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Anouilh, de Jacqueline Blancart-Cassou

Anouilh, de Jacqueline Blancart-Cassou

par | 7 octobre 2014 | Médiathèque

Anouilh, de Jacqueline Blancart-Cassou

« Certes, avec ces comédies que les pontes de la Kulture qualifiaient dédaigneusement de pochades, on est loin de Thomas More, drame qualifié à juste titre de shakespearien, ou d’Antigone, pièces ambitieuses à double ou triple fond dont Jacqueline Blancart-Cassou analyse bien la genèse et les ressorts (…). Mais elles témoignent de la variété de l’inspiration et de la verve d’un auteur qui, depuis sa prime jeunesse, avait toujours voulu être un homme de théâtre. »

Universellement connu pour sa cinquantaine de pièces « roses », « brillantes », « grinçantes », « baroques » ou « farceuses » dont les reprises attirent toujours un public aussi nombreux qu’enthousiaste, Jean Anouilh (1910-1987) fut toute sa vie un homme discret, pour ne pas dire secret. Fuyant les médias et les honneurs jusqu’à refuser d’entrer à l’Académie française, il ne se livra guère que dans La Vicomtesse d’Eristal n’a pas reçu son balai mécanique, titre de ses Mémoires édités par la Table Ronde juste avait son décès. L’essai de Jacqueline Blancart-Cassou, qui s’est penchée attentivement sur l’existence – pas très heureuse – et l’œuvre – extrêmement copieuse et diversifiée : théâtre, scénarios de films (Monsieur Vincent, avec le fidèle Pierre Fresnay), livrets de ballets, fables, etc. – du père de L’Alouette vient donc heureusement combler un vide. Note de lecture de Claude Lorne, essayiste.

Peu de dramaturges furent aussi sauvagement traités par la critique de gauche que Jean Anouilh dont, en 1972, la comédie Tu étais si gentil quand tu étais petit fut éreintée dans la NRF par Gilbert Château qui, non content de flétrir « une langue à la fois si plate, si grossière et raccrocheuse », épinglait également « un découpage scénique si maladroit et si lent que, lorsqu’on ne s’ennuie pas à écouter ses rhapsodies, on est écœuré de la bassesse de la pensée ».

Les maladies des guerres civiles

Sans doute, aux yeux de ces implacables censeurs, Anouilh avait-il commis un crime inexpiable en laissant publier sa pièce Léocadia dans Je suis partout en 1942 puis en tentant trois ans plus tard de sauver la tête de Robert Brasillach – comme devaient le faire d’ailleurs une cinquantaine d’autres personnalités dont Albert Camus, François Mauriac, Paul Valéry ou Colette. Il est vrai qu’il ne s’était pas contenté de pétitionner en faveur du condamné à mort. Lui, qui avait horreur de faire des visites et de solliciter, il avait participé activement au recueil des signatures, une expérience qui le marqua à jamais, comme il devait s’en expliquer dans ses Mémoires :

« La liste inutile (on aurait eu autant de chance en la déposant au pied d’une statue de Bouddha au musée Guimet) portait, je crois me souvenir, cinquante et une signatures célèbres. Je m’honore d’en avoir décroché sept, sur une douzaine de visites. J’aurais donc fait, on me l’a assuré, un assez bon représentant en clémence – article difficile à placer entre tous, on le constate encore de nos jours, à des gens en proie à l’indifférence et à la frousse, ces deux maladies des guerres civiles. Je suis pourtant revenu vieux – si vieux que je n’ai même plus envie de dire à cause de qui et pourquoi. »

Mais il en avait gardé un immense mépris pour la magistrature (campant un procureur, sa pièce Pauvre Bitos ou le dîner de têtes est aussi cruelle que La Tête des autres de son ami Marcel Aymé, créée en 1952, dans une mise en scène d’André Barsacq, longtemps complice d’Anouilh) et une tendresse pour les victimes de l’Histoire, tels Louis XVI, Marie-Antoinette et l’Enfant du Temple, qu’il ressuscita allégoriquement dans un autre de ses chefs-d’œuvre, Le Boulanger, la Boulangère et le Petit Mitron.

Un être profondément libre

Jacques Laurent proclamait, non sans quelque provocation : « Je suis contre l’Armée, l’Eglise, la Famille. A part ça, je suis de droite. » Anouilh, qui ne ménage guère les institutions dans son théâtre, aurait pu en dire autant mais, après avoir été longtemps indifférent à la politique, il préférait se définir comme anar de droite – à la manière, là encore, de Marcel Aymé – et prétendait plaisamment voir une étymologie commune à fasciste et à fâcheux – comme le misanthrope Alceste. Sa biographe montre très bien comment « son pessimisme, affirmé dès ses premières œuvres, repose sur un idéalisme sans cesse déçu, et renaissant toujours de ses cendres pour se heurter à la réalité qu’il n’accepte pas ».

Et Mme Blancart-Cassou de poursuivre :

« Vivant depuis toujours à l’écart de la politique, il ne s’est pas engagé dans la Résistance, au temps où certains y étaient conduits par le patriotisme, mais pas davantage au temps où d’autres s’y décidaient tardivement par prudence ou par arrivisme (*). S’il a montré du courage, c’est pour sauver des êtres dont le malheur le touche : Mila Barsacq, menacée de déportation, Brasillach, condamné à mort. Il a bien trop de fierté pour affecter des positions qui n’ont pas été les siennes […] Mais son expérience de l’époque des vengeances qui a suivi les horreurs de la guerre n’a pu qu’accroître son pessimisme. »

Ce pessimisme s’aggrave encore avec l’hédonisme du monde moderne en gestation sous ses yeux, surtout après 1968 :

« Il est réticent devant la quête du confort à tout prix, il déteste l’évolution des mœurs et de la société vers un égalitarisme de surface qui, à ses yeux, n’abolit les injustices présentes que pour leur substituer une autre tyrannie, la créature humaine étant ainsi faite qu’il y a aura toujours des dominants et des dominés. »

Il le montre d’ailleurs dans Le Directeur de l’Opéra (sans doute inspiré en 1972 par les gesticulations et génuflexions du couple Renaud-Barrault face aux « Enragés de mai » occupant l’Odéon), dans Chers Zoiseaux (1976), charge contre l’Intelligentzia, et dans La Culotte (1978), une hilarante satire du féminisme – où ce dernier est incarné par une certaine Simone Beaumanoir, présidente des Femmes Libérées du XVIe arrondissement et grande castratrice devant l’Eternel, qu’interprétait à la perfection la géniale haridelle Odile Mallet face à un Marielle persécuté par les harpies.

Certes, avec ces comédies que les pontes de la Kulture qualifiaient dédaigneusement de pochades, on est loin de Thomas More, drame qualifié à juste titre de shakespearien, ou d’Antigone, pièces ambitieuses à double ou triple fond dont Jacqueline Blancart-Cassou analyse bien la genèse et les ressorts (pour elle, Anouilh, peut-être enfant adultérin mais très attaché à son père officiel, souffrait d’un complexe d’Oreste et non pas, comme on l’a dit, du complexe d’Œdipe). Mais elles témoignent de la variété de l’inspiration et de la verve d’un auteur qui, depuis sa prime jeunesse, avait toujours voulu être un homme de théâtre mais que la Pléiade ne se décida à accueillir qu’en 2007, vingt ans après sa mort, pour la seule raison qu’il passait pour « réactionnaire » et dédaignait de s’en offusquer.

Sans doute le Bordelais Anouilh n’aimait-il pas ce que notre pays était devenu et préférait-il vivre en Suisse mais il paya « toujours ses impôts en France, étant trop fier pour s’y dérober ». Combien de Belles Consciences homologuées, encensées par les médias et citées en exemple, peuvent en dire autant en des temps où l’évasion fiscale est devenue un sport national ?

 Claude Lorne
01/10/2014

Jacqueline Blancart-Cassou, Anouilh, éditions Pardès, collection « Qui suis-je ? », 2014, 128 pages.

Note

(*) Allusion évidemment à Jean-Paul Sartre : libéré de son stalag grâce à l’intervention de Drieu La Rochelle, le future Prix Nobel publia ensuite plusieurs articles pour la revue collaborationniste Comœdia, fondée le 21 juin 1941 et contrôlée par la Propagandastaffel, et fit jouer sous l’Occupation ses pièces Les Mouches et Huis-clos, autorisées par la Censure allemande. Idem pour le désormais très oublié Armand Salacrou aux yeux duquel il y avait « dans l’œuvre d’Anouilh quelque chose de pourri ».

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