Malgré l’actualité politique française, la guerre entre la Russie et l’Ukraine continue. Notre contributeur Frédéric Eparvier ne l’a pas oublié et nous livre une chronique sur le livre La Fascination russe d’Elsa Vidal, rédactrice en chef du service en langue russe de RFI.
Polémia
La Fascination russe, une purge ?
Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ou de l’Opération Militaire Spéciale pour ne pas énerver mes amis pro-Russes (oui je sais c’est très mal d’avoir des amis pro-russes), je m’évertue à me demander pourquoi je me refuse à allumer des bougies à Sainte Rita pour œuvrer à la défaite de la Russie.
Je ne suis pas sur les listes des « coquetèles » de Monsieur Orlov ou de son excellence Alexeï Mechkov, ma société ne reçoit pas de subsides des caisses secrètes du FSB, je n’ai pas été pris dans une soirée alcoolisée et féminisée à Moscou quand j’y suis allé dans les années 80[1], et je n’ai pas vraiment d’atomes crochus avec la « kleptocratie poutinienne ». Alors je me demande bien pourquoi je continue à me refuser à souhaiter la défaite de Moscou, et la victoire de l’OTAN dans ce que je perçois comme une nième guerre civile européenne.
Quand j’en ai parlé à un des membres du « Mannenkenfish », le club de water-polo LGBT +++ de Bruxelles, qui souhaite me convertir au monde des idées libérales (j’espère que ce n’est que ça), cet ami donc, m’a conseillé, à titre d’introspection, de lire La fascination russe d’Elsa Vidal, responsable de la rédaction russe de RFI, mais que l’on connaît surtout pour la belle chevelure argentée, qu’elle promène, guerrière, sur tous les plateaux télé. Selon mon « mannekenfish » de service, Elsa Vidal explique comment et pourquoi une partie de « l’élite » politique française (Chirac, Sarkozy, Girard, Lelouche…) fait montre de sentiments pro-russes, et surtout, en quoi tous ces hommes se trompent.
Guerre en Ukraine. Regard critique sur les causes d’une tragédie
Comme je ne recule devant aucun sacrifice pour comprendre les turpides de notre bas monde, j’ai fait quelques clics sur Amazon, malgré le rouleau à pâtisserie matrimonial qui se rapprochait dangereusement car il parait que j’achète trop de livres, et j’ai profité d’un aller-retour sur Bruxelles pour le lire en cachette. Comme la vue des plaines de Picardie que l’on a de l’Eurostar est particulièrement peu réjouissante, surtout en ces temps de pluie, autant dire que je suis resté concentré sur le livre, car sinon, cette promenade dans un monde pro-russe fantasmé m’aurait vite fait rêvasser à des vacances ensoleillées.
Mes professeurs de « Management » ou de « Ressources Humaines » m’ont appris que l’on doit toujours commencer par le positif, avant d’aborder les axes d’améliorations… Du genre : « Un effort louable, malgré quelques fautes de méthodes que tu corrigeras si tu travailles beaucoup… » Car il faut bien le dire, si ce livre est raisonnablement bien écrit[2], c’est une purge méthodologique.
C’est une purge car il souffre tout à la fois d’une faute de raisonnement, d’une méconnaissance des écoles de relations internationales, et particulièrement de l’école réaliste, et enfin ne veut pas reconnaître que les motivations des gens qui demandent un peu d’objectivité dans le traitement de la guerre en Ukraine ne sont pas nécessairement perverses. Il faut toujours considérer que ses adversaires sont de bonne foi, sinon on ne peut raisonner sainement.
Mais commençons par le positif.
La Fascination russe, un peu de positif, beaucoup de négatif
S’il y a un point que Elsa Vidal analyse bien, c’est qu’une partie de la motivation « pro-russe » est en fait un transfert d’antiaméricanisme plus profond. Pour elle, ce sentiment vient « d’abord de l’amertume face à la grandeur perdue de la France.[3] » Si ce sentiment est certainement une cause de l’anti-américanisme, il me semble que l’analyse est quand même un peu courte, et qu’elle ignore que ce que les anti-américanistes (sic.) reprochent essentiellement au libéralisme américain, c’est d’être le plus sûr vecteur de soumission et de destruction de la culture et de la civilisation européenne[4].
En revanche, dans son livre, Elsa Vidal commet trois grandes erreurs. La première est celle classique de l’anachronisme, car elle entend condamner les hommes politiques ayant gouverné notre pays avant 2007 ou 2014 avec les connaissances dont nous disposons aujourd’hui, c’est-à-dire en 2024. Et il est évident que la lecture que nous devons avoir du régime de Poutine, ne peut pas être le même après le 25 février 2022.
Pascal Boniface sur la guerre en Ukraine : vers la fin de la domination occidentale
Comment en effet faire reproche à Chirac d’avoir eu une inclinaison pro-russe au sortir de la guerre froide, lui qui pensait que les relations internationales devaient se construire sur le dialogue, ce que Elsa Vidal reconnaît : « On prête à la conception de la politique étrangère de Jacques Chirac trois caractéristiques : le pragmatisme, le souci du rang de la France et la sensibilité à la théorie des civilisations.[5] » et qu’il fallait absolument éviter l’effondrement de la Russie post-soviétique.
Et comment reprocher à Sarkozy, avec qui Elsa Vidal est très dure, d’avoir essayé en 2008 de s’opposer à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, alors que c’est certainement l’une des causes de la guerre en Ukraine (pas la seule) ce qu’elle reconnaît d’ailleurs dans l’entretien qu’elle a accordé à Pascal Boniface pour faire la promotion de son livre[6].
La deuxième erreur de Madame Vidal concerne les écoles de relations internationales, et sa critique véhémente du « réalisme » en géopolitique qu’elle définit comme : « Le réalisme se propose de mener une politique internationale partant du monde réel. [7]» Combien de fois faudra-t-il rappeler que l’école réaliste n’est pas une école qui connaîtrait (par la maîtrise d’une formule magique secrète) mieux que les autres écoles de relations internationales, la réalité du monde politique, mais une école qui, pour faire court, considère qu’indépendamment de la nature de leur régime, les États cherchent avant tout à maximiser leur pouvoir, dans un jeu essentiellement à somme nulle. En ce sens, l’école réaliste, est à l’opposé de l’école libérale qui considère que la nature du régime a un impact fondamental sur les interactions entre nations. La caricature de l’école libérale étant les « néocons » qui partant du principe que les démocraties ne se font pas la guerre, cherchent à imposer ce type de régime dans toutes les zones d’intérêts des États Unis y compris par la guerre. En ce sens, les « néocons » sont des libéraux. J’en connais pas mal qui vont piquer une crise en lisant cela… Ce chapitre est d’autant plus surprenant, que Madame Vidal fait preuve d’un esprit de nuance certain dans son interview avec Pascal Boniface (ainsi que d’une grande naïveté sur les questions militaires ; non, les F16 ne vont pas changer le cours de la guerre).
Enfin madame Vidal se révèle assez légère dans son étude des motivations des sentiments qu’elle qualifie de pro-russes de certains politiciens, politistes… et ne veut voir dans leurs positions que des erreurs d’analyses. Ce faisant elle ignore (sciemment ?) que l’on peut faire l’analyse géopolitique (dans la lignée du Général De Gaulle, mais pas que) que la Russie ne déménagera pas à l’issue de la guerre en Ukraine (qu’elle soit gagnée ou perdue), et qu’il faudra bien trouver une manière d’avoir une relation pacifique ou a minima, apaisée avec ce pays. Et pas nécessairement une Russie libérale comme elle le souhaite.
Elsa Vidal ignore aussi, et c’est surprenant vu sa volonté d’abaisser toute personne qui est « pro russe », que Vladimir Poutine et ses hommes, en bon guébistes peuvent avoir acheté ces amitiés. Il me semble qu’il y aurait là, une étude sérieuse à mener, pas celle, à charge, du parlement.
***
J’ai sans doute été un peu dur avec ce livre, mais il faut dire que je l’avais attaqué avec une certaine attente, voir même une certaine bienveillance, car Madame Vidal, à la différence de beaucoup qui passent beaucoup à la télé, parle russe, appris lors de séjours de jeunesse chez les Komsomolsk, et a fait des interventions plutôt nuancées sur les chaines de télé (à contrario des généraux français : Yakovleff, Richoux, Deportes qui semblent trouver plaisir à se couvrir régulièrement de pipi…[8]) A la différence du Général (CR) Pinatel qui vient de publier un livre sur la guerre en Ukraine : Ukraine, le grand aveuglement européen… dont je vous parlerai dans une prochaine chronique.
Frédéric Eparvier
15/02/2024
[1] Toute ressemblance avec un Ministre de François Mitterrand serait purement malhonnête…
[2] De nos jours, c’est déjà beaucoup…
[3] Vidal. Ibid., p. 243.
[4] On lira avec intérêt les nombreux articles d’Alain de Benoit sur le sujet.
[5] Vidal. Ibid., p. 63.
[6] Youtube, chaine de Pascal Bonniface. Vidéo du 3 avril 2024.
[7] Vidal. Ibid., p. 296
[8] Je continue à penser que les deux seuls qui surnagent sont Palomeros et Chauvancy. Pour le reste c’est inquiétant sur l’état de la pensée militaire française…
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