De Gaulle se faisait « une certaine idée de la France » ; Sarkozy prétend la « réinventer ». Au-delà de l’exubérance des propos de campagne, Michel Geoffroy propose un décryptage de la signification du mot « changement ». Un mot au cœur des campagnes électorales depuis quarante ans. Un mot qui traduit en fait une volonté de déconstruire la France, « ce cher et vieux pays » (De Gaulle).
Lors de la réunion qu’il a tenue le 6 février 2012 à Annecy, M. Nicolas Sarkozy, qui se présente comme le « candidat du changement » (sic) a notamment déclaré « Tout, absolument tout est à réinventer… Nous ne pouvons pas construire un nouveau monde, une nouvelle Europe avec les idées d’hier, nous ne pouvons pas construire une nouvelle France avec les idées du passé ». Ces propos méritent qu’on s’y arrête. Car ils caractérisent l’oligarchie.
Le « changement » permanent, rejeton de l’idéologie des Lumières
Le thème du « changement » est en effet au cœur du Système : il plonge ses racines dans l’idéologie des Lumières.
Il a donc longtemps été l’apanage de la gauche, du « parti du mouvement » précisément, face à une droite conservatrice de l’ordre social.
L’idéologie des Lumières pose en effet en principe qu’il est non seulement possible mais aussi souhaitable de reconstruire la société à partir de la seule raison, en se libérant notamment des croyances et coutumes « obscurantistes ». C’est ce qu’on appelle aussi le « constructivisme », qui repose sur l’illusion que la raison humaine serait suffisamment forte pour concevoir et faire fonctionner durablement une société idéale à partir de rien. Les partisans des Lumières croient en outre que le coût humain d’un tel changement entrepris au nom du progrès est toujours négligeable.
Mais pour construire le paradis sur terre, il faut d’abord déconstruire l’ancien monde pour « libérer » l’homme. C’est ce mouvement de déconstruction que la gauche nommait « progrès ». Car pour les hommes des Lumières, le passé n’est que ténèbres.
La démocratie entendue comme la dictature des factions « éclairées »
L’instrument politique de cette déconstruction a été l’État et la démocratie politique entendue comme la dictature des factions « éclairées » sur les assemblées élues, phénomène que l’on nomme aussi Révolution. L’égalitarisme a constitué la justification idéologique principale de cette déconstruction.
Avant les Lumières, les gouvernants concevaient les peuples et les nations comme une propriété qu’il fallait défendre et faire fructifier en bon père de famille, dans le respect des droits de ceux qui composaient la société (les « états »).
Avec les Lumières, l’État ne protège plus la société : il doit au contraire la transformer, de gré ou de force.
Car la volonté du peuple n’est licite que si elle se conforme à la définition que ces « éclairés » donnent au mot « progrès » : sinon elle devient factieuse, contre-révolutionnaire, rebelle ou populiste. Ce peuple-là n’a plus droit à la parole : il mérite les Colonnes infernales (contre la Vendée rebelle ou les États confédérés du Sud, également rebelles), le goulag, la police ou la censure.
Le bougisme comme stade suprême du politique
En un siècle, sous l’influence idéologique de la gauche, le changement est ainsi devenu le maître mot du politique. Tout politique doit changer quelque chose pour exister. Car changer revient à progresser : tel est le credo des Lumières. Par construction, on doit préférer le changement, quel qu’il soit, au statu quo.
En 1981 encore, le parti socialiste ne craignait pas de prendre pour slogan : « Changer la vie ». Rien que cela ! Nous sommes entrés dans l’ère du « bougisme », du changement pour le changement.
Pourtant, à la fin du XXe siècle, le thème du changement n’est plus le monopole de la gauche : il a été repris en effet par l’oligarchie occidentale à son profit.
L’oligarchie mondialiste fille spirituelle de la gauche
L’oligarchie a repris les mots de la gauche, mais en les plaçant cette fois au service des puissances d’argent.
On dit que le diable est le singe de dieu : la gauche socialiste et communiste prétendait changer la vie pour sortir du capitalisme. L’oligarchie occidentale change au contraire notre vie, mais c’est… pour mieux la placer au service des intérêts financiers, comme les Grecs en font en ce moment l’expérience paroxystique.
L’oligarchie, avec M. Sarkozy, nous promet des lendemains qui chantent, comme hier l’avant-garde des communistes. M. Sarkozy nous promet ainsi un « nouveau monde » et une « nouvelle France ». Un écho, non pas à la « belle province » canadienne mais à « la France réinventée » que préconise de son côté le MEDEF dans son document Besoin d’Aire. C’est sans doute un heureux hasard.
On saluera l’outrecuidance de ces messieurs et dames qui prétendent tirer un trait sur notre histoire millénaire, pour reconstruire notre pays. Toujours l’utopie de la page blanche !
« Tout, absolument tout est à réinventer », nous dit le bon docteur Sarkozy. Tout serait donc à jeter aux poubelles de l’histoire, à commencer, on le sait, par La Princesse de Clèves ? Par exemple l’idéologie des droits de l’homme qui est effectivement une « idée du passé » ? Ou bien le préambule de la Constitution de 1946 qui appartient aussi « au passé » ?
Mais d’où leur vient de science certaine qu’il faut nous changer, nous les Français de souche ? Le général De Gaulle se faisait une certaine idée de la France, ce « cher et vieux pays ». M. Sarkozy, lui, prétend la réinventer. Au secours !
Car c’est une supercherie que de prétendre fonder une nation en faisant table rase de son histoire et de son passé. M. Sarkozy prétendrait-il réussir là où le communisme en 70 ans de dictature a échoué ?
Déconstruire pour les marchés
Le principal argument de l’oligarchie en faveur du « changement » consistait à soutenir que la France devait s’adapter à la mondialisation des échanges et à la concurrence plus vaste que cela impliquait. De ce changement, en particulier de modèle social, naîtrait une meilleure compétitivité et la prospérité pour tous.
Pendant 20 ans on a donc soumis notre pays et nos voisins européens à la potion libre-échangiste et à la déconstruction des protections qui l’accompagne nécessairement. Aujourd’hui les résultats sont là : chômage structurel, désindustrialisation, immigration, déficits publics, démoralisation du peuple français, et… augmentation de la profitabilité des grandes entreprises transnationales. La France a effectivement « changé » mais pas en mieux pour tout le monde !
Les oligarques ont alors changé… de discours. Comme le déclarait M. Guéant, il faut « changer la France pour qu’elle reste elle-même » (Le Monde du 2 mars 2011). On admirera la dialectique digne du Sapeur Camember qui se jetait à l’eau pour éviter la pluie ! C’est le changement de son modèle social qui permettra de le préserver !
Sortons les apôtres du changement !
Mais pourquoi une nouvelle France ? La France actuelle ne conviendrait-elle pas ? Ce n’est pourtant pas le point de vue des immigrés qui sont chaque jour plus nombreux à s’installer chez nous et qui trouvent manifestement très bien notre pays.
En outre, ce sont les oligarques qui exercent le pouvoir sans partage depuis la fin du XXe siècle, ceux qui ont façonné la France et l’Europe dans laquelle nous vivons, qui nous expliquent maintenant qu’il faudrait tout recommencer. Ce besoin de « reconstruction » sonne comme un aveu d’échec.
Il faut donc décoder leur discours : ce n’est pas pour les Français qu’il faut réinventer la France, mais bien pour la finance. Nuance.
Tous ces messieurs trouvent qu’ils n’en ont pas fait assez dans la déconstruction. Pour les Talibans du changement il faut toujours accélérer les réformes !
« Reconstruire la France » c’est lui demander de s’oublier
« Reconstruire la France », cela veut dire en réalité présenter des finances publiques et sociales en équilibre pour rassurer les investisseurs internationaux. Cela veut dire payer les dettes publiques mais sans inflation, pour rembourser les gentilles banques qui prêtent aux États. Cela veut dire aussi déconstruire toutes les protections sociales qui constituent une entrave à la mobilité de l’emploi. C’est aussi, bien sûr, maintenir les frontières ouvertes, car nos grandes entreprises ont besoin du commerce international pour faire des bénéfices ; elles ont aussi besoin d’immigration et de « diversité » pour peser sur les salaires des autochtones. Cela veut dire un enseignement professionnel de qualité et une recherche financée sur fonds publics, pour soulager les budgets de nos chères entreprises. Cela veut dire, enfin, être un atlantiste bien gentil et non un adepte de la bête indépendance nationale.
Bref, « reconstruire la France » c’est lui demander de s’oublier. C’est lui demander de préférer tout le monde aux Français de souche. C’est la faire devenir anglaise et protestante, voire musulmane, ce qui ne sera pas un problème si elle parle anglais et si elle se place au service de nos alliés qui nous aiment tant… Comme l’écrivait M. Sarkozy en 2006 (Témoignage, Éditions XO 2006, pp. 277 et 280) : « Je pense que les Français attendent une France d’après… C’est une France où l’expression “Français de souche” a disparu. » Nous voilà avertis sur la nature de la reconstruction que nous promet M. Sarkozy !
Mais, au fait, plutôt que de changer la France, pourquoi ne pas changer de gouvernants ? Ne serait-ce pas finalement plus simple et beaucoup moins coûteux ?
Michel Geoffroy
22/02/2012
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