Par Pierre Boisguilbert ♦ Eric Zemmour aime les Français, Bernard-Henri Lévy hait « tout ce qui est franchouillard » et rien de ce qui est national n’est sien. Le premier accepte tout l’héritage d’une histoire de 2000 ans, le second focalise sur le sort des juifs dans cette histoire. Le choc entre ces deux intellectuels juifs est bien le reflet de deux conceptions du passé pour bâtir l’avenir. Zemmour est le champion du devoir d’histoire, BHL celui du devoir de mémoire.
Devoir de mémoire sélectif
On notera que ce débat met la présidentielle à la hauteur de ce qu’elle doit être : une vision de la France et un projet. Comme le dit très justement Zemmour, l’élection présidentielle « n’est pas un vote pour désigner un Premier ministre » car il n’y a pas, n’en déplaise aux commentateurs, que le pouvoir d’achat et l’économie. Zemmour a déjà gagné : il a remis la présidentielle à son niveau. Il parle de la France aux Français et plus seulement des « valeurs de la République ». BHL, lui, parle des valeurs de la République, mais les limite au seul sujet qui l’intéresse, la lutte contre l’antisémitisme. Il est le champion d’une sensibilité juive de l’histoire. Son devoir de mémoire sélectif est si fort qu’il le pousse au nom du passé à refuser la vérité du présent.
L’antisémitisme d’extrême droite n’a pas disparu mais il ne menace pas les juifs français qui quittent leur quartier, et parfois le pays, non par peur des chemises brunes mais sous la pression de l’islamisme. Les juifs français votaient à gauche, ils votent bien plus à droite car, contrairement aux discours datés de ceux qui prétendent parler en leur nom, ils ont bien compris la nature du péril réel pour eux aujourd’hui comme en témoigne le livre de Georges Bensoussan, Les Territoires perdus de la République (paru en 2002). Ce péril, c’est celui que dénonce Zemmour et qui menace égaiement le destin français.
Le danger, c’est de voir cette présidentielle se transformer en débat sur la Seconde Guerre mondiale. BHL veut assigner Zemmour à son identité juive et le juge, en gros, traitre aux siens. Zemmour se veut bien plus Français que juif et considère BHL comme un traitre à la France. Zemmour a une lecture de l’histoire et même de la Seconde Guerre mondiale qui frôle le révisionnisme de l’histoire officielle. Il prend un gros risque en allant sur ce terrain. Il l’assume, car l’homme dit ce qu’il pense et parait se moquer de la diabolisation. Les accusations de pétainiste, fasciste, raciste, homophobe et sexiste n’ont pour le moment eu aucun impact sur sa progression dans les sondages. Mais cela pourrait ne pas durer. Pour Zemmour, ses adversaires se trompent d’époque : on peut parler librement du passé et il voudrait même qu’on en parle encore plus librement en revenant sur certaines lois limitant la liberté d’expression. Il veut briser le tabou politique de l’historiquement correct. C’est pour lui, passionné de la lecture du passé une condition de la victoire politique des droites. Il est à l’opposé du profil bas d’une Marine Le Pen qui s’est recentrée en commençant par désavouer son père sur ses sorties sur cette période. Zemmour va se heurter à forte partie. Car BHL et les siens ne lâcheront rien.
Deux visions
L’actualité, cette histoire de l’instant, donne incontestablement raison sur sa vision de l’avenir de la France à Zemmour. Mais BHL ne peut l’accepter. Rien ne le fait douter, il est le bon dreyfusard pour toujours et à jamais. Pourtant, sa vision « humaniste » des choses a débouché sur des désastres politiques et humanitaires. On connait sa responsabilité dans la funeste aventure libyenne, il a été pour les guerres contre l’Irak puis la Syrie. Il a été un artisan de la déstabilisation de la région et en conséquence de l’importation sur notre sol du terrorisme islamique par esprit de vengeance. Il considère aussi l’antisionisme comme un avatar de l’antisémitisme et son patriotisme pro-israélien fait peu de cas des souffrances palestiniennes. On en voit les conséquences depuis des années dans nos banlieues en proie à une sorte d’intifada rampante. Si on posait la question aux deux hommes : « Faudrait-il mourir pour Israël en cas de conflit menaçant l’état hébreu ? »… on obtiendrait deux réponses différentes mais révélatrices des hiérarchies patriotiques de chacun.
Il ne faudrait pas cependant que la présidentielle se limite à un affrontement entre visions juives de la France. Mais, en fait, il n’y en a qu’une : celle de BHL, l’autre étant franco-française comme jamais depuis longtemps. Le devoir d’histoire est de retour.
Pierre Boisguilbert
18/10/2021