Entretien avec Roland Lombardi, (1) et Roland Hureaux. (2) mené par Atlantico.fr
♦ Vives tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite, frappes russes contre des rebelles syriens soutenus par la CIA, fin des accords d’Oslo prononcée par le président de l’Autorité palestinienne… Les tensions au Moyen-Orient s’exacerbent, et les pays arabes comme occidentaux sont tous concernés par cette situation.
Atlantico : Selon le sénateur américain John McCain, des frappes russes auraient tué des rebelles syriens soutenus par la CIA jeudi 1er octobre. Ainsi, l’aviation envoyée par Moscou aurait touché le groupe syrien Souqour al-Jabal, dont les membres ont été formés par la CIA. Peut-on s’attendre à d’autres opérations controversées ? Quels sont les risques de dérapages dans la région ?
Roland Lombardi : Tout d’abord, rappelons une nouvelle fois qu’en Syrie, la stratégie de la Russie est claire : soutien inconditionnel à Bachar el-Assad, lutte contre Daech et tous les autres mouvements islamistes. Vladimir Poutine soutien Assad car, mieux informé et surtout plus réaliste que les dirigeants occidentaux, il sait pertinemment qu’il n’y a pas d’autre alternative valable au « boucher de Damas ». Aucune ! C’est peut-être déplaisant mais c’est malheureusement la seule et unique réalité. En
effet, depuis presque 5 ans, aucun « commandant Massoud syrien » n’a émergé de l’Armée syrienne libre et depuis le début de la guerre civile, aucun ministre ou général du régime n’a été sérieusement pressenti pour se substituer d’une manière ou d’une autre à Bachar et son clan. De plus, contrairement à ce que les médias occidentaux affirment, au-delà de toutes les minorités religieuses et ethniques qui composent la Syrie, Bachar el-Assad est aussi et encore soutenu par au moins la moitié de la population syrienne (même sunnite). Mais par-dessus tout, le maître du Kremlin ne veut absolument pas d’une victoire des islamistes à Damas. Les conséquences et les répercutions seraient catastrophiques dans le nord du Caucase, sur les frontières orientales de la Russie et dans les anciennes Républiques soviétiques d’Asie centrale. Si Assad venait à tomber, les 2 000 jihadistes russes (surtout venant du Caucase), partis en Syrie combattre le régime alaouite, pourraient revenir en Russie et commettrent des actes terroristes ou tout simplement déstabiliser les régions musulmanes de la CEI. C’est dans cette même optique que la Russie (comme l’Iran d’ailleurs) apporte son soutien au gouvernement afghan dans sa lutte contre les talibans.
Pour la première fois donc, depuis l’intervention soviétique en Afghanistan de 1979 à 1989, l’armée russe intervient au Moyen-Orient. Ainsi, les avions de combat de Moscou bombardent depuis deux jours des cibles de Daech mais aussi d’autres groupes islamistes qui s’opposent au régime d’Assad. Mieux, pour les Russes, il n’y a pas d’opposants armés « modérés » et tous les groupes rebelles sur le terrain sont « des groupes terroristes ». D’ailleurs, ils n’ont pas tout à fait tort puisqu’il n’y a plus que quelques idéologues pour croire encore à l’existence de rebelles « laïcs et démocrates »… Il ne serait donc pas étonnant que l’ASL (ou ce qu’il en reste) soit aussi ciblée. John Mc Cain a sûrement raison. Toutefois, les Russes ne se gêneront absolument pas pour bombarder tous les groupes opposés à Assad, tous, sans exception, même ceux entraînés et armés par la CIA !
Certes, la France, la Turquie et l’Arabie saoudite pousseront assurément des cris d’orfraie. Mais cela ne compte pas. Poutine est un fin joueur d’échecs, il a toujours plusieurs coups d’avance, il est loin d’être un « chien fou » et sait très bien ce qu’il fait. Même lorsqu’il utilise la politique « du fait accompli », les risques sont toujours très bien calculés. Dans cette affaire, seul compte pour les Russes l’avis de l’Iran, d’Israël et bien sûr des Etats-Unis. On connaît la position et l’implication de l’Iran. On a dit et écrit beaucoup de bêtises sur le rôle de l’Etat hébreu dans la crise syrienne mais en réalité, Israël, dont le Premier ministre a été reçu à Moscou il y a quelques jours, apprécie, de manière certes discrète mais bien réelle, qu’une puissance intervienne enfin sérieusement dans le dossier syrien. Quant aux Américains, sur scène, ils se disent inquiets et émettront eux aussi des protestations officielles si des groupes rebelles qu’ils soutiennent sont attaqués. Mais en coulisse, l’administration Obama n’est sûrement pas mécontente de l’intervention russe dans le guêpier syrien…
N’oublions pas qu’aux Etats-Unis, l’efficacité des bombardements est largement discutée et que la stratégie américaine est le sujet de vifs débats politiques. Enfin, le soutien de Washington à des groupes islamistes ou clairement se revendiquant d’al-Qaida passe très mal dans l’opinion publique américaine…
Non, finalement les risques de dérapages sont minimes. Par contre, l’armée russe ne va pas faire dans la dentelle et n’ira pas de main morte. Les « dommages collatéraux » sont eux, fort possibles… Aussi, l’espace aérien syrien étant désormais très encombré, le risque de collisions entre appareils russes et de la coalition américaine est important. C’est pourquoi, pour éviter les incidents mais aussi afin de mettre en place une certaine coordination et entretenir le dialogue, des officiers russes rencontrent de plus en plus régulièrement des officiers américains mais aussi israéliens…
Roland Hureaux : John Mac Cain confirme donc que la CIA a formé des djihadistes car en fait de rebelles syriens il n’y a plus aujourd’hui que des djihadistes. Ils sont composés de deux groupes : Daesh à l’Est et Al Nosra (ex-Al Qaida) à l’Ouest. Quand on vous parle de rebelles modérés – pourquoi pas des terroristes modérés ! – n’en croyez pas un mot. Daesh et Al Nosra sont pratiquement interchangeables quant à l’idéologie.
Il est vrai que les Occidentaux (surtout les Etats-Unis et la France) ont essayé d’organiser des stages pour former à l’usage des armes des rebelles soi-disant démocrates, mais ceux qui se sont présentés étaient pratiquement tous des djihadistes camouflés qui, à peine revenus au front, se sont livrés aux pires exactions et ont apporté au djihad les armes qu’on leur avait données.
Le raisonnement des Ruses est simple et difficilement contestable : sur le terrain, il n’y a que le gouvernement syrien et les djihadistes, rien d’autre. Puisque les Etats-Unis ont engagé une croisade contre Daesh, les Russes les ont pris au pied de la lettre et ils leur disent en quelque sorte « Chiche ! ». Ils se sont portés de manière spectaculaire volontaires pour y participer mais avec la volonté d’aller
jusqu’au bout de la démarche, ce qui signifie combattre tous les islamistes, qu’ils se rattachent officiellement à l’Etat islamique ou pas. Si vous me pardonnez cette expression ils ne veulent pas du coïtus interruptus qui caractérise la guerre faite par l’Occident à Daesh. Que les Russes aient commencé par bombarder des djihadistes autres que Daesh n’est sûrement pas une erreur, d’autant que leur premier objectif est de desserrer l’étau dans lequel est enfermé l’armée syrienne autour de Damas et que dans cette région, Al Nosra est plus présent que Daesh. En même temps, ils envoient un message clair : ils ne laisseront pas tomber le régime d’Assad, lequel a paru ces derniers temps en difficulté.
Dans quelle mesure les actions menées au Moyen-Orient par les principaux acteurs que sont notamment les Etats-Unis, la Russie, la France, la Turquie, l’Iran ou encore l’Arabie Saoudite sont-elles le reflet de règlements de comptes entre différentes puissances ? Que sait-on de leur stratégie ?
Roland Lombardi : Depuis presque 5 ans et le début des « printemps arabes », la stratégie de l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie (soutien aux Frères musulmans et aux groupes islamistes) a échoué partout, en Tunisie, en Libye, en Egypte… En Syrie, Riyad, Doha et Ankara appuient encore al-Qaida, al-Nosra et d’autres mouvements islamistes ainsi que l’ASL qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. A terme, avec l’armée russe qui entre à présent dans la danse, leur échec sera consommé et ils n’auront plus qu’à suivre l’évolution de la position des Etats-Unis vis-à-vis de la stratégie de la Russie que j’ai décrite plus haut.
La France, nous l’avons vu ces derniers jours et afin de dissuader ses partenaires d’accepter les arguments de Moscou, ne peut se contenter à présent que d’une irréaliste campagne internationale, totalement dépassée, de « Assad Bashing » : rapport « César », enquête pénale pour « crimes de guerre » ouverte par le parquet de Paris… Malheureusement, Paris ne compte plus guère dans la région, la France n’est plus écoutée et elle est finalement hors-jeu.
Quant à l’Iran, il est l’allié principal de la Russie en Syrie. Ses troupes spéciales sont très impliquées sur le terrain aux côtés de l’armée du régime et Téhéran tirera sûrement tous les bénéfices d’un éventuel succès militaire et diplomatique russe.
Enfin, les Etats-Unis combattent Daech que très frileusement. Ils craignent les dégâts collatéraux et le spectre de l’intervention désastreuse en Irak de 2003 plane encore… Par ailleurs, certains responsables américains en reviennent de leur soutien à la « rébellion » syrienne. Le Pentagone et la CIA avaient
prévu d’organiser, de former et d’armer une unité de 5 000 rebelles « modérés ». Ils n’ont pu en recruter qu’une centaine qui, pour une part, se sont fait tuer, et pour l’autre, sont passés avec armes et bagages chez les jihadistes ! De fait, à chaque fois que les Américains reculent avec faiblesse sur un dossier, les Russes avancent avec force. On l’a vu hier en Crimée, en Ukraine, en Egypte et aujourd’hui en Syrie.
Roland Hureaux : Pour aucun de ceux que vous citez, sauf en partie les Russes, l’objectif véritable n’est la lutte contre l’islamisme. Malgré leurs proclamations à Paris, à Washington ou à New York, ils ne considèrent pas au fond d’eux-mêmes que ce soit là leur vrai problème. Les djihadistes sont une chair à canons qu’on instrumentalise, y compris pour effrayer le bourgeois, mais qui ne compte pas vraiment.
Pour Washington, le problème, c’est Moscou et c’est donc de contenir ou réduire l’influence russe. La Syrie est un allié de la Russie, donc il faut l’abattre, y compris en soutenant les djihadistes. En tous les cas la maintenir en position de faiblesse.
Pour Israël, le principal problème est aujourd’hui l’Iran qui est la seule puissance rivale qu’ils considèrent avoir dans la région. Or la Syrie et le Hezbollah, principale milice du Liban, lui sont alliés ; donc il faut les abattre. Que le régime d’Assad, père et fils, n’ait rien fait contre Israël depuis 45 ans qu’il est en place ne les émeut pas ; pas plus que la perspective d’avoir Daesh à Damas, soit à 200 km de Jérusalem : je parle du gouvernement, une partie de l’opinion ne réagit pas de cette manière. Ils pensent qu’un Etat organisé est toujours plus à craindre qu’une milice, fut elle fanatique, qu’ils pensent contrôler.
L’Arabie saoudite et les Etats du Golfe sont des alliés inébranlables d’Israël contre l’Iran qu’ils redoutent plus que quiconque et sont donc aussi contre la Syrie.
La Turquie joue, elle, un jeu plus complexe : bien que membre de l’OTAN, elle n’est alignée sur personne. Mais elle est dirigée par un fanatique, plus dangereux à mon avis qu’Assad, qui a rêvé de renverser ce dernier pour que les Turcs que le colonel Lawrence avait chassé de Syrie en 1917 y reprennent pied. Mais en soutenant Daesh et Al Nosra, Erdogan s’est mis à dos les Kurdes, non seulement de Syrie mais de Turquie, qui avaient entretenu une longue rébellion sous l’égide du PKK (Parti communiste kurde). Cette rébellion s’était apaisée ; la politique d’Erdogan vient de la réveiller.
En outre Erdogan est aujourd’hui responsable de deux actions malfaisantes que, même s’il ne les a pas provoquées, ce qui reste à voir, il pouvait empêcher et ne l’a pas fait : l’afflux de volontaires pour le djihad qui arrivent du monde entier par la Turquie, le départ vers l’Europe de réfugiés syriens qui se trouvaient en Turquie depuis plusieurs mois, voire plusieurs années sous l’égide du Haut-commissariat des Nations Unies. Il promet d’être désormais engagé contre Daesh, mais faut-il le croire ?
A ces acteurs, il faut ajouter la Chine. Même si l’arrivée d’un porte-avions chinois à Tartous, base russe en Syrie, s’est avérée un bobard, ils ont là quelques bâtiments et suivent ce qui se passe. Russes et Chinois ont excédés de voir les Etats-Unis soutenir depuis des années les islamistes dans tout le monde musulman, y compris en Tchétchénie et au Sin-kiang. Et maintenant, c’est la France qui s’y met, en faisant même de la surenchère !
La coalition arabe conduite par l’Arabie saoudite a déclaré mercredi 30 septembre avoir intercepté en mer d’Oman un bateau de pêche iranien chargé d’armes destinées à des rebelles chiites yéménites. Mahmoud Abbas a expliqué ne plus se sentir lié par les accords d’Oslo le même jour. Peut-on imaginer un embrasement suite à plusieurs dérapages ou positions controversées au Moyen-Orient ? Un conflit plus important pourrait-il en découler ?
Roland Lombardi : Non je ne le crois pas. Tant que les Russes parlent aux Américains, aux Iraniens et aux Israéliens, il n’y aura pas d’embrasement dans la région. Poutine ne déclenchera pas une Troisième guerre mondiale pour la Syrie. Obama, le prix Nobel de la Paix en 2009 et dont le mandat touche à sa fin, non plus. Ce sera difficile mais je pense au contraire que les Russes et les Américains finiront par s’entendre sur les dossiers syrien et irakien.
Roland Hureaux : Compte tenu des relations froides mais rationnelles qui se sont établies entre Poutine et Obama, je ne crois pas qu’un dérapage de première grandeur soit à craindre dans l’immédiat, en tous les cas à partir de la Syrie. Nous sommes passés bien plus près de la guerre mondiale quand les Etats-Unis avaient envisagé de bombarder l’armée syrienne en septembre 2014 à la suite de la découverte de l’usage d’armes chimiques. Heureusement Obama a renoncé à le faire. Notamment parce qu’il était assez bien placé pour savoir que l’emploi de ces armes chimiques était une provocation des djihadistes soutenus par l’Arabie saoudite et non pas le fait du régime d’Assad auquel
ils voulaient le faire endosser pour provoquer une escalade. Même si Fabius revient inlassablement dessus, personne ne pense sérieusement aujourd’hui que l’armée syrienne ait été responsable. Autre raison : trois tirs d’essai en direction de la Syrie que les Américains avaient effectués en Méditerranée
ont été neutralisés, sans doute par brouillage électronique, par les Russes. Je sais que les différents intervenants présents dans le ciel syrien – ils sont nombreux – se concertent pour éviter une bavure involontaire. Mais la situation est fragile.
Pour ce qui est de la rivalité Israël-Arabie saoudite contre Iran, il est vrai que le Yemen est aujourd’hui un champ d’affrontement ouvert pour le plus grand malheur des populations, là aussi. Israël qui veut assurer ses arrières en cas de conflit, semble avoir apprivoisé le Hamas, notamment avec l’aide de l’Arabie saoudite. Quant à Mahmoud Abbas, il est désormais tenu pour quantité négligeable, ce qui explique peut-être sa réaction. Mais il se peut aussi qu’il ait eu vent d’un risque d’embrasement plus important dans cette région, impliquant Israël et qu’il veuille se délier de tout engagement antérieur, même minimal, à son égard. Mais dans ce cas, ce n’est pas à un dérapage qu’on assisterait mais à une guerre voulue.
Le grand fait nouveau, qui bouscule les schémas que l’on connaissait depuis des années dans cette région est l’accord de juillet entre Washington et Téhéran. Cet accord n’a pas été accepté par les faucons israéliens : certains d’entre eux ne désespèrent pas d’en découdre avec l’Iran avant que ce pays, libéré des sanctions, ne devienne une grande puissance économique, ce qu’elle a aujourd’hui la capacité de devenir très vite.
Cet accord, voulu par Obama, comporte un volet syrien que l’on ne connait pas bien mais qui impliquerait le maintien en place, au moins provisoire, d’Assad.
L’efficacité de l’offensive diplomatique mise en place par les Nations Unies est relative. Doit-on y voir l’échec de la diplomatie et des institutions internationales dans la région ?
Roland Lombardi : Des institutions internationales peut-être. Mais de la diplomatie, je ne le pense pas. Au contraire. L’entrée en action de l’armée russe en Syrie a paradoxalement poussé les diplomates et les militaires russes et américains à dialoguer, échanger et se coordonner comme jamais auparavant. La guerre contre l’Etat islamique sera longue et encore difficile. Mais qui sait ? En unissant, même indirectement, Américains, Russes, Iraniens, Saoudiens et Israéliens contre lui, Daesh peut peut-être, à plus ou moins long terme, changer positivement la face du Moyen-Orient.
Roland Hureaux : Comment voulez-vous que les Nations-Unies puissent être efficaces si plusieurs membres permanents du Conseil de sécurité sont impliqués dans des camps adverses ? Elles ont quand-même aidé Obama à résister à la pression du Congrès qui a lui aussi du mal à accepter l’accord avec Téhéran.
L’Orient est compliqué dit-on. C’est vrai, mais la guerre simplifie. Dès lors que vous avez une guerre civile très dure comme en Syrie, il n’y a sur le terrain que deux camps et la paix ne vient que quand l’un des deux camps l’emporte. Pour les Russes, c’est clair, il faut que le gouvernement syrien l’emporte car lui seul a la légitimité internationale et que si le régime actuel n’est pas un bien, il est au moins un moindre mal.
Les Occidentaux disent vouloir combattre Daesh mais en même temps ils ne veulent pas que le régime de Damas l’emporte car Assad est parait-il l’horreur absolue (une conception où il y a naturellement plus qu’une part de propagande). Leur attitude est schizophrénique.
Il faut certes opérer des distinctions entre les Occidentaux : il se peut qu’Obama veuille sincèrement résoudre le problème syrien mais si ce sont les Russes qui mènent le jeu, ils gagneront un surcroit de prestige dans la région. Est-il prêt à l’accepter ? J’en doute d’autant qu’ Obama est harcelé par les lobbies néo-cons encore très influents qui ne veulent pas non plus d’accord. Quant à la France, sa politique est sous l’influence des mêmes lobbies et, si l’on écoute avec attention les discours de Hollande et Fabius, il est clair que pour eux l’homme à abattre reste Assad et que donc ils veulent saboter l’accord Obama-Poutine. S’ils y parviennent, ce qui reste à prouver car la France est, hélas, de moins en moins prise au sérieux dans cette région, cela signifiera la poursuite de la guerre et donc la poursuite du malheur du peuple syrien et donc de l’afflux de réfugiés en Europe. Des réfugiés qui seraient bien sûr encore plus nombreux si Daesh gagnait la guerre.
Etonnante politique française qui s’acharne depuis quatre ans sur la seule République laïque (je n’ai pas dit démocratie) de la région et la seule force (avec les Kurdes) qui combatte au jour le jour le djihadisme sur le terrain.
Jusqu’à cette année, la population syrienne, hostile à Assad au début mais qui aujourd’hui le soutient contre les djihadistes, espérait le retour à la paix pour rentrer chez elle et vaquer à ses affaires. Mais depuis cet été beaucoup ont le sentiment que la paix n’est hélas pas pour demain, pour toutes les raisons que je viens de vous dire et, désespérés, ils font tout pour partir en Europe, surtout depuis qu’Angela Merkel a laissé entendre qu’on n’attendait qu’eux.
Ajoutons la dégradation de l’économie syrienne, non seulement du fait de la guerre mais aussi des sanctions très lourdes infligées par l’Union européenne (même l’envoi de médicaments en Syrie n’est pas possible). Bruxelles impose des sanctions: ces sanctions provoquent l’exode et Bruxelles organise, dans les conditions que vous savez, l’accueil des réfugiés. La boucle est bouclée.
S’il veulent aller surtout en Allemagne n’imaginez pas que ce soit seulement à cause de la situation économique outre-Rhin. Beaucoup de ces réfugiés en sont venus à tenir la France pour responsable du fait que la guerre continue. L’Allemagne, elle aussi, aide les djihadistes mais de manière plus discrète. L’image de la France qui était bonne dans ce pays, toutes confessions confondues, est devenue aujourd’hui désastreuse, sauf peut-être chez quelques djihadistes coupeurs de tête qui n’ont pas pour autant l’intention d’épargner les nôtres.
Propos recueillis par Rachel Binhas
2/10/2015
(1) Roland Lombardi est cadre en entreprise, consultant indépendant et analyste chez JFC-Conseil. Il est docteur en Histoire, spécialisation Mondes arabes, musulman et sémitique. Il a soutenu en 2015 sa thèse, Les relations franco-israéliennes durant la guerre du Liban (1975-1990), au regard de la politique arabe de la France initiée à partir de 1962, à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) d’Aix-Marseille Université.
(2) Roland Hureaux, ancien élève de l’ENS et de l’ENA, Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes. Il a une très large connaissance de la sphère publique sur laquelle il n’a cessé de jeter un regard critique.
Il est l’auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes
Source : Atlantico.fr
Correspondance Polémia – 8/10/2015
Image : les bombardements russes s’intensifient en Syrie.