Par Pierre Boisguilbert, journaliste spécialiste des médias et chroniqueur de politique étrangère ♦ Attention, un blond peut en cacher un autre. Et voilà Trump installé au 10 Downing Street si l’on en croit nos médias. L’horreur absolue. Alexander Boris de Pfeffel Johnson, surnommé Bojo, un nouvel homme blanc (et pire, blond) de plus de 50 ans au pouvoir. Et comme le président américain, il veut rendre la Grande-Bretagne « Great again » en la sortant de l’Europe.
Il faut cependant se méfier car Johnson n’est sans doute pas un Trump britannique même si, comme l’Américain, ce grand bourgeois de lointain sang royal et issu des plus prestigieuses écoles (Eton et Oxford) est imprévisible. Il a toutefois une certitude, et peut-être d’ailleurs une seule : pour cet ancien journaliste accrédité à Bruxelles, l’Europe de Bruxelles est un danger pour l’indépendance britannique, il faut la quitter. C’est un populiste, c’est-à-dire qu’il respecte les volontés du peuple exprimées dans un vote, s’en fait le porte-parole et l’exécutant. L’essentiel sur ce sujet a été dit le jour même de sa prise de fonction, avec son premier discours musclé en tant que Premier ministre. Sans surprise, Boris Johnson a répété que le Brexit aura lieu le 31 octobre, « point à la ligne ». « Le peuple a voté et nous devons respecter ça. » Appelant au rebond patriotique, magnifiant le drapeau britannique, il a marqué son volontarisme. « Les sceptiques, les rabat-joie, les moroses se trompent de nouveau. Les gens qui parient contre la Grande-Bretagne vont perdre leur chemise. J’ai parfaitement confiance : dans 99 jours, nous en serons venus à bout. »
La méfiance des Identitaires britanniques
Il va donc tenter de réussir là où Theresa May a échoué, avec un atout. Titulaire de la double nationalité car il naquit à New York, ce cosmopolite exemplaire — grand-père paternel turc, grand-mère paternelle franco-anglise descendante par la main gauche du roi George II, grand-mère maternelle ashkénaze, etc. — est prêt a conclure un traité commercial avec les USA et compte pour cela sur Donald Trump qui, de son côté, aime bien « Bojo » qui lui ressemble tant. Mais pas autant que nos médias le disent.
Comparaison n’est pas raison. Il n’est pas sûr que pour les Européens luttant contre la submersion migratoire, l’Anglais soit un allié crédible, peut-être hélas au contraire. Sur les questions de société, les deux dirigeants anglo-saxons ne sont pas sur la même ligne. Johnson, c’est d’abord un nationaliste qui parle beaucoup du drapeau et de la fierté d’être britannique plus qu’anglais, voire de la supériorité de civilisation de son pays sur les autres comme Trump. Mais c’est aussi un libertarien, au sens où il est ultralibéral en économie et veut un Etat minimal, mais également libéral sur les questions de société comme le mariage gay. L’immigration est sans doute le point le plus délicat de sa vision car il a une approche très spécifique : il entend mettre en place un nouveau système d’immigration à points, proposition qu’il avait déjà évoquée par le passé, mais sur laquelle Theresa May avait exprimé des doutes.
« Nous devons être beaucoup plus ouverts à l’immigration de personnes hautement qualifiées, comme les scientifiques, mais nous devons également assurer au public que, lorsque nous quittons l’UE, nous contrôlons le nombre d’immigrants non qualifiés qui arrivent dans le pays… Nous devons être plus sévères envers ceux qui abusent de notre hospitalité… D’autres pays comme l’Australie ont d’excellents systèmes et nous devrions en tirer des leçons », assure Boris Johnson mais les organisations britanniques anti-immigration comme Migration Watch et les mouvements identitaires ne lui font pas une grance confiance à Johnson. Ils ont sans doute raison. Les premières nominations qu’il a décidées confirment sa volonté, annoncée par ses proches, de promouvoir des femmes et des personnalités issues de minorités ethniques.
La tentation de l’Empire
Le grand blond décoiffé est un homme du Commonwealth ou même nostalgique de la grandeur impériale. A preuve, le poste-clé des Finances donné à l’eurosceptique Sajid Javid, fils d’immigrés pakistanais. Pour Neil Wilson, du site d’analyse économique Markets.com, Sajid Javid devrait se montrer très à l’écoute de la City, le coeur financier de la capitale britannique, afin d’atténuer les conséquences du Brexit. Ardente avocate du Brexit elle aussi mais, contrairement à Boris Johnson, opposée au mariage homosexuel, Priti Patel, 47 ans, nommée ministre de l’Intérieur, encore un poste-clé. Cette fille d’Indiens naguère installés en Ouganda avait dû démissionner de ses fonctions de secrétaire au Développement international en novembre 2017 après avoir rencontré des personnalités politiques israéliennes, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahu, lors de vacances en Israël, sans en informer son gouvernement. Outre cette imprudence — qui ne doit pas déplaire à Trump —, Patel avait également été critiquée pour avoir évoqué la possibilité d’utiliser l’aide au développement britannique comme levier pour négocier des contrats commerciaux à travers le monde en vue du Brexit.
C’est la piste de l’ancien empire une nouvelle fois contre l’Europe que suit en tout cas « Bojo ». On est en plein dans les contradictions du multiculturalisme à la britannique, où l’héritage impérial est assumé sans tenir compte du changement des rapports de force démographiques liés à l’immigration, ce que, pourtant, Johnson, ancien maire de Londres remplacé par un le Pakistanais Sadiq Khan, est bien placé pour savoir. C’est ce qui inquiète le plus ichez le fantasque Boris dans la perspective du combat essentiel de la défense de l’Europe des Européens.
Boris Johnson a choisi un autre eurosceptique convaincu, Dominic Raab, 45 ans et descendant d’émigrés judéo-tchèques, pour prendre la tête de la diplomatie britannique, un poste crucial en pleine crise, attisée par Israël, des pétroliers avec l’Iran. Certes, la logique eurosceptique est totalement assumée. Dominic Raab avait démissionné l’an dernier du gouvernement de Theresa May pour marquer son opposition à sa stratégie sur le Brexit, qu’il jugeait trop conciliante avec l’Union européenne. Il remplace Jeremy Hunt, rival malheureux de Boris Johnson dans la course au leadership tory. Steve Barclay est lui maintenu à son poste de ministre chargé du Brexit et sera l’interlocuteur des équipes de négociations de l’UE.
D’autres ont été remerciés, y compris les pro-Brexit Penny Mordaunt, ministre de la Défense, et Liam Fox, ministre du Commerce International.
Boris Johnson a nommé comme conseiller Dominic Cummings, directeur controversé de la campagne officielle en faveur du Brexit lors du référendum de juin 2016.
Le Brexit est bien son obsession et la sortie assurerait pour lui le retour de la grandeur britannique avec le concours des enfants du Raj…. Grandeur qui, Boris l’aurait-il oublié ? n’existe plus.
Les médias qui détestent le Johnson pro-Brexit pourraient se satisfaire de son communautarisme national. Il y a décidément pas mal de nuances de blond.
Pierre Boisghilbert
28/07/2019
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Financial Times [CC BY 2.0]