Un automne sous les bombes – Journal libanais – septembre-décembre 2024 (Éditions Konfident, 170 pages, 18 euros), préfacé par l’ancien directeur du renseignement de la DGSE Alain Juillet, exprime le point de vue poignant d’un homme dont la ville est bombardée durant de longues semaines par l’armée israélienne. L’auteur, David Atallah, est un Franco-Libanais, issu d’une famille de maronites chrétiens et d’Arméniens catholiques, qui dirige un service de gynécologie à l’Hôtel-Dieu de France de Beyrouth. Alain Juillet le dépeint comme un sage qui continue à travailler sans se laisser convaincre par les opérations d’influence conçues par les idéologues des deux camps.
L’explosion des bipeurs
Le 17 septembre 2024, près de 4 000 bipeurs explosent un peu partout au Liban. Des membres du Hezbollah se sont dotés de ces petits appareils pour communiquer entre eux de manière confidentielle.
C’est ce jour-là que David Atallah décide de témoigner de ce qu’il voit et ressent au quotidien, malgré des obligations professionnelles et familiales chargées. De même que l’hôpital américain, son établissement, situé en zone chrétienne, accepte tous les blessés sans discrimination, en mobilisant tous ses services devant l’urgence de la situation.
Les hôpitaux sont vite submergés par l’arrivée de nombreux blessés, dont beaucoup sont défigurés et mutilés. Parmi eux figurent des enfants qui étaient à proximité ou à qui leur père a demandé d’aller chercher un bipeur qui venait de sonner.
Le lendemain, ce sont les talkies-walkies du Hezbollah qui explosent, causant « seulement » 25 morts et 450 blessés contre 12 morts et près de 3 000 blessés pour les bipeurs.
Le début des bombardements
À partir du 24 septembre et pour la première fois depuis 2006, Israël bombarde le Sud de Beyrouth. Le domicile de David Atallah n’est situé qu’à deux kilomètres de cette zone. De grosses explosions, comparables à celle du port de Beyrouth en 2020, se font entendre et font trembler le sol et les immeubles.
« Personne n’est content des frappes israéliennes ici. Ces bombes ne visent pas une religion, une confession, elles visent tout le monde. Elles visent les Libanais. […] Les frappes chirurgicales, celles visant uniquement le Hezbollah, n’existent pas. » Le journaliste de BFM à qui David Atallah fait cette déclaration est d’abord surpris, puis change de sujet…
Trois jours plus tard, il apprend la mort du chef du Hezbollah. « Quand Hassan Nasrallah a décidé d’ouvrir un front de soutien pour le Hamas contre Israël, il l’a fait uniquement pour les intérêts iraniens. Les Libanais sont fatigués, lassés, en ont assez des conflits. »
Le quotidien d’une ville bombardée
Dès le début du mois d’octobre, les rues sont observées toute la journée par des drones MK israéliens qui font « un bruit de fond incessant et stressant ». « Ce buzz monotone devient une torture. »
Des alertes sont diffusées 24 heures sur 24 sur des chaînes d’informations qui relaient les « menaces » communiquées par l’armée israélienne avant les bombardements : « Évacuation urgente. Vous résidez à proximité des infrastructures ou des intérêts du Hezbollah contre lequel IDF [Israel Defence Forces] va agir dans un futur proche. Pour votre sécurité et celle des membres de votre famille, vous devez immédiatement évacuer cet immeuble et les immeubles adjacents et en rester éloigner d’au moins 500 mètres. » Quand ces alertes surviennent durant la nuit, parfois quinze minutes avant un bombardement, des veilleurs tirent en l’air pour réveiller les gens.
Malgré d’énormes « dégâts collatéraux », il existe pourtant une « réelle résilience dans le peuple ».
« Certains bars, restaurants, commerces commencent à rouvrir, même dans les zones les plus touchées ». « L’État-providence n’existe pas ici. Guerre ou non, rares sont ceux qui peuvent se payer le luxe d’arrêter de travailler. »
David Atallah tient quant à lui à poursuivre son activité à l’hôpital, malgré l’angoisse et l’épuisement.
Une population qui n’en peut plus mais…
Le 7 octobre, un an après le massacre commis par le Hamas, Benjamin Netanyahu annonce devant les familles des victimes qu’il continuera à combattre pour « contrecarrer toute menace future contre l’État d’Israël ». Le lendemain, l’armée israélienne étend ses opérations à la partie sud-ouest du Liban.
De nombreux Libanais s’interrogent : « Si Tsahal avait pour objectif de vider cette région de sa population et de l’occuper afin d’agrandir Israël au détriment du Liban, elle ne s’y prendrait pas autrement… »
Trois jours plus tard, le médecin apprend qu’Israël a ciblé des bases de casques bleus de la FINUL installées près de la frontière. Le ministre italien de la Défense parle d’actions « intolérables » et son gouvernement convoque l’ambassadeur d’Israël.
Les bombardements se poursuivent à Beyrouth et dans le reste du pays… Le Hezbollah tire également des missiles dont la plupart sont interceptés par le Dôme de fer.
La guerre change le visage de la capitale, d’autant que des tentes abritent de très nombreux réfugiés.
Plus loin, dans les montagnes, « des Libanais chrétiens, installés bien à l’abri, continuent de faire la fête comme si de rien n’était ». À la mi-octobre, une région chrétienne, sans musulmans, est cependant bombardée pour la première fois. Dans un village qui compte 22 morts, une maison était louée, paraît-il, par un correspondant d’Al-Manar, la télévision du Hezbollah.
Des soldats libanais, qui patrouillaient à bord de leur véhicule, sont victimes d’un tir d’IDF dans le Sud-Liban. « Historiquement, l’armée libanaise évite de se trouver engagée dans les conflits entre Israël et le Hezbollah, mais depuis le début du mois, plusieurs de ses hommes, près d’une dizaine, ont été tués par les bombardements israéliens. »
Le 22 octobre, le quartier où vivent David Atallah et sa famille est touché pour la première fois. Un immeuble s’est écroulé près de chez lui. Les drones continuent leur surveillance en volant à très basse altitude.
Le 27 octobre, le ministère de la Santé libanais dénonce 55 attaques « ennemies » sur des hôpitaux aux Liban et 201 sur des services d’urgence, « en violation flagrante de la convention de Genève ». Selon IDF, le Hezbollah utilise des ambulances et des structures médicales pour se cacher.
En novembre, la situation du pays se dégrade. « On ne sait plus où aller. C’est un pays à trois vitesses désormais : il y a ceux qui sont résilients et qui restent chez eux malgré les bombardements, il y a les chiites qui ont quitté leur maison et qui se réfugient ailleurs et, enfin, il y a les chrétiens dans le nord de la ville ou dans les montagnes qui vivent tout ceci presque dans l’indifférence, en absence de toute compassion. Ils ont fui et ils font la fête le samedi soir. »
Le 21 novembre, les médias annoncent que la Cour pénale internationale a lancé un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahu et Yoav Gallant, son ancien ministre de la Défense.
Le 22 novembre marque le jour de l’indépendance du Liban. En face du domicile de David Atallah, l’immeuble qui abritait un ensemble de cabinets médicaux de médecins chiites est entièrement détruit par un bombardement.
Le cessez-le-feu n’est pas la fin de la guerre
Le 25 novembre, Netanyahu annonce enfin un cessez-le-feu de 60 jours à partir du lendemain à 10 heures. Dans la nuit qui suit, les militants du Hezbollah tirent des coups de feu en l’air pour fêter leur « victoire ». « Quelle victoire ? Qu’ils arrêtent ! »
Deux jours plus tard, Netanyahu précise que le cessez-le-feu ne signifie pas la fin de la guerre… Des drones MK survoler à nouveau Beyrouth tandis que des opérations d’IDF sont menées dans le Sud du pays.
« En Syrie, les extrémistes musulmans sunnites de Daech, rebaptisés autrement, sont en train de s’emparer de la ville d’Alep pour renverser le régime de Bachar al-Assad. […] Si la Syrie tombe entre les mains de Daech, c’est une vraie catastrophe pour nous, les Libanais, et pour tout le Moyen-Orient. » Le 8 décembre, le régime syrien est tombé et Assad est en fuite.
Le 17 décembre, le Premier ministre libanais déclare que la page de la guerre est tournée, même si des plaies subsistent. De son côté, l’armée libanaise annonce que l’existence du Hezbollah n’est plus justifiée. « Beaucoup se félicitent qu’il soit à terre. »
Le jour de Noël, les cloches des églises de Beyrouth sonnent. Selon le gouvernement libanais, 816 attaques israéliennes et violations de l’accord de cessez-le-feu ont eu lieu dans le Sud du Liban entre le 27 novembre et le 22 décembre. Une protestation est transmise au Conseil de sécurité de l’ONU.
Les chiffres officiels pour les mois d’octobre et novembre, côté libanais, s’élève à 3 961 morts, 16 520 blessés et plus de 1,2 millions de personnes déplacées.
Un nouvel espoir
Le 9 janvier 2025, « nous avons enfin un président de la République ! »
Joseph Aoun, ancien commandant en chef de l’armée libanaise, est soutenu par la communauté internationale, dont la France et l’Arabie saoudite.
« Désormais, tout le Liban a espoir en cet homme, car le Liban est une grande nation. »
Johan Hardoy
24/03/2025
- Automne 2024 : Beyrouth sous les bombes - 24 mars 2025
- L’intelligence artificielle, entre dangers et progrès - 14 mars 2025
- Les mensonges de la Résistance communiste - 28 février 2025