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Andrew Huszar : Confession d’un « quantitative easer »

Andrew Huszar : Confession d’un « quantitative easer »

par | 4 août 2014 | Économie

Andrew Huszar : Confession d’un « quantitative easer »

« Nous nous sommes lancés dans une frénésie d’achats d’obligations qui étaient censées aider l’économie réelle. En réalité, cela a été un festin pour Wall Street. »

Voici la confession d’Andrew Huszar, un ancien dirigeant de la Banque fédérale de réserve américaine (la « Fed »), publié dans le « Wall Street Journal » du 11 novembre 2013.
Polémia

Le plus grand renflouement de Wall Street de tous les temps

Je ne peux que dire à l’Amérique : « Je suis désolé. » En tant qu’ancien fonctionnaire de la Réserve fédérale (Fed), j’étais en charge du principal programme mis en place par la Fed lors de sa première aventure dans le rachat d’obligations, le Quantitative Easing. La Banque centrale a défini le QE comme un outil de soutien à l’économie réelle. Mais j’en suis venu à voir ce programme pour ce qu’il est réellement : le plus grand renflouement de Wall Street de tous les temps.

Il y a cinq ans, lors du Black Friday, la Fed s’est lancée dans un programme d’achat sans précédent. À cette étape de la crise financière, le Congrès avait déjà adopté une loi, le programme de Troubled Asset Relief, pour éviter l’effondrement du système bancaire US. Cependant, en dehors de Wall Street, la crise était encore en plein boom. Au cours des trois derniers mois de 2008, près de deux millions d’Américains vont perdre leur emploi.

La Fed a déclaré vouloir apporter son aide, via un programme de rachats massifs d’obligations. Il y avait des objectifs secondaires, mais Ben Bernanke a annoncé clairement que l’objectif principal de la Fed était « (d’)influer sur les conditions de crédit pour les ménages et les entreprises » afin d’en faire baisser le coût afin que plus d’Américains puissent emprunter et ainsi réduire les effets du ralentissement économique. C’est pour cela qu’il a dans un premier temps appelé ça le « credit easing ».

Mon rôle dans cette histoire a commencé quelques mois plus tard, au printemps 2009. Après avoir travaillé à la Fed pendant sept ans, jusqu’au début 2008, je travaillais en ce temps-là à Wall Street quand j’ai reçu un coup de fil inattendu. On m’a demandé si je serais d’accord pour revenir travailler dans la salle des marchés de la Fed. Mon travail : gérer le programme d’achats frénétiques d’obligations au cœur du QE – une tentative insensée d’achat d’obligations hypothécaires pour un montant de 1 250 milliards de dollars sur 12 mois. Incroyablement, la Fed m’appelait pour demander si je voulais gérer le plus grand stimulus économique de l’histoire américaine.

C’était un travail de rêve, mais j’ai hésité. Et pas seulement à cause de la pression accompagnant une telle responsabilité. J’avais quitté la Fed par frustration à force de voir cette institution s’en remettre de plus en plus à Wall Street. L’indépendance est au cœur de la crédibilité de toute banque centrale et j’en étais venu à croire que celle de la Fed était en train de diminuer. De hauts fonctionnaires de la Fed avaient reconnu publiquement des erreurs et plusieurs d’entre eux m’ont indiqué personnellement leur engagement pour une restructuration majeure de Wall Street. Et j’ai également constaté qu’ils avaient désespérément besoin de renforts. J’ai eu la foi.

En près de 100 ans d’existence, la Fed n’avait jamais acheté une seule obligation hypothécaire. Maintenant, mon programme était d’en acheter quotidiennement en si grand nombre par échanges directs, non programmés, que nous courions constamment le risque de faire monter excessivement les prix des obligations, détruisant la confiance dans les principaux marchés financiers. Nous avons travaillé fébrilement pour maintenir l’impression que la Fed savait ce qu’elle faisait.

Il n’a pas fallu longtemps pour que mes doutes refassent surface. En dépit du discours de la Fed, mon programme ne facilitait en rien l’accès au crédit pour l’Américain moyen. Les banques émettaient de moins en moins de crédit et, plus sournoisement, les crédits qu’elles accordaient ou renouvelaient n’en devenaient pas beaucoup moins chers. Le QE a peut-être diminué le prix de gros du crédit pour les banques, mais Wall Street a récupéré la majorité de la différence.

L’obsession ? Les attentes des banquiers et des gérants de fonds spéculatifs

Depuis le front, plusieurs autres gérants de la Fed ont commencé à émettre leur doute concernant le fait que le QE ne fonctionnait pas comme prévu. Nos avertissements sont restés lettre morte. Par le passé, les revendeurs de la Fed, même s’ils finissaient par se tromper, s’inquiétaient de façon obsessionnelle du rapport bénéfice/coût de toute opération d’importance. Maintenant, la seule obsession semblait être la nouvelle étude sur les attentes des marchés financiers ou la plus récente réaction personnelle des principaux banquiers et autres gérants de hedge-funds. Et tant pis pour le contribuable américain.

Le jackpot pour Wall Street

Le 1er QE s’est fini le 31 mars 2010. Les résultats finaux ont confirmé que bien qu’il y ait eu un léger impact positif pour l’économie réelle, ce fut le jackpot pour Wall Street. Les banques ont non seulement bénéficié de bas coûts pour prêter, mais elles ont également profité d’énormes plus-values sur leur portefeuille d’actifs et d’importantes commissions pour négocier la plupart des transactions du QE. 2009 fut la meilleure année de tous les temps pour Wall Street et 2010 commençait sur les mêmes bases.

Vous auriez pu penser que la Fed aurait, à un moment ou à un autre, pris le temps de la réflexion pour évaluer le QE. Détrompez-vous! Après quelques mois, une baisse de 14 % des marchés boursiers et une augmentation de la faiblesse bancaire, la Fed a annoncé un nouveau programme de rachats d’actifs : le QE2. Le ministre des finances allemand, Wolfgag Schäuble, a immédiatement qualifié la décision de ‘stupide’.

C’est à ce moment que j’ai pris conscience du fait que la Fed avait perdu toute capacité à réfléchir de façon indépendante par rapport à Wall Street. Démoralisé, je suis retourné dans le privé.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? La Fed continue d’acheter environ 85 milliards de dollars par mois d’obligations, repoussant en permanence ne serait-ce qu’une réduction mineure du QE. En 5 ans, ses achats d’obligations s’élèvent à plus de 4 000 milliards de dollars. Incroyablement et dans un supposé contexte de marché libre et indépendant, le QE est devenu le plus grand programme d’intervention gouvernementale sur les marchés financiers n’ayant jamais existé.

Et pour quels résultats ? Même d’après les calculs les plus optimistes de la Fed, le QE n’a généré que quelques points de croissance aux US. En contraste, des experts extérieurs à la Fed, tel que Mohammed El Erian de la firme d’investissements Pimco, émettent l’idée que la Fed aurait créé et dépensé 4 000 Md$ pour n’obtenir qu’un petit 0,25% de croissance du PIB (soit environ une augmentation de 40 milliards de dollars de l’économie US). Ces 2 estimations montrent que le QE ne fonctionne pas vraiment…

Sauf si vous êtes Wall Street. Ayant accumulé des centaines de milliards de dollars en subventions opaques de la Fed, les banques américaines ont vu leur valeur boursière cumulée tripler depuis mars 2009. Les plus grosses se forment presque un cartel : 0,2% des banques contrôlent plus de 70% du total des actifs bancaires américains.

Quant au reste de l’Amérique, et bien bonne chance ! Les injections quasi permanentes d’argent frais dans les marchés par la Fed durant les 5 dernières années ont détruit tout besoin pour le gouvernement de s’attaquer à la vraie crise : celle d’une économie américaine structurellement fragile. Oui, les marchés financiers se sont pleinement remis, ramenant un flux vital dans les plans de retraites par capitalisation 401k, mais pour combien de temps? Des experts comme Larry Fink de la firme d’investissements BlackRock suggèrent que la situation sur les marchés financiers est encore très similaire à celle d’une bulle. Et le pays reste principalement dépendant de Wall Street pour sa croissance économique…

Même en reconnaissant les défauts des QE, le président Bernanke argumente qu’une petite action de la Fed est mieux que pas du tout (une position que son successeur, la vice-présidente de la Fed Janet Yellen, soutient également). Cela signifie que la Fed se dévoue pour compenser les déficiences des autres organes gouvernementaux de Washington. Mais la Fed est au cœur du problème. Par exemple : elle a laissé le QE devenir la nouvelle politique « too big to fail » de Wall Street.

Andrew Huszar
11/11/2013
Source : Wall Street Journal, Traduction par Rémi pour www.les-crises.fr

Andrew Huszar est un membre supérieur de Rutgers Business Schools, un ancien gérant directeur de Morgan Stanley. Entre 2009 et 2010, il a géré le programme de rachat d’obligations douteuses de 1 250 milliards de dollars de la Réserve Fédérale Américaine.

Les intertitres sont de Polémia

* Cet article a été initialement publié le 24/11/11. C’est l’été : Polémia ralentit ses mises en ligne de nouveaux textes et rediffuse de plus anciens avec un mot d’ordre : « Un été sans tabou ». Voici donc des textes chocs aux antipodes du politiquement correct, des réflexions de fond sans concession et à la rubrique médiathèque, des romans et des essais à redécouvrir.

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