Les élections fédérales du 23 février 2025 en Allemagne ont marqué un tournant important. La CDU/CSU, dirigée par Friedrich Merz, est arrivée en tête avec un peu moins de 29 % des voix. Ce résultat confirme une remontée des conservateurs après leur défaite de 2021, mais il ne leur donne pas une majorité claire. Leur principal défi reste la formation d’un gouvernement stable dans un Bundestag profondément divisé. Analyse de notre correspondant en Allemagne.
Polémia
Événement Polémia : XVIe cérémonie des Bobards d'Or, le lundi 10 mars 2025 à Paris. Billetterie en ligne
L’AfD en hausse
D’emblée, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) a enregistré une progression spectaculaire, obtenant environ 21 % des voix, un score sans précédent qui traduit un mécontentement croissant face aux politiques migratoires et énergétiques des précédents gouvernements. Ce succès s’explique en partie par la crise économique persistante, l’inflation élevée et un sentiment de défiance vis-à-vis des élites politiques traditionnelles. Le parti a particulièrement bien performé dans les Länder de l’Est du pays, où il dépasse souvent les 30 %, mais il progresse aussi à l’Ouest, notamment en Bavière et en Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
Le SPD du chancelier Olaf Scholz subit une défaite historique avec seulement 16,4 % des voix. Ce score sanctionne un mandat marqué par des divisions internes et une incapacité à répondre aux préoccupations économiques et sécuritaires des électeurs. La coalition de Scholz, l’Ampel, dite « feux tricolores » (SPD, Verts, FDP) n’a donc pas réussi à convaincre à nouveau : les Verts reculent à 11 %, tandis que le FDP, sous le seuil des 5 %, disparaît du Bundestag.
Vers une coalition instable ?
Friedrich Merz a exprimé sa volonté de former rapidement un gouvernement avec une majorité parlementaire solide. Néanmoins, la formation d’une coalition s’annonce complexe. Le Parti social-démocrate d’Olaf Scholz, qui a essuyé une défaite historique avec un peu plus de 16 % des voix, a exclu toute participation à un gouvernement dirigé par la CDU.
La progression notable de l’AfD reflète une fragmentation croissante du paysage politique allemand, alimentée par des débats intenses sur l’immigration et une stagnation économique persistante. Cette situation complique davantage la formation d’un gouvernement assez solide et suscite des préoccupations quant à l’avenir politique du pays.
Les résultats et la répartition des sièges
Les élections fédérales allemandes du 23 février 2025 ont conduit à un Bundestag plus polarisé que jamais. Voici les principaux résultats :
Parti | Pourcentage des voix (%) | Évolution depuis 2021 | Sièges au Bundestag |
CDU/CSU | 28,52 % | +3,5 | 208 |
AfD | 20,8 % | +6,4 | 152 |
SPD | 16,41 % | -8,2 | 120 |
Grünen (Verts) | 11,61 % | -3,6 | 85 |
Die Linke | 8,77 % | -0,3 | 64 (grâce aux mandats directs) |
FDP | 4,33 % | -4,7 | 0 (n’a pas atteint le seuil des 5 %) |
BSW (Sahra Wagenknecht) | 4,97 % | Nouveau | 0 (n’a pas atteint le seuil des 5 %) |
(Source) : https://www.tagesschau.de/inland/bundestagswahl/bundestagswahl-ergebnisse-104.html
Contrairement aux élections précédentes, où le Bundestag avait atteint plus de 730 sièges à cause des mandats supplémentaires (« Überhangmandate »), une réforme électorale a été appliquée pour limiter son expansion excessive. Le Bundestag compte désormais 687 sièges, répartis selon un système mixte proportionnel.
Analyse du système électoral et des dynamiques de vote
L’Allemagne utilise un système électoral mixte, combinant vote majoritaire et proportionnel :
- Premier vote (« Erststimme ») : permet d’élire 299 députés dans des circonscriptions au scrutin uninominal majoritaire à un tour.
- Second vote (« Zweitstimme ») : détermine la répartition globale des sièges de manière proportionnelle, à condition de franchir le seuil des 5 %.
La CDU a bénéficié de son ancrage territorial fort en Bavière et en Bade-Wurtemberg, remportant de nombreux mandats directs.
Le SPD, lui, subit un effondrement dans ses bastions traditionnels, notamment en Sarre et en Rhénanie-Palatinat. Le parti de Scholz a été clair : pas d’alliance avec la CDU/CSU, en aucun cas.
La nouvelle formation de Sahra Wagenknecht (BSW), qui prône une ligne souverainiste et sociale, a certes attiré des électeurs déçus de la gauche traditionnelle, mais ne rentrera apparemment pas au Parlement allemand non plus, frôlant les 5% requis.
Enjeux pour l’Allemagne et l’Europe
Ces résultats témoignent de profondes mutations dans le paysage politique allemand :
- Érosion des partis traditionnels (SPD, FDP, même les Verts en recul).
- Montée des forces alternatives, que ce soit à droite (AfD) ou à gauche (BSW).
- Fragmentation politique, rendant les coalitions plus difficiles à construire.
Au niveau européen, la victoire relative de la CDU est perçue comme un gage de stabilité, mais la montée des forces contestataires pourrait influencer la politique migratoire et énergétique de Berlin.
L’AfD devient la deuxième force politique d’Allemagne : vers une recomposition inévitable
Ces élections ont confirmé une tendance de fond : l’effondrement des partis traditionnels et l’émergence d’une nouvelle dynamique politique dominée par l’AfD. Dans un contexte de forte tension sociale, économique et migratoire, ces élections marquent un tournant pour le pays.
D’un côté, la CDU/CSU reste la première force avec 28,52 % des voix, mais sans parvenir à obtenir une majorité suffisante pour gouverner seule.
D’un autre côté, le SPD continue sa descente aux enfers, atteignant un niveau historiquement bas à 16,4 %. Les Verts et surtout le FDP, membres de l’ancienne coalition de gouvernement, sont également sanctionnés par l’électorat.
Le véritable événement de cette élection est donc la progression spectaculaire de l’AfD, qui, avec 20,8 % des suffrages et 152 sièges, devient la deuxième force politique du pays. Ce résultat, inédit à l’échelle fédérale, consacre l’AfD comme un acteur central du Bundestag et soulève une question fondamentale : l’Allemagne peut-elle continuer à ignorer ce parti dans ses calculs politiques ?
Le pays entre désormais dans une phase d’incertitude, avec un Bundestag plus fragmenté que jamais. La CDU doit former un gouvernement, mais les alliances traditionnelles semblent insuffisantes ou conflictuelles. Pendant ce temps, l’AfD s’impose comme le principal opposant et pourrait, à terme, contraindre la droite allemande à revoir sa stratégie.
Ostensiblement, l’ampleur du succès de l’AfD et l’effondrement des partis établis témoignent d’un profond bouleversement de la scène politique allemande. Dans un contexte marqué par l’inflation persistante, une crise migratoire et un rejet des élites politiques, l’électorat a exprimé un vote de rupture, renforçant le poids d’un parti longtemps marginalisé.
Cette élection pose une question cruciale : l’Allemagne est-elle en train de vivre une recomposition politique comparable à celle observée dans d’autres pays européens ? Avec un Bundestag divisé, une CDU en quête de majorité et une AfD qui s’installe durablement, le paysage politique allemand entre dans une nouvelle ère, dont les conséquences s’étendront bien au-delà du territoire national.
N.b. : [ le mois dernier, Olaf Scholz déclarait dans Zeit Offline qu’il n’était pas impossible que la CDU/CSU forme un gouvernement avec l’AfD dès cet automne. « Après des discussions de coalition pro-forma avec d’autres partis, cela pourrait arriver », a indiqué Scholz dans le podcast « Alles gesagt ? » de die Zeit ] ; à la question de savoir quand cela lui semblait envisageable, il a répondu : « En octobre, par exemple ».
Nicolas Faure
25/02/2025
Crédit photo : Domaine public