Le vote britannique n’exprime pas seulement la réaction souverainiste d’un vieux pays insulaire, mais aussi une affirmation identitaire qui se diffuse dans tout le Vieux Continent.
Le Front national a mille fois raison de se réjouir de la décision du peuple britannique de quitter l’Union européenne. Le «Brexit» n’exprime pas simplement la réaction souverainiste d’un vieux pays insulaire qui a toujours cultivé sa propre singularité. Ce vote s’inscrit aussi dans une affirmation identitaire qui se diffuse dans tout le Vieux Continent.
L’Europe telle qu’elle s’est bâtie est désormais clairement mise en accusation par les peuples qui la composent. L’utopie post-nationale d’une Union fédérale est moribonde. Au rebours tendent à se réaffirmer les identités nationales. Le grand argument des partisans du Brexit était de «reprendre le contrôle» de leur pays. Ce rejet d’une «eurocratie» insaisissable comme cette aspiration à regagner en souveraineté ne sont pas propres à la Grande-Bretagne. Pas plus que l’opposition à l’immigration qui a joué un si grand rôle dans la motivation des opposants à l’UE.
On reconnaîtra ici sans peine les thèmes martelés, depuis de longues années, par le FN. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que Marine Le Pen salue joyeusement une « victoire de la liberté » Outre-Manche et qu’elle exige « le même référendum en France et dans les pays de l’UE ». Sur la même longueur d’onde, Marion Maréchal-Le Pen suggère de passer prochainement « du Brexit au Frexit ».
Le divorce britannique d’avec l’Europe, et l’ensemble des secousses que cet événement majeur va entraîner, apporteront inévitablement beaucoup d’eau au moulin frontiste. Le parti d’extrême droite n’est cependant pas le seul à vouloir et à pouvoir tirer partie de la nouvelle donne européenne. Le souverainiste obstiné qu’est Nicolas Dupont-Aignan, dont la campagne rencontrait déjà un certain écho, sera vraisemblablement encouragé dans ses efforts.
Gauche souverainiste
Il existe aussi, à gauche, des forces et des personnalités qui ont compris que le rejet de l’Union européenne par les peuples exigeait qu’on leur propose un autre chemin. La conversion la plus spectaculaire, de ce point de vue, est celle de Jean-Luc Mélenchon.
L’ancien candidat du Front de gauche a longtemps été un fédéraliste convaincu: il avait ardemment fait campagne en faveur du traité de Maastricht en 1992. Au fil de son évolution, particulièrement sur la question de l’euro, Mélenchon est cependant devenu résolument hostile à une «Union européenne (qui) s’est construite contre les peuples». Il milite désormais en faveur d’une « sortie de ces traités européens » et considère qu’il y a un bon usage à faire du Brexit dès lors que «le début de la fin de l’Union européenne est commencé».
Le candidat des «insoumis» à l’élection présidentielle propose un tout autre cadre institutionnel en menaçant, en cas de refus, de «laisser les eurocrates mourir sur pied avec leur machine européenne». Bref, «l’UE, on la change ou on la quitte», prévient Mélenchon, qui ne dédaigne pas d’emprunter parfois des accents gaulliens en parlant de la France.
Arnaud Montebourg est, lui aussi, conscient du rejet de l’Europe et entend bien avancer un projet qui en tienne pleinement compte. « Restaurer la souveraineté de la France », telle est l’idée centrale qu’il veut exprimer pendant la prochaine campagne présidentielle et qui lui vaut une discrète sympathie du côté de Jean-Pierre Chevènement.
L’ancien ministre de l’Économie n’a pas de mots assez durs contre les eurocrates : « Bruxelles, c’est une grande paralytique qui a paralysé l’Europe. » L’ancien chantre de la « démondialisation » lors de la primaire socialiste de 2011, qui s’est ensuite fait le champion du «produire français», n’est pas le moins bien placé à gauche pour faire vibrer la corde nationale.
Les européistes sur la défensive
En face, le camp européiste est acculé à une délicate posture défensive. La réaction pavlovienne de ceux qui préconisent de riposter au départ britannique par une accélération de l’intégration européenne ne convainc pas grand monde. Elle rappelle ces communistes qui expliquaient les déboires de leur système par l’insuffisance de socialisme.
Alain Juppé fait ainsi preuve d’une prudence de Sioux. « On ne peut pas continuer comme avant. Il faut écrire une nouvelle page, un nouveau chapitre de l’Europe », a-t-il réagi. L’ancien Premier ministre sacrifie au rite de déplorer que l’Europe «apparaisse comme une machine bureaucratique incompréhensible, impuissante à relancer la croissance, impuissante à contrôler nos frontières», sans que l’on saisisse bien comment elle pourrait se régénérer.
Mais c’est François Hollande qui sera vraisemblablement le plus affaibli, si c’est encore possible, par la nouvelle crise européenne. Ancien partisan de Jacques Delors, l’actuel président de la République peut être considéré comme une européiste convaincu, même s’il a sans doute pêché par passivité dans les différentes crises qui ont secoué dernièrement l’Europe.
Le chef de l’État a utilisé le vocable habituel en ce genre de circonstances en appelant l’Europe au «sursaut», au «changement profond plutôt qu’au repli», au «renforcement de la zone euro» et à une mystérieuse «gouvernance démocratique». Des formules déjà mille fois entendues qui sonnent comme autant de vœux pieux.
Or, la nouvelle donne exige une toute autre manière d’aborder une question européenne désormais étroitement imbriquée à la question identitaire. «La France est notre patrie, l’Europe est notre avenir»: ce slogan de François Mitterrand datant de 1987 est devenu inaudible. Dominée par l’Allemagne, l’Union européenne peut moins que jamais être vue comme une sorte de « France en grand ». Qu’on le veuille ou non, notre singularité nationale va à nouveau devoir s’exprimer.
Éric Dupin
24/06/2016 – Source : Slate.fr