Par Andrea Massari ♦ En mai 2004, Polémia publiait un article sur le livre Big Mother, psychopathologie de la vie politique de Michel Schneider. Alors qu’un épisode caniculaire largement instrumentalisé par le gouvernement frappe le pays, la lecture de cet article nous apparaît instructive.
Polémia
Dans la lignée de « 1984 », l’ouvrage d’Orwell, ou de sa version contemporaine par Jean-Christophe Ruffin « Globalia », les Français craignent l’État Big Brother. Et si en réalité c’était l’avènement de « Big Mother» qui s’annonçait ? C’est en tout cas la thèse de l’énarque et psychanalyste Michel Schneider ; son ouvrage « Big Mother, psychopathologie de la vie politique » paru en 2002 chez Odile Jacob apparaît plus que jamais d’actualité.
Ainsi, la chute de Raffarin dans les sondages et son effondrement politique remontent à la canicule de l’été 2003. Comme si c’était au Premier ministre de donner des verres d’eau aux personnes âgées déshydratées ! La vérité, c’est que dans la chaîne des responsabilités, l’État arrive dans ce domaine en fin de course : derrière les familles, derrière les institutions d’accueil, derrière les collectivités territoriales. Et en termes de responsabilités politiques vraies, Bertrand Delanoé a été plus coupable des morts parisiens d’août 2003 que Jean-Pierre Raffarin.
A contrario, Jacques Chirac paraît davantage épargné et même en passe de réussir son septennat ! Au regard des priorités qu’il a affichées en tout cas :
- la lutte contre le cancer : que le progrès scientifique fait progresser ;
- le soutien au handicap : plusieurs lois ont été ou sont en cours d’adaptation « pour l’égalité des droits et des chances et la participation à la citoyenneté », « pour la solidarité, pour l’autonomie des personnes âgées et handicapées » ; et la guerre contre la prochaine canicule ( qui n’aura probablement pas lieu) mobilise déjà plusieurs ministères ;
- contre les accidents de la route : domaine où la réussite gouvernementale est incontestable ; le nombre de morts étant, eux, en train de passer de 8000 à moins de 5000 par an.
Dans le même esprit protecteur qui fait rechercher partout le « risque zéro », le président de la République veut imposer à l’Assemblée Nationale le vote d’une charte de l’environnement faisant du « principe de précaution » un principe constitutionnel.
C’est à l’échelon de l’État la philosophie de la mère abusive qui s’impose : « couvre-toi », « met ton sweat », « ne sors pas tu vas attraper froid »
C’est très exactement ce que condamne Michel Schneider dans « Big Mother » : « écoute, proximité, caresses, urgence, amour. Les hommes politiques jouent à la mère. Dirigeants n’osant plus diriger, citoyens infantilisés attendant tout de l’État : la France est malade de sa politique comme certains enfants le sont de leur mère » !
L’État Big Mother, c’est ainsi une psychopathologie de la politique :
1/ De la protection à la contestation : l’infantilisation des citoyens
L’État Big Mother veut tout protéger : « mais la surenchère des demandes entraîne une dépendance des individus et des groupes vis-à-vis de l’assistance et de l’assurance » (p. 58) ; et cela débouche sur une dépendance croissante vis-à-vis de l’État et donc vers des revendications sans fin et aussi vers une volonté violente de s’émanciper : « les sociétés où domine la mère sont les plus violentes, les fils s’arrachant ainsi à l’emprise et à la fusion » (p. 84). Big Mother est condamnée à être « mal aimée et même haïe comme sont souvent les mères trop aimantes » (p. 164). Et avec « l’État maternant », la société est en crise d’adolescence permanente !
2/ De la proximité à l’absence d’enracinement dans la durée
Confrontée en permanence à l’exigence de « proximité » et à l’« urgence » de la réponse médiatique aux faits du quotidien, la politique perd son sens : alors qu’elle devrait être dépositaire de l’intérêt des générations futures et inscrire son action dans le temps long, elle cède à l’illusion de l’immédiateté. Comme si l’agitation était l’action !
3/ Big Mother, c’est aussi l’effacement de l’État souverain
Omniprésent dans l’assistance et le maternage, absorbé par ses tâches maternelles et maternantes, l’État Big Mother sacrifie ses fonctions souveraines. Il a de plus en plus de mal à remplir ses fonctions régaliennes, celles où il importe d’être obéi pour assurer la continuité de la nation ; or justice, armée, police, diplomatie qui relèvent des fonctions paternelles sont de plus en plus mal remplies.
A titre d’exemple, au cours de ses deux premiers mois d’existence, le gouvernement Raffarin III a gelé six milliards d’euros de crédits publics, au détriment du fonctionnement normal de l’État souverain, pour créer six milliards d’euros de dépenses supplémentaires d’assistance (« recalculés » de l’unedic, intermittents, politique du « handicap »). Reste à savoir si c’est ainsi que la France fera face à la concurrence mondiale et aux risques terroristes !
4/ Féminisation des professions et maternisation du pouvoir
Michel Schneider, l’auteur de « Big Mother », établit un lien entre la maternisation du pouvoir et la présence croissante des femmes dans « toutes les professions sociales pour la reproduction des individus et de la société : l’école, la justice (des affaires familiales), la médecine » (p. 53).
Michel Schneider met ainsi en perspectives l’importance prise par les femmes dans l’éducation nationale et la justice : importance d’autant plus grande d’ailleurs que, d’une part, l’école tend à se substituer à la famille dans le rôle d’éducation et de formation et que, d’autre part, la révolution judiciaire qui s’est opérée tend à faire du pouvoir judiciaire le premier pouvoir avant même le législatif et l’exécutif. Ajoutons qu’en marge de l’éducation et de la justice on trouve aussi tous ceux qu’on appelle des acteurs sociaux et qui sont souvent les assistantes sociales.
Il résulte de tout cela « la substitution d’un mode donné de contrôle social à l’ancien mode autoritaire, le traitement du déviant en malade, le remplacement de la punition par la réhabilitation médicale, l’emprise des professions d’assistance sur la famille et la société, tous ces traits s’inscrivent dans la croyance que tous les conflits peuvent se résoudre par une assistance maternelle publique qui absout l’individu de toute responsabilité amorale et le traite comme une victime des conditions sociales » (p. 63).
5/ La rupture du symbolique
Michel Schneider insiste beaucoup sur ce qu’il appelle la « rupture du symbolique » et qu’on pourrait aussi appeler le refus de la condition tragique de la vie ; de ce qui nous borne mais aussi de ce qui nous construit en nous bornant : la part de hasard ayant présidé à notre naissance, la différence de sexes, les règles de la filiation, le langage, la mort.
Tout cela tend à être marginalisé et ringardisé par le politiquement et le médiatiquement corrects, le projet de « mariage des homosexuels » et l’« homoparentalité » s’inscrit dans cette logique. Mais n’est-ce pas un refus du réel ?
Andrea Massari
28/06/2019