les Américains lors du conflit en Géorgie à la différence de François Hollande en Ukraine. Il a pris l’initiative d’intervenir directement pour négocier personnellement avec Vladimir Poutine revenant à une real politique traditionnelle et efficace.
Aujourd’hui, en Ukraine, Angela Merkel tient cette place et la France s’efface derrière l’Oncle Sam, que ce soit sur le dossier ukrainien comme le dossier syrien. Face à une gauche dogmatique, nourrie au lait maternel des Droits de l’homme et de l’interventionnisme bien pensant « BHLien », la droite française est aujourd’hui la seule à pouvoir proposer une alternative crédible. Loin des caricatures faisant passer tout rapprochement vers Moscou comme une mise sous satellite de la France par la Russie, il s’agit simplement de rééquilibrer le jeu des forces internationales.
L’Arabie Saoudite, chez qui la France se fournit en hydrocarbure, voit chaque année des homosexuels condamnés à mort quand on reproche à la Russie de prendre des lois restreignant la publicité favorable à l’homosexualité. Il s’agit maintenant de comprendre que les considérations « droit-de-l’hommistes » ne sont que des émanations de rapports de force géopolitique, trop souvent utilisés pour justifier un alignement des politiques occidentales sur les positions américaines.
Parce que la droite incarne le courage, la liberté et le sens de la nation, elle doit saisir cette occasion historique pour relancer un partenariat privilégié avec Moscou.
Face à une gauche fédéraliste parce qu’atlantiste, russo-sceptique parce que droit-de-l’hommiste, il faut une droite tournée vers Moscou parce que souverainiste, russophile parce que gaulliste.
Une droite qui puisse faire connaître à la France un nouveau « printemps gaulliste », afin de contribuer à la réalisation de la grande Europe.
Alexandre Latsa, Pierre Gentillet, Thierry Mariani
Source : atlantico.fr
18/03/2014
Voir aussi
- Russie : un état des lieux avec Alexandre Latsa - 7 mars 2024
- Alexandre Latsa : « Conservateurs dynamiques de tous les pays, unissez-vous ! » - 23 mai 2021
- Macron, président d’une élite mondialisée et des minorités - 9 décembre 2018