« Organiser un référendum sur l’Europe, aujourd’hui en France, serait irresponsable » selon M. Juppé (*). Mais irresponsable pourquoi ? Pour qui ?
Nous ne pouvons pas imaginer que le maire de Bordeaux considère que le peuple puisse être irresponsable. Si tel était le cas, ce serait un véritable tsunami, car, par une telle déclaration, il remettrait en cause le bienfondé du suffrage universel, tout simplement.
Ce que nos oligarques redoutent par-dessus tout, est que l’expression du peuple les oblige à quelques contorsions voire, parfois, à un renouvellement de votations jusqu’à l’obtention du résultat escompté.
Aux dernières nouvelles d’ailleurs, pour certains, le Brexit ne serait pas un « vrai » Brexit, mais un faux, juste une erreur.
Rien ne leur fait peur, y compris de jeter dans la benne 700.000 pétitions contre le mariage homosexuel, de continuer à subir les diktats de Bruxelles en fermant les yeux sur les suicides dramatiques des agriculteurs. Ces enfants de la Révolution française sont parvenus à l’absolutisme le plus extrême en navigant dans une démocratie sans peuple.
Ils guillotinent le peuple qui n’existe plus. L’entendre serait prendre le risque d’affronter la peur des fantômes.
Gouvernement sans pouvoir
Au-delà de l’organisation kafkaïenne des institutions européennes qui anéantit le libre arbitre des nations, cette désintégration des réalités du peuple, dans les représentations de ceux qui pensent encore être nos gouvernants, entraîne la dissolution irrémédiable de leur pouvoir.
Les « puissants » se résument à être des zombis « médiatiques» qui se dupliquent dans l’univers assourdissant mais, en définitive, limité de la presse pour faire oublier que, sans relation charnelle au peuple, le statut de personnage public leur échappe. Dans l’impossibilité de ressentir ce peuple qui n’existe plus pour eux, ils sont dans l’incapacité de prévoir son destin. Les capitaines à la barre sont sans vision et sans pouvoir. Ils ne gouvernent que leurs carrières et ne sont en rien un « gouvernement ».
La vieille lutte marxiste aboutit à une défense de privilèges relevant de la propriété privée et à une société où les élites n’ont jamais été aussi protégées des aléas et, en cela, isolées du monde. Elle a donné naissance à une classe mondialisée de luxe et à une société sans peuple.
Un NON-monde
Après que la modernité ait pris l’homme et ce qui le constitue, sa religion, son éducation, sa culture, sa nature politique et sa nature tout court, comme sujet d’étude, il semblerait que la postmodernité l’ait objectivé jusqu’à disparition de son essence, de son être au monde. Maintenant, tout cela disparait sous nos yeux : l’enseignement s’est transformé en loisir pour des enfants qui apprennent par eux-mêmes, les arts et le monde culturel cultivent le rien et le néant où les visages, les paysages et les lignes mélodiques sont bannis et la politique se fait hors cité car hors peuple.
En définitive l’éducation actuelle détruit l’enseignement, comme l’économie hors sol détruit les ressources naturelles, l’écologie agressive nuit considérablement à l’agriculture, l’égalitarisme lèse l’expression des singularités naturelles.
Nous voyageons sans mouvement devant nos écrans et nous vénérons une religion sans Dieu : les Droits de l’Homme qui sont les maîtres d’œuvre de notre servitude en faisant de nous des passifs accomplis dont la seule expression reconnue est la revendication. La responsabilisation, clé de voute du décalogue, porteuse d’évolution et de confiance a été anéantie sous l’amour d’un confort qui s’avère constricteur.
En quelque sorte, nous vivons un NON-monde, l’aboutissement de la déconstruction de la nature vivante et de l’immatériel essentiel qu’elle sécrète. Nous préparons l’univers aseptisé des cyborgs en gestation dans la Silicon Valley.
Veillons à ce que la résistance ne soit pas touchée par ce virus qui transforme l’or en boue et la boue en or et que les patriotes volontaires ne se perdent pas dans des détails débiles et qu’ils fassent front.
Laurence Maugest
28 juin 2016
(*) Le Monde du 27 juin 2016