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Ambassadeur limogé en Hongrie. Peut-on encore servir l’Etat macronien ?

Ambassadeur limogé en Hongrie. Peut-on encore servir l’Etat macronien ?

par | 3 juillet 2018 | Europe, Politique

Ambassadeur limogé en Hongrie. Peut-on encore servir l’Etat macronien ?

Par Etienne Lahyre, haut fonctionnaire, analyste politique ♦ Eric Fournier, Ambassadeur de France en Hongrie, vient d’être limogé par le Président de la République, pour avoir infirmé les poncifs assénés par les médias occidentaux sur la Hongrie et son dirigeant, Viktor Orban. Une décision qui amène Etienne Lahyre à s’interroger plus largement sur une question qui doit tarauder l’esprit de beaucoup de haut-fonctionnaires en ce moment : peut-on encore servir l’Etat macronien ?


Le double discours d’Emmanuel Macron

Indiquons immédiatement que l’Ambassadeur a informé le gouvernement sur la situation politique dans le pays où il est accrédité, conformément aux dispositions du décret du 1er juin 1979 relatif aux pouvoirs des Ambassadeurs et à l’organisation des services de l’Etat à l’étranger. Cette information s’est effectuée par le biais d’un télégramme diplomatique (TD), évidemment confidentiel. On ne peut que s’interroger sur la manière dont le TD est parvenu entre les mains de journalistes de Mediapart : il est fort probable que la fuite émane de la direction de l’Union européenne du Quai d’Orsay, du cabinet du ministre des affaires étrangères, voire même de l’Elysée ; en tout état de cause, l’objectif était le même : nuire à l’Ambassadeur et provoquer son éviction. Et on imagine aisément que ce limogeage contribuera à rendre encore plus compassé et flagorneur le ton utilisé par le corps diplomatique dans les TD ; ceux-ci se borneront désormais à renforcer les certitudes du monarque et de sa camarilla, fussent-elles contraires à la réalité observée à l’étranger.

Dans cette affaire, le Président de la République dans cette affaire a, une nouvelle fois, prouvé sa capacité à mentir et à son manque de cohérence. Ainsi, lorsqu’il déclare, lors du conseil européen du 29 juin (https://www.youtube.com/watch?time_continue=168&v=Nun3gdBM63U), « Est-ce qu’il appartient à l’autorité de révoquer un ambassadeur parce qu’il dit ce qu’il pense ? Je ne le crois pas ; ou alors nous créerions un délit d’opinion dans la fonction publique. », il a pourtant déjà signé le décret par lequel il nomme un autre diplomate en remplacement de M. Fournier : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037131653&dateTexte=&categorieLien=id

Un devoir de réserve à géométrie variable

En Macronie, quand un Ambassadeur informe le gouvernement conformément à ses prérogatives, il est limogé. Quand il ignore délibérément le devoir de réserve, il peut continuer à représenter la France dans un grand pays.

Tel est le cas de M. Gérard Araud, Ambassadeur de France auprès des Etats-Unis d’Amérique, nommé dans ces fonctions par M. Hollande en juillet 2014. M. Araud a en effet une manière très personnelle de servir,qui ne permet pas de distinguer dans son expression publique, ses convictions personnelles de la parole de la France. La neutralité, la discrétion personnelle, le sens de la mesure lui sont étrangers. Son compte twitter auquel il consacre beaucoup de temps (plus de 27.000 tweets au 2 juillet 2018) est ainsi parsemé de messages consacrés à la « cause » homosexuelle et aux multiples lobbies qui la défendent, et de jugements politiques à l’emporte-pièce. Son hostilité au Parti Républicain américain est proverbiale et ses réactions pendant (https://www.lemonde.fr/euro-2016/article/2016/06/11/quand-l-ambassadeur-de-france-a-washington-recadre-donald-trump_4948455_4524739.html) et après la campagne présidentielle furent déplacées, inappropriés diraient les Américains. Remarquable visionnaire, il « tweete » en cette matinée du 8 novembre 2016 qu’émergent des « indications de plus en plus favorables à Hillary Clinton », puis se rendant à l’évidence, il commente en ces termes la victoire de Donald Trump : « Après Brexit et cette élection, tout est désormais possible. Un monde s’effondre devant nos yeux. Un vertige. ». S’il y a une règle d’or, une obligation à laquelle chaque diplomate doit s’astreindre, c’est de ne pas porter de jugement public sur un choix du peuple souverain. M. Araud n’en a cure : il n’est d’aucun parti, il est du camp du bien. Celui qui peut se permettre de tout dire, en toute circonstance. MM. Macron et Trump peuvent bien mettre en scène et surjouer leur  amitié, l’Ambassadeur de France aux Etats-Unis ne modifie en rien son comportement, quand bien même celui-ci obèrerait la politique étrangère néo-atlantiste de la France.

Frédéric Potier, le préfet censeur du camp du bien

Et que dire de Frédéric Potier, Préfet en mission de service public, délégué à « lutte contre « le racisme, l’antisémitisme, et la haine anti-LGBT » (sic !) ?

Ancien élève de l’ENA, il connait un déroulé de carrière des plus classiques au sein du ministère de l’intérieur, puis s’oriente vers les cabinets ministériels socialistes. À moins de quarante ans, il est nommé préfet par M. Hollande quelques jours avant que celui-ci quitte ses fonctions de président de la République. Une nomination pour « services rendus », comme il en a tant existé par le passé, MM. Glavany et Hortefeux faisant notamment partie de ces « préfets » nommés par le fait du Prince et n’ayant jamais représenté l’Etat dans un département.

  1. Potier, également actif sur Twitter, y poste des messages d’un irénisme d’adolescent quand il ne se met pas en scène lors du récent défilé de la « Gay Pride ». Mais dès lors que s’expriment sur les réseaux sociaux des groupes dont il ne partage pas les vues, notre bienveillant préfet se mue en implacable commissaire politique et en censeur en chef. Il a ouvertement revendiqué son rôle direct dans la fermeture de la page Facebook de Génération identitaire, décidée en dehors de tout cadre légal par un oukase du patron de Facebook France, Laurent Solly, lui-même « préfet » de complaisance. En rendant publique son intervention auprès d’une entreprise privée, M. Potier a révélé son manque de discernement, de culture juridique et de respect des principes fondamentaux de l’Etat de droit. Ce ne sont pas ses compétences qui lui ont permis d’accéder à ses fonctions actuelles, mais ses réseaux et sa soumission à l’idéologie dominante. Et ceux-ci lui garantissent aujourd’hui de pouvoir agir en toute impunité.
  2. Araud et Potier sont parfaitement représentatifs de ces élites qui ont fait sécession en exhibant sans vergogne leur vie privée, et en l’utilisant au profit de leur carrière. Représentatifs d’une époque où chacun ne prend plus position sur les grands enjeux publics qu’en partant de sa situation personnelle et des différentes composantes (raciales, sexuelles) de son identité.Le commun n’existe plus, il n’est que la somme de tropismes et d’intérêts particuliers, d’individus ou de groupes.

Leurs pratiques sont aux antipodes de celles des grands commis de l’Etat de l’époque du Général de Gaulle ; ils s’affranchissent de tous les usages, confondent allègrement leur engagement politique personnel avec la représentation de l’Etat, et méconnaissent les obligations des hauts fonctionnaires. Avec la bienveillance, pour ne pas dire la complicité de leur hiérarchie administrative et politique.

Continuer à servir un Etat orwellien ?

Les élites administratives font fi des choix du peuple souverain et imposent leur vision du monde qui est celle des grands médias, des multinationales et des lobbies : la raison d’Etat et la défense de l’intérêt national ne sont plus leur code.

Emmanuel Macron, le muscadin de la République, est leur digne représentant : le parti de la mondialisation se sent si puissant qu’il a pu, enfin clairement, présenter son candidat à l’élection présidentielle et le faire accéder à l’Elysée.

Mais l’Etat qu’il « dirige » est un curieux mélange, inédit dans notre histoire politique.

Orwellien par son goût de la propagande au quotidien, par sa volonté de limiter au maximum la liberté d’expression et de verrouiller l’information. Mais dramatiquement faible dès qu’il s’agit de diffuser sa propagande « progressiste » à certaines zones du territoire hors de son contrôle. Imagine-t-on Mme Hidalgo repeindre aux couleurs du drapeau arc-en-ciel les passages piétons de Barbès ou de la goutte d’or ? Imagine-t-on Mme Schiappaaller défendre la théorie du genre dans les écoles de Trappes ? L’Etat macronien se réduit à un grand ministère de la parole et de la vérité, au service du « parti de l’Autre », qui laisse se multiplier des bantoustans, réservoirs de voix dociles pour le moment.

Il a également abandonné tout patriotisme économique. Au-delà des traités européens (Traité de Maastricht, pacte de stabilité de 1997 et pacte budgétaire de 2012) par lesquels les Etats parties ont délibérément renoncé à toute politique monétaire et budgétaire nationales, les élites administratives organisent sciemment le bradage des intérêts économiques de la France. Les projets de cession des participations de l’Etat dans ADP et Engie s’inscrivent dans la lignée de la funeste décision de privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes en 2006. Un documentaire tout à fait remarquable consacré à l’affaire Alstom établit les liens qui existent entre haute administration et intérêts économiques étrangers : http://www.lcp.fr/emissions/droit-de-suite/283004-alstom-une-affaire-detat. Le rôle personnel de M. Macron dans ce dossier y est parfaitement expliqué.

C’est cet objet politico-administratifhybridepost-national et post-démocratique que dirige aujourd’hui M. Macron. Cet « Etat », coupé du peuple français, ne défend plus l’intérêt de notre pays.

En 2007, certains candidats au concours d’entrée à l’Ecole Nationale d’Administration avait dû plancher sur le sujet suivant en culture générale : « Trahir le prince ». On pouvait, dans ce cadre, évoquer Locke pour qui la révolution de 1689 était la conséquence des tendances absolutistes de Jacques II qui avait foulé aux pieds les principes de la Magna Carta de 1215. Selon lui, les orangistes n’avaient pas trahi le Prince : ils étaient fondés à incarner l’autorité souveraine dès lors que Jacques II avait rompu de lui-même le pacte de confiance qui le liait à ses sujets. Locke affirmait que « ceux qui ont le pouvoir exécutif, agissant sans en avoir reçu d’autorité, d’une manière contraire à la confiance qu’on a mise en eux, sont dans un état de guerre contre le peuple ».

Il est toujours bon de réviser ses classiques.

Etienne Lahyre
03/07/2018

Source : Correspondance Polémia

Crédit photo : Estonian Presidency [CC BY 2.0], via Wikimedia Commons

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