André Posokhow, consultant, commissaire aux comptes, essayiste
♦ Le 3 février 2017 a eu lieu au Conseil régional de la nouvelle région Occitanie une scène surréaliste qui montre l’état de délabrement dans lequel se trouvent les institutions républicaines et le débat démocratique : un conseiller régional FN du Lot était en train d’apostropher vigoureusement ses confrères socialistes en leur rappelant que « leurs prédécesseurs [de la SFIO] avaient voté les pleins pouvoirs à Pétain » le 10 juillet 1940 lorsque, comme l’a relaté l’émission I-Médias sur TV libertés, Carole Delga, présidente de la région, l’a interrompu et lui a confisqué le micro pendant qu’un appariteur se glissait dans le dos de l’hérétique pour prévenir toute réaction.
Comme l’a fait J.Y.Le Gallou au cours de l’émission I-Médias, il est salubre de rappeler quelques vérités historiques.
Des ministres socialistes ont participé avec l’assentiment de L.Blum au gouvernement qui a demandé l’armistice de 1940
Le dernier cabinet ministériel de la IIIe République a été, après la démission de Paul Raynaud le 16 juin 1940, celui du maréchal Pétain. Il était clair qu’il avait pour unique objectif de demander un armistice aux Allemands. Ce gouvernement comprenait deux ministres socialistes : A. Rivière aux colonies et A. Février au Travail et à la Santé publique, qui n’entrèrent au gouvernement qu’avec l’accord que leur donna L. Blum. De ce fait celui-ci prit sa part de responsabilité, même indirecte, dans l’armistice du 22 juin 1940, ce sur quoi ses hagiographes se montrent très discrets.
Le 10 juillet 1940 une large majorité des parlementaires socialistes a donné les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, syndic de la faillite de la IIIe République
Le 10 juillet 1940, réunis au Casino de Vichy, les parlementaires des deux chambres réunies donnèrent les pleins pouvoirs constituants au maréchal Pétain par 569 voix sur 666 parlementaires présents. Il y eut 17 abstentions et 80 votes contre. Encore faut-il noter que parmi ceux-ci figuraient les signataires de la motion Badie, dite des 27, qui, s’ils s’opposaient à la disparition du régime républicain, manifestaient leur accord à l’octroi de pleins pouvoirs au Maréchal.
Comme l’a écrit François-Georges Dreyfus « la IIIe République est morte de ses erreurs et de la défaite, mais au dernier moment la mort a été accélérée par la médiocrité, la lâcheté et l’irréalisme de la classe politique tout entière ». A titre d’exemple, sur 126 parlementaires SFIO présents, 90 ont voté le projet de loi constitutionnelle concocté par Pierre Laval. Le rappel de leurs turpitudes aux socialistes d’Occitanie par le conseiller régional du Lot était donc parfaitement justifié.
Une presse Baylet qui ne souhaite pas que soient évoqués des souvenirs gênants
L’épuration administrative et politique relativement limitée à laquelle se livra le régime de Vichy n’empêcha pas de nombreux notables de la IIIe République de rallier le camp du maréchal Pétain.
Hiérarque, comme son frère Albert, du radicalisme franc-maçon de la IIIe République, Maurice Sarraut était le propriétaire du journal La Dépêche de Toulouse. Il appuya son frère dans sa carrière politique et exerça une grande influence dans le Sud-Ouest. Cette grande figure radicale approuva le régime de Vichy et son journal soutint le maréchal Pétain. Le 11 mai 1941 il réaffirmait son loyalisme dans une lettre à Henri du Moulin de Labarthète : « Le parti radical a senti la nécessité impérieuse de soutenir le Maréchal loyalement, sans arrière-pensée, dans son œuvre nécessaire de défense de la France et de restauration de la patrie ».
Mais plus que les frères Sarraut ce sont leurs fils spirituels qui nous intéressent.
Le premier est Jean Baylet, père de Jean-Michel Baylet président actuel du groupe de presse La Dépêche. Natif du Tarn-et-Garonne il entra à La Dépêche de Toulouse qu’il finit par diriger, se lia avec les frères Sarraut, et joua un rôle important dans le parti radical-socialiste et au niveau local dans le Tarn-et-Garonne. Il fut, dès les années 1930, très ami avec René Bousquet.
Fils d’un notaire radical-socialiste de Montauban, R. Bousquet, homme de gauche par atavisme, a dû sa carrière à son comportement héroïque pendant les inondations du Sud-Ouest en 1930 qui lui valut la Légion d’honneur à 21 ans et au parrainage des frères Sarraut. Ce fut le point de départ d’une carrière fulgurante pendant les années 1930 au cours desquelles il se lia avec P. Laval dont il devint un proche.
En avril 1942, P. Laval, soucieux de renouer avec les cadres politiques et administratifs de la IIIe République, nomma R. Bousquet au secrétariat général à la Police de Vichy. Son nom demeure inaltérablement lié à la Rafle du Vél’ d’hiv’.
Après la guerre, René Bousquet se retrouva l’avant-dernier Français à comparaître devant la Haute Cour de justice, en 1949. Facteur favorable, son ami Jean Baylet faisait partie du jury. Il en était même le président… Au terme d’un procès de trois jours, René Bousquet fut condamné à la peine minimale de « cinq ans de dégradation nationale ». Il en fut « immédiatement relevé pour avoir participé de façon active et soutenue à la Résistance contre l’occupant »…
Sous la IVe République R. Bousquet poursuivit une brillante carrière à la Banque d’Indochine grâce à l’appui d’Albert Sarraut, ancien gouverneur d’Indochine. Lorsque Jean Baylet périt dans un accident de voiture en 1959, R. Bousquet lui succéda à la direction de La Dépêche du midi et dans le cœur de son épouse, Evelyne Baylet. Pendant 10 ans la direction du vieux journal radical et sa ligne éditoriale antigaulliste furent menées par l’ancien secrétaire général de la police de Vichy sans que cela perturbe le landernau politique.
Mieux : dès les années 1950, R. Bousquet et F. Mitterrand devinrent amis et le restèrent jusqu’au milieu des années 1980 lorsque les accusations contre R. Bousquet se durcirent. Les journaux de l’époque publièrent des photographies représentant Mitterrand en famille dans sa bergerie de Latché avec son invité R. Bousquet. Encore plus extraordinaire, F. Mitterrand organisa en 1977 un déjeuner avec Bousquet auquel il fit participer Jacques Attali ! La gauche vertueuse fermait les yeux et le vieux pervers devait bien rire.
Des socialistes bien présents dans le pétainisme et le collaborationnisme
Des socialistes connus se rallièrent au gouvernement de Vichy. Ce fut le cas de F. Chasseigne, député SFIO, et de Max Bonnafous qui furent secrétaires d’Etat à l’Agriculture dans des gouvernements Laval. Ce fut surtout le cas de Paul Faure, ministre d’Etat du Front populaire et secrétaire général de la SFIO, qui fut nommé au Conseil national du gouvernement Pétain. N’oublions pas Charles Spinasse, député SFIO de la Corrèze et ministre de l’Economie du Front populaire, qui prôna la collaboration en vue de la réorganisation politique de l’Europe en une libre association d’Etats socialistes !
C’est surtout le Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat qui, à partir de la fin de 1941, a attiré vers lui de nombreux représentants qualifiés de la gauche française. Le RNP, écrit Marc Sadoun, a pu « légitimement apparaître comme l’héritier de la gauche socialiste, le réunificateur de deux courants que la scission de 1933 avait séparés… ». Ces collaborationnistes de gauche sont trop nombreux pour les citer tous. Beaucoup étaient des syndicalistes confirmés : G. Dumoulin, L. Zoretti et G. Lafaye. Deux députés SFIO ont exercé une influence considérable : Paul Rives et Paul Vaillandet.
Le secrétaire général du RNP et second de M. Déat était Georges Albertini, franc-maçon, syndicaliste, ancien membre du comité de vigilance des intellectuels antifascistes, membre de la SFIO, de la fédération de l’enseignement et de la CGT, recruteur de la Légion antibolchevique des Volontaires Français (LVF) qui a fait l’objet d’une biographie de Pierre Rigoulot en 2012. Cet ouvrage fait apparaître d’une manière étonnante et insoupçonnée à quel point le collaborationnisme de gauche regroupait une foule impressionnante de socialistes, de syndicalistes, de membres de la CGT et de la SFIO du plus haut niveau et de francs-maçons.
Des socialistes dans la Résistance. Mais la SFIO ?
Ne versons pas d’un excès dans l’autre. L’évocation, salubre pour la modestie des socialistes, du collaborationnisme de nombre de leurs congénères ne doit pas faire oublier que, très tôt et en nombre, mais de manière dispersée, des socialistes ont participé aux mouvements de la Résistance. Citons quelques noms entre autres : Christian Pineau fondateur de Libération nord, Robert Lacoste, à Marseille les avocats Boyer et Deferre, au plan militaire les groupes Veny dans le Sud-Ouest. André Philip, membre du mouvement Libération sud rejoignit De Gaulle à Londres en 1942.
Il en alla autrement du Parti socialiste lui-même. Comme les hommes politiques et tous les partis de la IIIe République, la SFIO était particulièrement déconsidérée dans l’opinion après le désastre de 1940. En zone Sud un Parti socialiste clandestin prit la forme du Comité d’action socialiste (CAS) à l’initiative de Daniel Mayer. Cependant ce parti clandestin avait des visées et des objectifs de nature politique et « ne chercha pas à créer sa propre organisation résistante », selon l’historien O. Wieviorka.
C’est Jean Moulin, en accord avec le général De Gaulle, qui remit le pied du Parti socialiste à l’étrier puisque, le 27 mai 1943, la SFIO compta un représentant au Conseil national de la Résistance (CNR) en la personne d’André Le Troquer, à la grande contrariété des résistants de la première heure.
A partir de la mi-1943 de nombreux socialistes rejoignirent l’Assemblée consultative d’Alger où leur sectarisme se défoula. Le 10 novembre 1943 Félix Gouin fut élu président de cette Assemblée contre André Hauriou, professeur de droit et chef régional du mouvement Combat. Comme l’a souligné Henri Frenay avec tristesse « l’on sent bien que la compétition est déjà ouverte entre la France d’hier et celle de demain ».
Un homme comprit très tôt ce qui allait arriver. Ce fut Pierre Brossolette, lui-même membre de la SFIO et franc-maçon avant la guerre. Ses activités dans la Résistance, à Londres comme en France, lui conférèrent une envergure d’homme d’Etat potentiel. Dépourvu de tout sectarisme il souhaita en 1942 attirer à Londres un représentant socialiste, A. Philip, et un député PSF, Charles Vallin. Celui-ci fut disqualifié par une cabale de socialistes non gaullistes de Londres qui crièrent au fascisme. De Gaulle céda. Une occasion exceptionnelle de rebâtir l’unité nationale fut ainsi manquée.
Epilogue
Avec les communistes, les socialistes furent les vrais bénéficiaires du désastre national auquel ils avaient tant contribué. En 1946 ils chassèrent le général De Gaulle, ce que lui avait prédit P. Brossolette, et instaurèrent la IVe République, sœur jumelle de la IIIe République.
P. Brossolette ne put voir ses prédictions réalisées. Il mourut en héros en mars 1944. A la veille de son arrestation, Brossolette fut exclu de la SFIO par Daniel Mayer, décision qui ne fut pas appliquée à cause de sa disparition. Félix Gouin auquel il était devenu suspect à Londres car il voulait renouveler leur vieux parti, succéda au général De Gaulle à la tête du gouvernement provisoire en janvier 1946.
On comprend mieux pourquoi une présidente de Conseil régional socialiste arrache le micro des mains d’un opposant politique en criant : « C’est indigne ! »
André Posokhow
15/02/2017
Correspondance Polémia – 17/02/2017
Image : Emblème de I-medias – TV Libertés
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