Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia
♦ L’Institut ILIADE a organisé son 3e colloque sur le thème « Transmettre ou Disparaître ». Nous publions ici les conclusions de Jean-Yves Le Gallou. Face au monde de dérision du dernier homme ricanant, l’auteur prône le recours à notre longue mémoire identitaire.
Polémia
« Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! (…) Les temps sont proches où l’homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son désir, où les cordes de son arc ne sauront plus vibrer !
Je vous montre le dernier homme.
Amour ? Création ? Désir ? Etoile ? Qu’est cela ? Ainsi demande le dernier homme, et il cligne de l’œil.
La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout. Sa race est indestructible comme celle du puceron ; le dernier homme vit le plus longtemps.
Nous avons inventé le bonheur, disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil. (…)
Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poisons enfin, pour mourir agréablement. (…)
Qui voudrait encore gouverner ? Qui voudrait obéir encore ? Ce sont deux choses trop pénibles. Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux : qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous .»
Voilà ce qu’a écrit Nietzsche dans le prologue d’Ainsi parlait Zarathoustra.
Le dernier homme ? Un présentateur de télévision qui ricane entre deux shoots
Eh bien, nous y sommes ! Le temps du dernier homme est arrivé. C’est l’esprit qui nie tout. C’est la dérision qui se répand partout. C’est l’instant qui prime. Ce sont les paradis artificiels qu’on promeut. C’est la culture de mort qu’on met en avant. C’est la virilité qu’on dénigre. C’est la féminité qu’on dégrade. C’est la déambulation touristique privée de sens.
Qu’est-ce que le dernier homme ? Un présentateur de télévision qui ricane entre deux shoots ! C’est le petit que pourraient faire ensemble Yann Barthès et Cyril Hanouna.
Le dernier homme proclame Je suis Charlie et ouvre ses frontières. Le dernier homme combat ses ennemis en allumant des bougies. Le dernier homme confie sa sécurité à des mercenaires venus d’ailleurs. Le dernier homme réchauffe ses ennemis dans son sein.
Nous savons depuis Paul Valéry que les civilisations sont mortelles. Et depuis Spengler nous nous interrogeons sur le Déclin de l’Occident. Au XVIIIe siècle déjà le philosophe italien Giambattista Vico s’interrogeait sur le cycle des civilisations. Pour lui, à l’âge des Dieux succédait l’âge des héros, puis l’âge des hommes. Nous sommes peut-être à l’âge du dernier homme, antichambre de la décadence. Mais ni la barbarie ni l’islamisation ne sont des fatalités.
Même si nous apprécions l’intellectuel courageux, nous ne pouvons pas suivre le regard désabusé de Michel Onfray dans Décadence.
Ni fatalité, ni sens de l’histoire : des cycles s’achèvent
Dans la conscience européenne, il n’y a ni fatalité ni sens de l’histoire. L’histoire européenne n’est ni linéaire ni prédéterminée.
L’histoire, c’est aux Européens de lui donner un sens. Et de tracer leur devenir alors que des cycles s’achèvent.
Enfanté à Berkeley et à Woodstock, propulsé en France par Mai 68, le cycle historique de déconstruction de toutes les traditions s’épuise. La loi Taubira sur le « mariage gay » aura été son chant du cygne. Des forces immenses se sont levées. C’est le réveil des permanences anthropologiques.
Le cycle de culpabilisation commencé en 1945 a terminé son expansion ! Au départ, il a concerné l’Allemagne et sa responsabilité dans ce qui a été nommé la Shoah. Puis, curieusement, cette culpabilité s’est étendue à tous les pays d’Europe, appelés à partager la culpabilité allemande, à laquelle on a ajouté, pour faire bonne mesure, les crimes de la colonisation et de l’esclavage.
Les peuples d’Europe de l’Est refusent aujourd’hui ce fardeau. Partout à l’Ouest des mouvements identitaires se réveillent et retrouvent la fierté d’être européen, la fierté de notre histoire, la fierté de notre civilisation.
Le cycle de 1914 analysé par Dominique Venner dans son maître ouvrage, Le Siècle de 1914, arrive à son terme. A l’issue du désastre de la Première Guerre mondiale plusieurs idéologies ont prospéré : le fascisme et le nazisme, le communisme soviétique et le mondialisme marchand américain. Fascisme et nazisme ont disparu en 1945. Le communisme soviétique s’est effondré sur lui-même en 1989. Le Mur de l’Ouest, selon le titre du livre d’Hervé Juvin, est en train de tomber. Les frontières font leur grand retour : entre les Etats au sud et à l’est de l’Europe ; entre les civilisations à l’intérieur des territoires nationaux. C’est aussi le retour de la multipolarité du monde.
Allons plus loin ! Un autre cycle touche à son terme : le cycle des Lumières. Il a promu la laïcisation de l’universel. Mais c’est au retour des particularités et des communautarismes que nous assistons. Qui ne voit en France que la sacro-sainte assimilation « républicaine » est un leurre ? et qu’elle est balayée par la grammaire des civilisations ?
Sur les ruines du monde ancien un monde nouveau adviendra.
C’est à la génération des Européens qui vient de lui donner du sens. C’est à la génération des Européens qui vient de construire son histoire. Une jeunesse de la génération 2013 qui peut se reconnaître dans cette formule de Marion Maréchal Le Pen : « Je ne serai pas de la génération qui s’excuse mais de celle qui revendique son héritage. »
À l’Institut ILIADE, nous nous inscrivons dans le temps long.
Bien au-delà de la perspective immédiate d’un grand soir électoral qu’il survienne ou non.
Nous voulons construire une génération de transmetteurs.
Nous nous adressons aux générations qui montent pour qu’elles puisent dans les racines de notre civilisation l’inspiration de leur avenir.
Reprenons le prologue d’Ainsi parlait Zarathoustra :
« “Amour, création, désir, étoile ? Qu’est cela ?” – Ainsi demande le dernier homme et il cligne de l’œil. »
Nous, nous ne clignons pas de l’œil.
Nous aimons notre peuple, ses traditions, ses coutumes, son histoire. Nous aimons la vie. La société est désabusée, nous dit-on, mais nous assistons à un puissant réveil identitaire.
Quand nous évoquons le passé ce n’est pas par nostalgie. Ce n’est pas davantage parce que nous aspirons à un retour à un âge d’or utopique. C’est pour construire. C’est parce que le passé peut inspirer l’avenir.
La redécouverte de notre mémoire identitaire
C’est parce que seule la redécouverte de notre mémoire identitaire peut nous permettre de poursuivre la grande aventure européenne. Nous ne sommes pas traditionalistes mais traditionistes : la tradition n’est pas un modèle à reproduire mais une source d’inspiration. La tradition, c’est notre étoile, l’étoile polaire, qui nous guide dans la nuit et qui nous rappelle que l’Europe est le continent des Boréens.
Nous avons le goût de la lutte, nous savons que Polemos est le père de tous les êtres. Oui, la société est tiède et le confort nous affaiblit mais beaucoup d’hommes et de femmes redécouvrent la nature, l’effort, le combat. Qui ne voit le développement des « sports extrêmes » : la course au large, le trail, les parcours le long des crêtes, le wingsuit, c’est-à-dire le rêve d’Icare enfin réalisé ? Qui ne voit le regain des randonnées au long cours sur Les chemins noirs de la France, les routes d’Europe ou les pèlerinages de Chartes ou de Compostelle ? Qui ne voit l’intérêt croissant des nôtres pour les sports de défense : tir ou boxe ? A l’instar de ce qui se passa au XIX e siècle quand les sociétés de gymnastique furent un élément central du réveil des peuples.
Selon la triade homérique, telle que définie par Dominique Venner, nous avons la nature comme socle, la beauté comme horizon, l’excellence comme but.
Pourtant nous sommes lucides. Et nous savons qu’il peut advenir que les Européens deviennent minoritaires sur leur continent.
Mais même dans cette hypothèse terrifiante, la grande aventure européenne pourra se poursuivre tant que du sang européen coulera dans nos veines et que l’esprit de la civilisation européenne irriguera notre intelligence et notre cœur.
Le temps du dernier homme passera. Le temps de l’homme européen reviendra.
Jean-Yves Le Gallou
18/03/2017
Le dernier homme : extrait du prologue de Zarathoustra
Quand Zarathoustra eut dit ces mots, il considéra de nouveau le peuple et se tut, puis il dit à son cœur : Les voilà qui se mettent à rire; ils ne me comprennent point, je ne suis pas la bouche qu’il faut à ces oreilles. Faut-il d’abord leur briser les oreilles, afin qu’ils apprennent à entendre avec les yeux ? Faut-il faire du tapage comme les cymbales et les prédicateurs de carême ? Ou n’ont-ils foi que dans les bègues ?
Ils ont quelque chose dont ils sont fiers. Comment nomment-ils donc ce dont ils sont fiers ? Ils le nomment civilisation, c’est ce qui les distingue des chevriers. C’est pourquoi ils n’aiment pas, quand on parle d’eux, entendre le mot de « mépris ». Je parlerai donc à leur fierté. Je vais donc leur parler de ce qu’il y a de plus méprisable : je veux dire le dernier homme.
Et ainsi Zarathoustra se mit à parler au peuple : Il est temps que l’homme se fixe à lui-même son but. Il est temps que l’homme plante le germe de sa plus haute espérance. Maintenant son sol est encore assez riche. Mais ce sol un jour sera pauvre et stérile et aucun grand arbre ne pourra plus y croître. Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son désir, où les cordes de son arc ne sauront plus vibrer ! Je vous le dis : il faut porter encore en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez en vous un chaos. Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même. Voici ! Je vous montre le dernier homme.
Amour ? Création ? Désir ? Etoile ? Qu’est cela ? Ainsi demande le dernier homme, et il cligne de l’œil.
La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout. Sa race est indestructible comme celle du puceron; le dernier homme vit le plus longtemps.
Nous avons inventé le bonheur, – disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.
Ils ont abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur. On aime encore son voisin et l’on se frotte à lui: car on a besoin de chaleur.
Tomber malade et être méfiant passe chez eux pour un péché : on s’avance prudemment. Bien fou qui trébuche encore sur les pierres et sur les hommes !
Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poisons enfin, pour mourir agréablement.
On travaille encore, car le travail est une distraction. Mais l’on veille à ce que la distraction ne débilite point. On ne devient plus ni pauvre ni riche : ce sont deux choses trop pénibles. Qui voudrait encore gouverner ? Qui voudrait obéir encore? Ce sont deux choses trop pénibles. Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux : qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous.
Autrefois tout le monde était fou, – disent ceux qui sont les plus fins, et ils clignent de l’œil. On est prudent et l’on sait tout ce qui est arrivé c’est ainsi que l’on peut railler sans fin. On se dispute encore, mais on se réconcilie bientôt – car on ne veut pas se gâter l’estomac. On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais on respecte la santé.
Nous avons inventé le bonheur, – disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.
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Polémia – 21/03/2017
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