Suite aux événements de Joué-lès-Tours, Dijon et Nantes, l’éditorialiste du journal Le Monde, Gilles Van Kote, signe le 25 décembre 2014 un éditorial magistral sous le titre « Ne cédons pas à la confusion des esprits ». Magistral, en effet, car M. Van Kote cherche manifestement à nous indiquer ce que nous devons penser de ces affaires pour rester politiquement correct. Magistral, aussi, car l’auteur réussit la performance de résumer en quelques lignes bien enlevées les meilleures techniques de désinformation médiatique en usage dans ce célèbre quotidien du soir.
Suivons donc le guide !
Des questionnements alambiqués
Après avoir admis, du bout des lèvres, que ces événements « suscitent l’inquiétude, ce qui est normal » (ah bon, l’inquiétude c’est normal ?), M. Van Kote entre dans le vif du sujet : il faut éviter à tout prix des « amalgames regrettables » entre « islamistes et musulmans, terroristes et déséquilibrés, djihadistes ». C’est important, en effet, et pour ce faire notre éditorialiste va faire de son mieux.
D’abord, il commence par poser des questions alambiquées afin de semer le doute dans l’esprit du lecteur. C’est classique.
Ainsi M. Van Kote se demande gravement si on est terroriste quand on fauche 13 passants à Dijon « sous prétexte qu’il l’a fait au cri d’Allahou Akbar » ? Il se demande aussi si celui qui a foncé dans la foule à Nantes et qui était placé sous curatelle a voulu s’attaquer « à un symbole, d’ailleurs tout relatif, de l’Occident chrétien » ?
On notera que M. Van Kote se demande si on est terroriste quand on crie Allouha Akbar, mais ne se demande pas, par contre, si on est musulman en le faisant. On notera de même qu’un marché de Noël n’est pas forcément chrétien à ses yeux.
Soucieux de déconstruire toute possibilité d’amalgame, M. Van Kote s’efforce consciencieusement, en effet, de dissocier les éléments les uns des autres et surtout d’éloigner le plus possible la religion de ces affaires tragiques.
Car s’agit-il d’un hasard accidentel malheureux à quelques jours de Noël, ou bien peut-on dégager des points communs, tenant notamment à la religion des auteurs comme de celle des victimes ? Pour M. Van Kote, « bien évidemment » c’est la première réponse qui s’impose.
Les subtils distinguos ou l’art de sodomiser les coléoptères
Pour ce faire, notre éditorialiste va s’ingénier à créer des distinguos subtils pour continuer de troubler le lecteur.
Il faudrait en effet distinguer, selon lui, les actes terroristes « préparés » (il cite comme exemple Mohamed Merah et Mehdi Nemmouche) de ceux qui sont « improvisés ». Peut-être, mais d’abord qu’est-ce qui lui permet d’affirmer que le cas de Bertrand Nzohabonyao est « apparemment improvisé » ?
En outre, M. Van Kote oublie de nous préciser que c’est la finalité d’un acte et sa motivation qui sont ou non terroristes, pas les modalités, plus ou moins complexes, de sa mise en œuvre. On peut commettre un acte terroriste avec un avion, une voiture comme avec une arme à feu ou une bombe.
Continuant dans ses distinguos artificiels, M. Van Kote affirme aussi qu’il ne faudrait pas confondre « malades mentaux et fous de Dieu. Tenants d’un islam rigoriste et terroristes ». Certes, mais telle n’est pas la question posée par ces trois faits.
L’éditorialiste déploie, on le voit, un talent certain pour nous égarer par des questionnements qui cherchent à nous éloigner des faits. On notera aussi en passant l’apparition d’une notion nouvelle : celle du « tenant d’un islam rigoriste », qui permet de désigner sous une apparence positive (la rigueur) un comportement que pour d’autres on qualifierait d’intégriste, voire de fanatique. Mais passons.
L’art de noyer le poisson
Van Kote affirme ensuite qu’il ne s’agit pas, bien entendu, de « minimiser ces actes ni la réalité de la menace terroriste que l’État islamique fait peser sur la France ». Non, bien entendu. Mais cette pétition de principe est immédiatement suivie d’une autre : « Il ne s’agit pas de céder à la peur et à la psychose collective ». Car il ne faut pas voir « derrière chaque geste d’un déséquilibré l’ombre de l’État islamique ».
Admirons l’habilité de notre éditorialiste qui, par cette simple phrase, réussit à nous égarer de nouveau : d’une part, en affirmant que les trois auteurs seraient des « déséquilibrés » (comme si on ne pouvait pas être à la fois déséquilibré et terroriste islamiste, d’ailleurs), ce qui reste à prouver ; d’autre part, en nous faisant croire que certains suggéreraient que leurs actes relèvent de l’action de l’EI, ce que personne n’a jamais affirmé sérieusement.
L’art de la digression
La digression est une autre technique de désinformation consistant à chercher à réduire la portée d’un fait en le noyant dans d’autres considérations.
M. Van Kote développe ainsi une assez longue analyse des moyens d’action de l’EI, non sans nous rappeler, bien sûr (« il est important de le rappeler »), que la vie de milliers de musulmans a été mise en jeu par cette organisation (pour relativiser les victimes qui ne le sont pas ?). Certes, mais quel rapport avec Joué-lès-Tours, Dijon et Nantes ?
M. Van Kote y vient pas à pas.
L’inversion victimaire
Il nous explique, en effet, que l’EI utilise aussi des « techniques modernes de déstabilisation » : les vidéos et l’utilisation des réseaux sociaux qui « font pénétrer au cœur de notre société un imaginaire morbide et violent qui n’est pas sans analogie avec l’univers de certains jeux vidéo ». Au passage on admirera la pirouette mettant sur le même plan « certains jeux vidéo » (lesquels, au fait ?) et les vidéos des islamistes, et aussi l’entrée en scène de l’expression « notre société » que l’on va bientôt retrouver.
Or, quel est l’effet de ces vidéos et réseaux sociaux ? Tenez-vous bien : ils provoquent « la fascination chez des individus déboussolés aux repères brouillés et à la recherche d’un cadre dans lequel construire une image de soi valorisante qu’ils croient trouver dans une caricature d’islam ».
Et pourquoi ces individus sont-ils déboussolés ?
M. Van Kote nous éclaire enfin : par notre faute car « notre société ne leur offre pas d’espoir de s’accomplir », en raison de « notre difficulté à relever le défi de l’intégration ».
Les djihadistes c’est nous !
Voilà du grand art, car en quelques mots l’éditorialiste réussit à victimiser les auteurs et à nous culpabiliser, puisque, si on le comprend bien, la faute revient à la société française s’ils visionnent des vidéos de l’EI. En outre, ces individus peu nombreux (« cette fuite en avant de quelques-uns ») ne sont pas vraiment musulmans puisqu’ils « croient trouver dans une caricature d’islam » la justification de leurs actes.
Exit donc la religion : ce n’est qu’un problème d’intégration.
M. Van Kote termine son homélie par la bénédiction habituelle qui nous enjoint de ne pas céder à « la peur de l’autre », au « repli sur soi », de reconnaître « l’altérité » et de défendre nos valeurs et notamment la laïcité « afin de ne pas laisser le champ libre à des groupes terroristes comme l’EI ». Donc, si on le suit, c’est la peur de l’autre qui expliquerait le développement de l’EI ?
On se demande évidemment ce que vient faire la laïcité dans ces tristes affaires, à moins que l’auteur ne cherche aussi à nous suggérer que c’est sans doute la faute aux crèches, « emblèmes religieux » et aux marchés de Noël s’il y a des « individus déboussolés » ?
La technique du fil de fer
La technique du fil de fer consiste à affirmer tout et son contraire pour briser la capacité d’attention, comme on casse un fil de fer en le tordant dans un sens et un autre.
M. Van Kote a bien mérité du journal Le Monde sur ce plan.
Son éditorial ne nous apprend rien, en effet, sur ce qui s’est vraiment passé à Joué-lès-Tours, à Dijon ou à Nantes.
Mais il a réussi en quelques lignes à semer la confusion sur la question de savoir s’il s’agissait ou non d’attaques commises au nom de l’islamisme et à inverser au surplus les responsabilités.
Du grand art.
Michel Geoffroy
26/12/2014
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