Par Eric Delcroix, juriste, essayiste et écrivain, auteur de Droit, conscience et sentiments ♦ Alain de Benoist publie un nouvel ouvrage, bien d’actualité, Nous et les autres, sous-titré L’identité sans fantasmes, divisé en deux parties : I – « Qu’est-ce que l’identité », II – « Les délires du “néo-racialisme identitaire” ».
En introduction, l’auteur énonce la complexité de la question, le mot recouvrant de « multiples facettes », savoir sous sa plume : « Nous avons une identité ethnique, une identité linguistique, une identité culturelle, une identité générationnelle, une identité professionnelle, une identité sexuelle, une identité d’état civil, éventuellement une identité religieuse, politique ou philosophique » (p. 7 et 8).
La question de l’identité, nous rappelle Alain de Benoist, ne se posait guère au Moyen Âge, dans des sociétés fondées sur la loyauté : « La question n’est pas alors de savoir qui je suis, mais envers qui je dois être loyal, c’est-à-dire à qui je dois faire allégeance » (p. 19). Le développement de l’individualisme a évidemment changé la donne au fur et à mesure de son développement, notamment à partir du christianisme, puisque le « for intérieur devient […] un espace d’autosuffisance par rapport au social. Il devient le lieu d’une mise à l’écart qui permet la rencontre avec Dieu » (p. 21). Puis viendront Descartes, « l’individu n’a plus besoin d’un rapport à l’autre pour exister » (p. 22), et Locke, « le passé n’a rien à nous dire, puisque l’avenir sera nécessairement meilleur » (p. 23).
Modernité libérale et foisonnement des identités (I)
« La modernité a partout fait disparaître les modes de vie différenciés. Les anciens liens organiques se sont dissous. La différence des genres a été atténuée » (p. 35).
Facette très importante, les identités nationales sont complexes, mêlant réalité ethnique et principe civique dans des proportions variées. La république française, trop marquée par une rationalité idéologique récurrente, nie la substance historique humaine et charnelle de la France. Néanmoins, on peut regretter qu’Alain de Benoist fasse un amalgame entre cette rationalité désincarnée et l’État centralisé, antérieur au « jacobinisme […] qui suscite des affirmations communautaires pathologiques » (p. 65). Hors du régionalisme, et contrairement au propos scandaleux du président Macron, la culture française existe et Molière appartient aux Normands autant qu’aux Aquitains.
Conséquence de l’individualisme exacerbé, « la dissolution progressive des rapports organiques […] [fait] que l’individu [est] tenu d’intervenir lui-même dans ses choix identitaires » (p. 75). Cela posé, on n’est pas forcé non plus de suivre l’auteur quand il dit : « Sous l’Occupation, les Français qui ont volontairement choisi de collaborer avec l’Allemagne faisaient primer leurs affinités […] sur leur simple appartenance nationale » (p. 85). Faut-il en déduire que c’est le ralliement aux Anglo-Américains ou aux Soviétiques qui procédait donc exclusivement de l’« appartenance nationale » ? Pétain mauvais Français, Thorez bon Français : concession acrobatique à l’antifascisme…
Comme on l’a vu plus haut, l’auteur, contrairement à un Renaud Camus, a évité le mot race quant aux éléments constitutifs de l’identité. Finalement, la chose est évoquée, mais seulement, dans cette première partie, au chapitre… des « Pathologies de l’identité ». Cela ne peut que satisfaire l’antiraciste militant et professionnel Pierre-André Taguieff, qui est abondamment cité dans l’ouvrage. La conscience de la race aurait nécessairement des conséquences négatives, liées (on ne sait pourquoi) à un « exclusivisme convulsif » (p. 94). On lit à cette aune : « … un Européen, par exemple, trahirait son identité en aimant la poésie arabe, le théâtre japonais ou la musique africaine » (p. 95), sans, bien sûr, aucun exemple à l’appui de cette outrance. Soucieux de leur race, les Japonais et les Coréens n’en apprécient pas moins, très souvent, la musique tonale européenne sans rien trahir de leur identité ! Puis d’asséner que cette conscience raciale entraîne l’« élimination du tiers : Qui n’est pas avec nous est contre nous » (p. 95), sans référencer cette détestable maxime, prêtée au Christ par l’Évangile (Matthieu 12, 30). La société raciste telle que la dénonce Alain de Benoist n’est heureusement qu’un fantasme digne de P.-A. Taguieff ! Et d’ajouter que « les critères biologiques d’appartenance […] sont […] impuissants à rendre compte des évolutions politiques et sociales rapides qui se produisent à l’intérieur d’une population “homogène” ». Les exemples de la Corée ou du Japon inciteraient, là encore, à penser le contraire…
Déferlante woke et racialisation (II)
La deuxième partie de Nous et les autres ne justifie guère de réserves, contrairement à la première. Alain de Benoist paraît, là enfin, affranchi des conventions, entraves et réserves qui précèdent.
Celui-là même qui reléguait précédemment la race au domaine de la pathologie a trempé cette fois sa plume dans une autre encre.
Il vilipende nos parlementaires qui ont décidé que les races humaines n’existaient pas, prétendument au nom de la science, cette « condamnation “morale” cherche à se présenter comme une condamnation scientifique, oubliant que la science, par définition, n’énonce jamais rien d’impératif » (p. 120). « Veiller à la promotion des minorités raciales tout en affirmant que les races n’existent pas est évidemment assez ubuesque » (p. 123).
Avec l’esprit woke, on assiste au « retour à la conception archaïque de la culpabilité collective et de la faute héréditaire, qui reste aujourd’hui plus présente que jamais » (p. 135).
Mais le monde de l’esprit woke que nous fait visiter Alain de Benoist n’en est pas à ça près, pour ses sectateurs précise-t-il (citant Éric Fassin) : « Il en va des identités raciales comme des identités sexuelles : loin d’être données par la biologie, elles sont construites, à la fois assignées et négociées, dans l’histoire des rapports au pouvoir. »
L’auteur, au fil de son texte, guide le lecteur dans les entrelacs de ce monde hystérique, notamment celui des pensées « décoloniales » et « postcoloniales ». Un chapitre entier est consacré aux mouvements des « indigénistes », qui ne sont pas les indigènes de la France, mais des « décoloniaux » que l’on a une folle envie de renvoyer dans leurs pays d’origine !
Alain de Benoist, comme son lecteur, est irrité par toutes ses sottises haineuses venues d’ailleurs. Aussi concède-t-il qu’il faut mettre au débit de la colonisation d’avoir « créé les conditions sanitaires d’une surpopulation dont on voit les effets aujourd’hui » (p. 170).
« L’Exil intérieur » : le traité de morale et de maintien d’Alain de Benoist
Après avoir rappelé, en fin de première partie, une pétition de principe dans la ligne de Jean-Claude Michéa pour qui le capitalisme est axiologiquement neutre, (« les valeurs (morales) n’ont pas de (valeur) marchande » [p. 113]), Alain de Benoist convient pourtant qu’« [A]ujourd’hui le “nouvel antiracisme” trouve très logiquement un appui majeur auprès des grandes sociétés industrielles et commerciales, qui n’ont guère à se forcer pour rallier les mots d’ordre du “décolonialisme” ou de la mouvance LGBT tant elles voient dans ces thématiques autant de sources de profit » (p. 181). Mais l’auteur voit la chose comme un simple opportunisme, alors que l’essence du capitalisme contemporain est américaine, donc puritaine. Selon moi, et cela m’oppose à Alain de Benoist, le génie du système, c’est que morale et affaires coïncident toujours et ont toujours coïncidé aux États-Unis. De la société ou du capitalisme, qui a d’ailleurs lancé l’esprit woke ? (Qu’on se souvienne de United colours of Benetton, bien avant Black Lives Matter…) Peu importe, capitalisme étasunien et morale sont consubstantiels, sachant que la morale puritaine, historiquement, n’est qu’un contenant plutôt qu’un contenu invariable.
Pour qui veut lutter contre la morale antidiscriminatoire et correctrice (avec sa discrimination positive), Nous et les autres est un livre utile, surtout en sa deuxième partie.
Éric Delcroix
09/03/2023