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Allemagne. Un attentat trop vite attribué à « l’extrême droite »

Allemagne. Un attentat trop vite attribué à « l’extrême droite »

par | 3 avril 2020 | Europe, Société

Allemagne. Un attentat trop vite attribué à « l’extrême droite »

Par François Stecher, correspondant en Allemagne de Polémia ♦ Le 19 février dernier en Allemagne, un homme attaquait deux bars à chicha et tuait 9 personnes et en blessait 5 autres avant de se suicider. Immédiatement, les médias allemands et français martelaient qu’il s’agissait d’un attentat d’extrême droite. En réalité, les derniers éléments de l’enquête démontrent qu’il s’agissait d’un acte commis par un homme qui n’avait aucun lien avec aucun groupe de droite radicale mais qui semblait extrêmement paranoïaque, au point de pouvoir être considéré comme un – véritable – déséquilibré. Nous vous proposons une traduction libre de l’excellent article publié le 1er avril par « Tichys Einblick » sous la plume d’Alexander Wendt. Nous ne pouvons – plus généralement – que recommander fortement à nos lecteurs germanophones la lecture de cet excellent journal en ligne.
Polémia


Une enquête trop minutieuse ?

L’Office Criminel Fédéral [BKA, Bundeskriminalamt, n.d.T.] n’a visiblement trouvé aucune preuve que l’auteur de la tuerie d’Hanau était d’extrême-droite. Le résultat ne semble pas convenir à tout le monde. Le compte rendu final va être intéressant.

Prise sous la vague d’informations en lien avec le coronavirus, une contribution de la Süddeutsche Zeitung en date du 28 mars à propos de l’enquête menée par l’Office Criminel Fédéral sur le tueur d’Hanau, Tobias Rathjen, n’a pas beaucoup attiré l’attention, dans un premier temps, dans le pays. Cela est sans doute également imputable au fait que les éléments rassemblés par les enquêteurs ne coïncidaient pas avec l’image imposée par les politiques et les médias des meurtres commis à Hanau le 20 février. En effet, à rebours de ce que de nombreux politiciens et commentateurs affirmèrent immédiatement et par réflexe, le meurtrier Tobias Rathjen n’entretenait visiblement aucun contact avec des cercles ou organisations de la droite radicale ou extrême. Après avoir analysé fichiers et documents et interrogé les témoins, les enquêteurs du BKA n’ont pu mettre la main sur aucun élément établissant que Rathjen avait une vision du monde « d’extrême-droite » – mais en revanche des signes d’une énorme paranoïa.

Les conclusions du BKA sont les suivantes : il a bien commis un acte à motivation raciste, mais n’était pas tenant d’une idéologie d’extrême-droite. Le tireur fou a bien plus choisi ses victimes pour attirer une attention maximale sur sa conviction complotiste d’être surveillé par un service de renseignement.

Comme l’écrit la Süddeutsche Zeitung, « les enquêteurs du BKA ont pu mettre la main sur plus de 100 vidéos sur l’ordinateur et le téléphone mobile de l’auteur de l’attentat […] Une évaluation de ces données aurait donné le résultat que pratiquement aucune n’était en rapport avec les faits. On n’y a trouvé aucun élément établissant que Tobias R. se soit intéressé de près ou de loin à une idéologie d’ultra-droite, à des terroristes d’ultra-droite tel que Breivik, ou à leurs actions. »

Les enquêteurs n’ont trouvé dans la vie de Rathjen aucun indice d’une radicalisation comme « loup solitaire d’extrême-droite », ni trace de xénophobie. Selon le compte rendu du BKA, il aurait par exemple à plusieurs reprises aidé un voisin de couleur. Dans le cadre de ses loisirs, il aurait joué au football dans une équipe majoritairement composée de joueurs d’origine immigrée.

D’après le BKA, le meurtrier d’Hanau n‘aurait introduit que très tardivement dans son manifeste ses délires d’anéantissement contre les migrants ou des peuples entiers. Il y a pour cela un indice objectif : en novembre 2019, Rathjen avait envoyé son manifeste – qui tournait autour du Mind-Control dont il pensait être la victime – au procureur général fédéral Peter Frank, en exigeant qu’il diligente une enquête sur la surveillance dont il pensait faire l’objet par un service secret. Le texte de ce premier manifeste est à peu près identique à celui du second, ne manquent que les passages racistes. Les enquêteurs sont donc d’avis qu’il ne les a rajoutés que pour mieux attirer l’attention.

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Le parquet fédéral n’avait, à ce moment-là, pas creusé l’affaire, pour chercher à savoir si son auteur présentait un danger. Il disposait d’un permis de détention d’armes et de deux armes de tir sportif : sur la foi de cette lettre, qui suffisait à établir un grand trouble mental, les autorités compétentes les lui auraient vraisemblablement retirés sans plus attendre.

Les conclusions du BKA ne sont pas une surprise pour ceux qui ont analysé le manifeste et le message vidéo enregistré. L’expert-profileur Mark T. Hoffmann déclarait au Bild le 20 février : « C’était visiblement un solitaire, qui s’est bricolé sa propre idéologie sur internet. »

Tichys Einblick compte au nombre des médias qui avait alors constaté que, si Rathjen avait bien agi par haine raciste, il n’y avait en revanche dans ses déclarations absolument ni lien avec une organisation d’extrême-droite ni référence à la politique allemande. Dans une vidéo enregistrée deux jours avant les faits, Rathjen s’adressait bien au contraire en anglais à « tous les Américains », racontant des meurtres d’enfants perpétrés, selon lui, dans une base militaire souterraine. Dans ses explications écrites, il est question également de voyages dans le temps, du Mind Control par un service secret auquel il serait soumis depuis sa naissance, et aussi du fait que Jürgen Klopp et Donald Trump lui auraient volé ses idées. Par ailleurs, il déclarait qu’il haïssait les étrangers et les non-blancs, mais aussi qu’il considérait la réduction de moitié de la population allemande comme « parfaitement possible ».

Bien qu’alors, aucun élément ne permettait d’inférer un lien avec des extrémistes de droite ou l’AfD, politiciens et médias établirent aussitôt cette connexion et la convertirent en exigences. La représentante de la SPD Serpil Midyatli exigea par exemple le placement sous surveillance par le Verfassungsschutz de toute l’AfD. « L’État de droit doit désormais riposter avec toute la dureté nécessaire, » jugeait-elle – ce qui, soit dit en passant, avec cette image d’un État de droit « agissant en représailles » contre l’auteur d’un attentat alors que celui-ci était déjà mort, révélait une compréhension étrange de ce qu’est un État de droit … Elle exigeait encore que « tous les partis démocratiques de tous les pays et à tous les niveaux excluent toute coopération avec l’AfD : l’AfD serait, à l’entendre, « le bras politique du terrorisme d’extrême-droite ». Le secrétaire-général de la SPD, Lars Klingbeil, qualifiait Björn Höcke de « catalysateur de terreur d’ultra-droite comme à Hanau » ; il exigeait lui aussi la mise sous surveillance de l’AfD par le Verfassungsschutz. De nombreux autres politiciens tenaient des propos de la même veine.

Les conclusions du BKA passaient visiblement si peu avec le récit officiel que l’auteur de l’article de la Süddeutsche Zeitung, Georg Mascolo a pris le soin d’aller interroger le sociologue d’Iéna Matthias Quent. Quent a beau n’avoir rien eu à faire avec l’affaire d’Hanau et ne disposer d’aucun élément particulier, il n’en appartient pas moins au pool de « donneurs de citation » qui produisent avec fiabilité [au profit des médias, n.d.T.] des évaluations en phase avec ce que l’on en attend. Le journaliste qui cherche une phrase de louange pour la transition énergétique s’adresse depuis des années à Claudia Kemfert ; celui qui veut savoir que la criminalité chez les migrants est surestimée est bien avisé de se tourner vers Christian Pfeiffer. Celui qui souhaite citer une mise en garde à l’adresse de l’extrême-droite téléphone à Quent. Le sociologue avait, justement, récemment tenté dans Die Zeit, un rapprochement entre l’épidémie de Covid-19 et l’AfD.

« Le sociologue d’Iéna et spécialiste de l’extrême-droite Matthias Quent », écrit la Süddeutsche Zeitung, « met en garde contre le risque de sous-estimer l’impact social, en termes de communication, d’un attentat comme celui d’Hanau – et de le considérer séparément de son auteur. Selon Quent, Tobias R. a clairement choisi ses victimes selon des critères racistes. Ceci justifie que l’attentat soit à ranger sans aucun doute dans la catégorie des crimes d’extrême-droite, même selon les critères de la police. » Visiblement, le BKA n’avait pourtant pas distingué le fait et son auteur, mais en revanche exploré minutieusement l’environnement privé de l’auteur – peut-être trop minutieusement pour certains.

Contre le pré-rapport du BKA, d’autres ont aussi cherché à mobiliser, par exemple Hasnain Kazim, le très extrême-gauchisant auteur et longtemps journaliste du Spiegel – pourtant sans apporter le moindre argument contredisant le soi-disant pré-rapport du BKA.

Mardi de cette semaine-là, il se passa quelque chose d’inhabituel : le chef du BKA, Holger Münch, s’exprima sur les articles de presse parus ces derniers jours et déclara :

« Au sujet de l’article de la SZ en date du 28 mars 2020 à propos d’un supposé rapport final du BKA sur les événements d’Hanau, nous établissons ceci : un tel rapport n’existe pas à ce stade. L’enquête va se prolonger. Le BKA affirme de manière indiscutable le caractère d’extrême-droite de l’attentat. Son accomplissement avait des motivations racistes. »

Une telle explication, trois jours après l’article, est étrange. Les fonctionnaires du BKA ne discutent visiblement pas les motifs racistes de Rathjen, ceux-ci se déduisent du reste de la dernière version de son manifeste. Le point décisif réside dans le fait qu’ils n’ont pu mettre en évidence aucune vision d’extrême-droite chez le tireur. Le fait que Münch déclare que les investigations vont se poursuivre laisse penser qu’il ne devrait pas y avoir que des différences rédactionnelles entre la version provisoire et la version définitive du rapport du BKA. Cela fait naître immédiatement le soupçon qu’il doit être retravaillé, pour ne pas faire s’effondrer la thèse affirmée par des douzaines de politiciens et d’articles d’une responsabilité intellectuelle de l’AfD.

Tichys Einblick a demandé au BKA si les citations de l’article de la Süddeutsche Zeitung étaient authentiques, et dans l’affirmative, à quel document du BKA elles se référaient. Une fonctionnaire nous a répondu que l’Office se refusait à répondre là-dessus et nous a renvoyé au parquet fédéral, en charge du dossier. A nos questions, le parquet fédéral a répondu à son tour que le rapport final sur l’attentat d’Hanau n’était pas encore terminé, et que l’estimation du BKA sur les motivations de l’auteur n’était en conséquence en aucun cas définitive.

La modification, a posteriori, d’un rapport d‘enquête ne serait pas un cas unique. Cela s’est déjà produit une fois : après la tuerie de Munich perpétrée par Davut Ali Sonboly (abrégé dans la plupart des médias en David S.) dans le centre commercial Olympia, en juillet 2016. Selon les informations du LKA [Landeskriminalamt, Office Criminel du Land – ici de Bavière, n.d.T.] Sonboly avait tué pour se venger d’un harcèlement subi à l’école. L’élève suivait par ailleurs un traitement dans une clinique pour des troubles psychosomatiques. Après la remise du rapport final, une pression croissante fut exercée par la fondation Amadeu-Antonio, les Verts, et d’autres pour déclarer les neufs meurtres comme « d’extrême-droite ». Et cela s’est produit, effectivement – en octobre 2019. Trois ans après les faits, les autorités ont attribué au crime, au moins partiellement, des motivations d’extrême-droite, à la grande satisfaction des Verts.

C’est un rapport d’expertise de la ville de Munich qui mit sur les rails cette nouvelle évaluation, un rapport qui formulait déjà par avance qu’il s’était agi d’un crime raciste. L’un des experts s’appelait Matthias Quendt.

François Stecher
03/04/2020

Source : Correspondance Polémia

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