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Banlieues : une économie de rente en révolte

Banlieues : une économie de rente en révolte

par | 2 juillet 2023 | Société

Banlieues : une économie de rente en révolte

La France a subit une quatrième nuit d’émeutes ultra-violentes. Pour mieux comprendre la situation, nous republions pour nos lecteurs un texte datant de 2005 à propos des émeutes de cette même année. Bien entendu, en 18 ans, la situation a dramatiquement empiré.
Polémia

Les violences urbaines et les émeutes ethniques de la Toussaint, ou plutôt du ramadan 2005, ont jusqu’ici fait l’objet de la part des autorités politiques et médiatiques d’un double traitement sémantique à base de « fermeté et de justice ».
Quelques mois de prison ferme d’un côté pour les émeutiers, des torrents d’eau de rose pour les habitants des cités, de l’autre. Mais la réalité des banlieues est complexe : il n’y a pas d’un côté des petites minorités aussi oisives qu’agressives, de l’autre une masse de travailleurs désireux de s’intégrer ; malheureusement, il y a aussi une partie importante de la population des cités qui s’est installée dans une économie de rentes : rente des trafics, rente des activités parallèles, rente sociale, rente des services publics, rente d’emplois, rente idéologique.
Explications.

1. La rente des trafics

La première opinion qui court sur les banlieues consiste à opposer populations tranquilles et jeunes délinquants, et, au sein de ceux-ci, à distinguer les « petits délinquants » des « gros trafiquants ». La réalité est autre : c’est la connexion du business entre les gros trafiquants et les petits délinquants – qui servent de vigies et de passeurs aux premiers – et le fait que le bénéfice des trafics, gros ou petits, profite à une partie importante de la population des cités en termes de redistribution des revenus, dans les cercles familiaux et claniques, des emplois à partir des entreprises et des commerces créés avec l’argent des trafics, sans même parler des aumônes versées à certains imams qui permettent le développement d’un islamisme militant et souvent radical.

Les trafics d’ailleurs, ce ne sont pas seulement les trafics de drogue, ce sont aussi les trafics de cigarettes, les trafics de jeux, le racket et les vols avec ou sans violence : chacun trouvant ensuite son intérêt à acquérir – à bon marché – auprès des receleurs les biens de consommation du monde moderne pour soi-même et ses proches ou pour en faire bénéficier le pays d’origine à l’occasion des vacances d’été : les véhicules lourdement chargés qui prennent en juillet la route du Sud ne transportent pas uniquement des objets payés avec factures…

Certes, il serait injuste de dire que 100 % d’une cité vit ainsi ; mais il est parfaitement illusoire de faire semblant de croire que cela ne concerne que quelques pour cent des habitants des cités les plus chaudes.

De ce point de vue, ce qui est à l’origine des émeutes, ce ne sont pas, contrairement à ce qui est répété en boucle, les expressions vigoureuses de Nicolas Sarkozy, c’est la création et la réussite des GIR, c’est aussi la volonté de renforcer le dispositif policier sur le terrain : ce n’est sûrement pas un simple hasard si les émeutes coïncident avec l’implantation dans les banlieues les plus difficiles de 17 compagnies de CRS et de 7 escadrons de gendarmerie ; c’est la réaction de tous ceux qui ne veulent pas risquer de voir se réduire les zones de non-droit.

Derrière les petits émeutiers, l’enjeu de la bataille c’est donc la défense des trafics par tous ceux qui en profitent et pas seulement les caïds.

2. La rente de l’économie parallèle

Souvent financée par l’argent des trafics, une économie parallèle se développe dans les banlieues : commerces de bouche et restaurants, appliquant pour le moins imparfaitement les réglementations sanitaires, sociales et fiscales ; commerces de réparation et de transformation d’automobiles à base de pièces usagées, contrefaites ou volées et à qui les incendies de voitures vont donner de nouveaux clients : certaines victimes qui n’auront guère les moyens d’acheter des véhicules neufs étant conduits à se retourner vers des revendeurs marrons ; sociétés de sécurité qui prospèrent en recrutant dans les mêmes milieux que les bandes de délinquants et en obtenant des marchés captifs de l’économie officielle encore présente en périphérie des cités (commerces, entreprises) ou desservie par des transports en commun (centres commerciaux).

3. La rente sociale

Beaucoup d’habitants des cités des banlieues vivent aussi de la rente sociale que leur procurent les allocations familiales (conséquentes pour les familles très nombreuses généralement issues du Maghreb ou d’Afrique), les aides sociales diverses, municipales et départementales, voire des aides ménagères, le RMI ou la CMU. Dans ce dispositif, le RMI est central, car, outre le revenu, il procure une multitude d’avantages complémentaires qui rendent peu attractive la recherche d’un travail officiel mais qui constituent un appoint appréciable aux petits trafics. Dans cette même logique de rente sociale, on trouve les emplois artificiellement aidés et qui maintiennent dans l’assistance.

4. La rente des services publics

Ajoutons-y la rente des services publics.
Toutefois, pour la première fois, le discours sur le « manque de moyens des banlieues » s’est heurté à l’incrédulité générale : réunis le 3 novembre, dans les ors de Matignon par le Premier ministre, les maires de banlieue – socialistes, UDF ou UMP – ont repoussé par avance un « énième plan Marshall ». C’est que depuis trente ans – très exactement depuis l’ouverture des crédits « habitat et vie sociale » à la fin des années 70 – les banlieues reçoivent une abondance de crédits. Il y a belle lurette que, comme le souhaitait Michel Rocard, les cages d’escaliers ont été refaites : et les cités HLM sont très souvent aujourd’hui physiquement en bien meilleur état que les petites copropriétés modestes.

Le maire socialiste de Trappes où 27 autobus ont été incendiés le 3 novembre soulignait à quel point l’habitat avait été rénové dans sa commune… sans que cela suffise à régler les problèmes.

S’agissant de l’Education nationale, les cités sensibles ont avec les ZEP le plus fort taux d’encadrement d’élèves par les professeurs (on compte en moyenne de l’ordre de 10 élèves par professeur dans les collèges) de France et même du monde. Et il est peu vraisemblable qu’un effort supplémentaire change quoi que ce soit à la réalité économique et sociale des banlieues.

Les communes elles-mêmes ont beaucoup investi en lieux de sociabilité et en crédits associatifs et la desserte des banlieues par les transports en commun, bus, trains, métros, tramways, s’est considérablement améliorée en générant un volume de dépenses publiques sans commune mesure avec les recettes. Ainsi le quartier du Luth à Gennevilliers va être desservi par un RER, un métro et un tramway… ce qui n’empêche pas les voyous du quartier de s’agiter.

5. La rente idéologique

Si les émeutes ethniques de novembre 2005 se sont aussi facilement développées, c’est qu’elles ont rencontré de la part de la population qui vit dans les banlieues une double attitude : la résignation de ceux qui en souffrent mais ne peuvent s’y opposer sauf à y risquer leur vie, et la complicité des autres qui laissent leurs fils, leurs frères, leurs neveux ou les fidèles de leur culte s’y livrer.

Comme le note le sociologue Michel Wievorka dans « Le Parisien » du 4 novembre : « Les habitants de ces banlieues jeunes ou moins jeunes sont certes les premières victimes des violences, mais dans le même temps, ils ressentent une certaine solidarité avec cette jeunesse enragée. »

Et d’ailleurs dans l’état actuel des faiseurs d’opinion et des décideurs qui leur sont soumis, la fin des émeutes risque de déboucher sur une amélioration de la rente des banlieues : rente des trafics et de l’économie parallèle que la police de proximité gênera moins qu’une police plus répressive ; rente sociale et rente des services publics fruits de l’hypothétique « dialogue » conduit par les pouvoirs publics.

La rente économique et sociale des banlieues s’appuie d’ailleurs sur une rente idéologique : la culpabilisation de la France et des Français par la mise en cause de leur racisme, de la colonisation et de l’esclavage.

En servant de légitimation à tous les actes de violences ou d’incivilités, l’antiracisme a généré une nouvelle forme de racisme : le racisme des éléments les plus radicaux des « minorités visibles » à l’égard des représentants de la majorité française d’origine qui se trouvent minoritaires dans les cités. D’ailleurs, les seules victimes de meurtres jusqu’ici ont été Jean-Claude Irvoas tué à Epinay pour avoir voulu résister au vol de son appareil photo et Jean-Jacques Le Chenadec tué pour avoir résisté à l’émeute en tentant d’éteindre, à Stains, un feu de poubelles.

Par ailleurs, en servant de légitimation à la victimisation des « minorités visibles » et à leurs revendications, la critique de l’œuvre de la France coloniale génère des demandes en réparations. Elle légitime aussi les violences ; en tout cas elle les excuse par avance, au nom de « la lutte contre la gestion coloniale des banlieues » dénoncée par le « Mouvement des indigènes de la République » sur le grand portail islamique « oumma.com ».
Et d’ailleurs les émeutes initiées à Clichy-sous-Bois trouvaient leur légitimité sur le site de la mairie de cette ville qui ouvrait en Une sur la répression policière de la manifestation parisienne du FLN le 17 octobre 1961.

Est-il vraiment utile, 45 ans plus tard et… après quatre décennies d’échec des gouvernements algériens successifs, de rouvrir les plaies de la guerre d’Algérie ?

Car comment un peuple peut-il assurer son présent et, qui plus est, parvenir à assimiler des éléments étrangers quand il efface la mémoire de son passé ou accepte de la voir diabolisée ? Fermer le Musée des arts et traditions populaires des provinces françaises au profit de l’ouverture d’un hypothétique Musée des arts euro-méditerranéens c’est renier une partie de la culture nationale. Laisser à l’abandon le Musée de la France d’outre-mer pour le remplacer par un Musée de l’immigration, c’est avoir honte de son histoire. Ce n’est pas ainsi qu’on peut donner la fierté d’être ou de devenir français.

Bref comment défendre la République dans les banlieues quand on fait passer Jules Ferry pour Hitler ? Et De Gaulle pour Pinochet ?

Sans même parler des droits à réparations communautaires réclamés par ceux qui se pensent comme des descendants d’esclaves et qui oublient que, si toutes les civilisations ont pratiqué l’esclavage (la civilisation arabo-musulmane encore tout récemment), une seule l’a aboli : la civilisation européenne.

6. Il ne faut pas changer de politique, il faut changer de paradigmes

Aujourd’hui la sortie de crise passe d’abord par le rétablissement de l’ordre et de la paix civile dans les banlieues.

À terme, la pacification des quartiers ethniques ne passera ni par la problématique « tolérance zéro » qui supposerait la construction de plusieurs centaines de milliers de places de prison, ni par des rencontres mondaines avec des représentants choisis ou autodésignés des « minorités visibles », ni même par une injection de crédits supplémentaires mais par un changement de paradigmes.

Ce qu’il faut abandonner, c’est le discours dominant des trois dernières décennies : non, n’en déplaise à Bernard Stasi, qui y doit 20 ans de carrière politique et médiatique, « l’immigration (n’) est (pas) une chance pour la France » mais un boulet économique et social ; non, l’intégration, ça ne marche pas, en tout cas pas pour des masses nombreuses issues de certaines aires civilisationnelles ; non, l’antiracisme ne facilite pas l’intégration, au contraire, il la rend plus difficile en débouchant sur un racisme à rebours et la diabolisation de l’identité française ; non l’État-providence et la commune-assistance ne règlent pas tous les problèmes économiques et sociaux, ils les enracinent dans la durée.

Le véritable problème des banlieues n’est pas technique. Il est politique, il est moral. Il suppose que les Français et les Européens abandonnent leur complexe de culpabilité et retrouvent leur dignité et la fierté de leur histoire. Il suppose aussi que chacun soit mis en face de la responsabilité de ses actes et de ses comportements car il n’y a pas de droits, y compris à l’emploi, sans devoirs. Bref, il faut sortir de l’économie d’assistance et de la morale de culpabilité et tout redeviendra possible !

Mais cela implique, il est vrai, un renversement de l’univers médiatique dominant.

Polémia
Première publication le 07/11/2005

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