Voilà enfin une perspective de croissance ! C’est le président Hollande qui va être content ! Les activités illégales devraient être prises en compte dans le PIB, selon la Commission européenne. Mais l’INSEE s’y refuse pour l’instant.
Faut-il intégrer le trafic de drogue, la prostitution et les autres activités illégales dans le calcul du PIB ? La question peut paraître incongrue. Elle est pourtant légitime, au moins d’un point de vue européen. L’an dernier, Eurostat, l’institut statistique communautaire, a demandé, en effet, aux États membres de l’Union européenne de tenir compte des activités illicites qui créent de la richesse dans leurs statistiques.
« Les activités économiques illégales ne sont considérées comme opération qu’à partir du moment où toutes les unités concernées y participent d’un commun accord. Dès lors, l’achat, la vente ou l’échange de drogues illicites ou d’objets volés constituent des opérations, alors que le vol n’en est pas une », a expliqué dans un document Bruxelles. A deux jours des élections européennes, le Front national s’en est ému et a publié un communiqué vilipendant cette « négation de la morale la plus élémentaire ».
L’exemple des Pays-Bas
L’explication de cette demande de la part d’Eurostat est simple : « Des activités illégales en France, comme la production et la consommation de drogues, sont légales dans certains pays européens : ces derniers prennent donc déjà en compte ces activités, ce qui gonfle leur PIB, explique Ronan Mahieu, chef du département des comptes nationaux à l’Insee. Or, la contribution d’un État membre au budget européen est pour partie calculée en proportion de son PIB. Donc ces pays ont demandé à ce que les autres intègrent les activités illégales dans leur revenu national, pour qu’il y ait égalité de traitement et que leur contribution ne soit pas majorée par rapport aux autres ».
Les Pays-Bas comptabilisent par exemple déjà le trafic de drogue et la prostitution. Le commerce de cannabis étant permis dans ce pays, l’institut national de statistiques néerlandais a une bonne connaissance de cette activité. La consommation des autres drogues interdites comme l’héroïne, la cocaïne ou l’ecstasy, est, elle, désormais prise en compte, comme le demande Bruxelles. Elle est estimée en multipliant le nombre d’utilisateurs dans le pays par les doses annuelles nécessaires à un consommateur et le cours de la drogue en question dans les grandes villes. Quant à la prostitution, elle est légale et donc, les prostitués déclarent leur rémunération au fisc.
Attention, il ne faut pas s’intéresser aux seuls chiffres d’affaires mais à la valeur ajoutée, c’est-à-dire les ventes retranchées des consommations intermédiaires. Les statisticiens néerlandais, le plus sérieusement du monde, expliquent ainsi dans un document officiel que « dans le cas de la prostitution, les consommations intermédiaires sont les préservatifs, les habits et le coût du transport dans le cas d’escort girls »… Toutes ces activités illégales au regard du droit français auraient représenté en 2010 une valeur ajoutée de 2,6 milliards d’euros pour les Pays-Bas, soit 0,4 % du PIB, selon les derniers calculs de l’institut national.
Le PIB italien pourrait être gonflé de plus de 10 %
L’Italie s’apprête à prendre en compte ces activités illicites, qui pourraient gonfler le PIB du pays de plus de 10 %. De quoi justifier une contribution plus élevée au budget européen, mais le pays dirigé par Matteo Renzi y verrait aussi un avantage : un tel changement permettra à l’Italie, très endetté, de réduire le ratio de dette nette sur PIB, suivi à la loupe par Bruxelles.
En France, l’Insee estime déjà chaque année le travail dissimulé en extrapolant les données des impôts et la contrebande de tabac. Le travail au noir participe à hauteur de 40,7 milliards d’euros à la formation du PIB et la contrebande de tabac pour 600 millions d’euros. En tout, les activités dissimulées par les entreprises et les ménages représentent 3,4 % du PIB. Toutefois, l’institut français se refuse pour l’instant à comptabiliser le trafic de drogue et la prostitution – sauf quand les prostituées déclarent leurs gains aux impôts – dans les comptes nationaux, au motif que les transactions ne sont pas réalisées « d’un commun accord », ainsi que le précise Eurostat (*). Ceci dit, l’Insee réfléchit à envoyer à Bruxelles une seconde estimation du PIB de 2013 en prenant en compte les activités illégales, sans toutefois la rendre publique.
Guillaume de Calignon
Source : Les Échos
30/05/2014
Note de la rédaction
(*) La comptabilisation des revenus générés par les activités illicites pourrait augmenter le PIB de plus de 3 % selon Le Point.