Par Paul Tormenen, juriste et spécialiste des questions migratoires ♦ Le nombre de jeunes clandestins arrivant en France pour être pris en charge par les services sociaux des départements ne fait qu’augmenter, en dépit de la crise économique et sanitaire. Face à ce phénomène, on aurait pu s’attendre à ce que le gouvernement cherche à endiguer cette nouvelle voie d’immigration massive. Or, au contraire, selon de récentes annonces, le gouvernement Castex s’apprête à prendre des mesures qui vont encore plus accroître l’appel d’air.
Très récemment, trois événements ont braqué les projecteurs sur la situation des mineurs pris en charge par les services sociaux des départements :
- en novembre 2020 paraissait un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur « l’accueil de mineurs protégés » (1) ;
- à la même période, la Cour des comptes publiait un rapport sur la protection de l’enfance (2) ;
- le 27 janvier 2021, un reportage de l’émission « Pièces à conviction » était consacré aux enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance.
Les deux rapports et le reportage aboutissent sensiblement au même constat : les conditions de prise en charge de nombreux jeunes par les services sociaux ne sont pas satisfaisantes. Sans tarder, le gouvernement a annoncé une série de mesures pour remédier aux carences détectées. Mais, par ricochet, celles-ci vont immanquablement susciter de nouvelles vagues d’immigration clandestine et entraîner l’accroissement des dépenses publiques.
L’aide sociale à l’enfance : la protection des enfants abandonnés ou maltraités
Dans le contexte actuel de dévoiement massif de l’aide sociale à l’enfance (ASE), il est utile de rappeler que la protection sociale de l’enfance a longtemps consisté en la prise en charge d’enfants abandonnés par leurs parents. Alors qu’à l’origine elle relevait de la charité, l’ASE est devenue une forme d’assistance publique. À partir de 1889, la protection sociale de l’enfance a également concerné les enfants maltraités (3).
Ces dernières années, de plus en plus de « jeunes » étrangers, très fréquemment originaires d’Afrique subsaharienne, demandent à bénéficier d’une prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance. Ce dispositif est accessible en France à tous les mineurs, quelle que soit leur nationalité, pourvu qu’ils remplissent les conditions requises. Sur la seule année 2020, pas moins de 40 000 jeunes étrangers que l’on appelle « mineurs non accompagnés » auraient sollicité le bénéfice de l’ASE (4). L’Assemblée des départements de France évalue le coût de la prise en charge par individu à 50 000 euros par an (5). Pour l’ensemble des départements, ces dépenses représenteraient deux milliards d’euros auxquels il faut ajouter la participation financière de l’État (6).
Plus globalement, le nombre de jeunes relevant de l’aide sociale à l’enfance serait approximativement de 148 000. Mais chacun aura bien compris que l’ASE recouvre des réalités bien différentes, entre des enfants maltraités ou abandonnés, et des jeunes étrangers qui arrivent en France grâce à des filières d’immigration clandestine et qui cherchent à prendre pied dans notre pays en bénéficiant d’une prise en charge intégrale (7).
Une prise en charge intégrale
Pour un extra-Européen, demander une prise en charge au titre de l’ASE présente de nombreux avantages :
- le jeune clandestin ne pourra pas être éloigné du territoire tant que son âge n’aura pas été déterminé et tant qu’il n’aura pas épuisé toutes les possibilités de recours contre une décision de refus de prise en charge ;
- débouté de sa demande, il aura toutes les chances de rester en France. Les pays d’origine des MNA ne délivrent qu’au compte-gouttes les laissez-passer consulaires nécessaires à l’éloignement du jeune reconnu majeur. Il pourra à terme envisager d’être régularisé, grâce à l’application souple que les autorités font de ladite circulaire Valls (8) ;
- le jeune extra-Européen reconnu mineur n’a pas besoin de titre de séjour jusqu’à sa majorité. Il peut prétendre à une prise en charge intégrale : hébergement, alimentation, formation, loisirs, etc. À sa majorité, il pourra grâce à une application laxiste du Code de l’entrée et du séjour des étrangers acquérir « de plein droit » un titre lui permettant de prolonger son séjour et de travailler en France. Il pourra même solliciter sa naturalisation (9) ;
- le jeune majeur pourra continuer à bénéficier de l’aide des services sociaux du département en concluant un « contrat jeune majeur » (10).
Gouverner, c’est choisir
On ne peut pas dire que le gouvernement découvre le problème. Les rapports des corps de contrôle (IGAS, Cour des comptes, PJJ, etc.) sur la prise en charge des MNA se comptent par dizaines (11). Un rapport interministériel devrait sortir prochainement, auquel l’Assemblée des départements de France ne s’associerait pas. Les interpellations, les questions écrites et orales et les propositions de loi au Parlement à ce sujet sont nombreuses. Pour freiner l’afflux des MNA, des députés de l’opposition ont proposé en février 2019 d’inscrire dans la loi une présomption de majorité en cas de refus de test osseux pour déterminer l’âge et la suppression de l’obtention quasi automatique d’un titre de séjour à la majorité du jeune étranger (12). Peu importe que la France soit l’un des pays européens les plus laxistes vis-à-vis des jeunes clandestins, le gouvernement a balayé d’un revers de main quasiment toutes les propositions un tant soit peu restrictives (13).
La réponse du gouvernement à l’afflux de MNA : le laxisme
Le gouvernement n’est cependant pas resté inerte face au problème croissant des MNA arrivant en France. Mais il refuse obstinément de traiter le problème à la racine, celui d’un droit détourné de son objet initial et mis au service d’une immigration massive et subie. Pire, il a pris des mesures favorisant l’appel d’air :
- la loi asile et immigration adoptée en 2018 prévoit la possibilité pour les mineurs ayant obtenu le statut de réfugié de faire venir leurs frères et sœurs ;
- le ministre de l’Intérieur a adressé en septembre 2020 une instruction aux préfets visant à éviter toute « rupture de droits » à la majorité des MNA, afin de « favoriser leur parcours vers l’emploi » (14) ;
- le gouvernement organise une « orientation » des MNA sur tout le territoire national dans l’objectif de « répartir de manière proportionnée les mineurs entre les départements » (15). Ce qui revient à disperser les migrants pour tenter de rendre la charge financière moins pesante. Puisque ce phénomène nous dépasse, feignons d’en être l’organisateur…
La seule mesure prise par le gouvernement pour éviter les nombreux abus est non seulement insuffisante, elle est à ce jour inopérante. Elle consiste en la création d’un fichier national biométrique des jeunes clandestins dont l’âge a été évalué, afin d’éviter des évaluations multiples dans différents départements. Mais certains départements refusent de prêter leur concours à cette politique de « contrôle » insupportable, comme celui de Seine-Saint-Denis qui réaliserait 50 % des évaluations en métropole (16).
La tournée qu’effectue actuellement le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, au Maghreb ne doit pas faire illusion : elle ne vise qu’à essayer de faire reprendre par leurs pays d’origines les jeunes délinquants maghrébins qui écument en bande les grandes villes françaises et sèment l’anarchie dans des prisons françaises (17). Cette initiative ne résoudra en aucun cas le problème de l’afflux massif en France des jeunes très majoritairement issus d’Afrique subsaharienne (18).
Les MNA bénéficiaires de la campagne d’opinion sur le sort des enfants placés
Si le dispositif de l’ASE est attractif pour les extra-Européens arrivant en France, cela ne doit pas faire oublier le sort insatisfaisant de nombreux jeunes pris en charge par la protection de l’enfance. La Cour des comptes a mené récemment une mission à ce sujet. Ses conclusions, sous-titrées sans ambiguïté « une politique inadaptée au temps de l’enfant », ont été publiées en novembre 2020.
Les conseillers y soulignent que le nombre d’enfants bénéficiant d’une mesure de protection ne cesse de progresser, une hausse qui serait due pour un tiers à l’afflux de mineurs non accompagnés (MNA). Les rapporteurs de la Cour des comptes font le constat que la prise en charge des jeunes est parfois inadaptée et que les jeunes migrants seraient massivement hébergés à l’hôtel. Ils préconisent notamment de mieux accompagner les jeunes protégés au-delà de 18 ans, voire au-delà de 21 ans. Concernant spécifiquement les MNA, les rapporteurs se bornent à conseiller aux départements de « consolider » leur état civil sans attendre la demande de titre de séjour (19) !
Délinquance des mineurs étrangers en hausse : la faiblesse du gouvernement
Sur le même sujet, à deux années d’intervalle, deux reportages de l’émission « Pièces à conviction » ont contribué à sensibiliser l’opinion publique au sort des jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance.
En janvier 2019, un reportage était consacré aux mauvaises conditions de vie de certains enfants placés dans le cadre de la protection de l’enfance (20). Plus récemment, une nouvelle émission a traité ce sujet le 27 janvier 2021. Les journalistes ont invité pour l’occasion le secrétaire d’État à la protection de l’enfance lors d’un débat (21). Le ministre avait réagi quelques jours avant à la publication du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur les mineurs protégés. S’appuyant sur le constat de l’hébergement à l’hôtel de 7 500 à 10 000 mineurs non accompagnés, il annonçait « très prochainement des décisions pour mettre fin à cette situation qui compromet le bien-être des enfants concernés » (22). Le secrétaire d’État n’est pas venu sans munitions sur le plateau de télévision : il y a annoncé notamment l’interdiction du placement des « enfants » en hôtel et « l’accompagnement de tous [les jeunes majeurs issus de l’ASE – NDLR] vers l’emploi ou la formation et une allocation de 500 € par mois » (23).
La planche à billets, une solution bien française
Le secrétaire d’État s’est bien gardé d’expliquer la raison pour laquelle les MNA (lire : jeunes clandestins) sont logés à l’hôtel, un privilège dont ne bénéficient pas de nombreux SDF en France : les services sociaux des départements sont débordés par l’afflux des MNA et leurs capacités d’accueil sont saturées. C’est ce que confirme en creux le rapport de l’IGAS.
L’enfer est pavé de bonnes intentions. En prévoyant dans une loi qui devrait être adoptée prochainement une allocation de 500 euros par mois pour les jeunes devenus majeurs sortis de l’ASE, le gouvernement institue sans le dire un RSA non seulement pour les jeunes Français sortis de ce dispositif, mais aussi pour tous les jeunes migrants venus dans notre pays bénéficier des largesses de l’ASE.
Immigrés et droits sociaux : laxisme et gabegie de l’État français
L’obligation qui sera faite aux services sociaux de ne plus héberger les jeunes migrants à l’hôtel risque de doubler la note des départements : le coût unitaire moyen de l’hôtel, incluant l’hébergement et l’accompagnement, est selon l’IGAS de 77 euros, soit un peu moins de la moitié du prix de journée moyen observé en maison d’enfants à caractère social (24). Les calculettes commencent à chauffer…
Dans la prose de la Cour des comptes, une expression revient fréquemment : il faut éviter toute « rupture d’égalité ». L’IGAS ne déroge pas à la bien-pensance : « Les MNA constituent une catégorie des publics que doit accueillir l’ASE ». La rupture d’égalité existe pourtant bel et bien, dans un contexte de ressources limitées :
- le refus d’appliquer la préférence nationale aboutit à donner des ressources à des jeunes étrangers, que l’on refuse à des jeunes Français sous prétexte souvent justifié qu’il ne faut pas favoriser l’assistanat ;
- la rupture d’égalité existe également quand le président du département du Nord affirme dès 2017 au micro de RMC ne plus avoir les moyens d’accueillir de jeunes nordistes « car priorité est donnée aux mineurs non accompagnés étrangers […] qui arrivent à raison de 100 par semaine » (25).
Mais on aura compris que tant la Cour des comptes que l’IGAS n’ont pas eu l’outrecuidance de proposer une évolution de la réglementation pour arrêter le détournement massif de l’aide sociale à l’enfance.
500 euros par mois, c’est une somme que ne touchent pas de nombreux Français. C’est une garantie de revenus pour ceux à qui l’on n’a jamais demandé de venir. En refusant d’opérer des différences de traitement en fonction de la nationalité, on développe l’appel d’air d’une immigration plus que jamais coûteuse.
Il y a urgence à remettre en cause les nombreux droits au service des clandestins. Mais en surjouant les antagonismes avec les populistes, Macron s’en éloigne chaque jour davantage. Les passeurs doivent déjà se frotter les mains.
Paul Tormenen
07/02/2021
Notes
(1) « L’accueil de mineurs protégés dans des structures non autorisées ou habilitées au titre de l’aide sociale à l’enfance ». IGAS. Novembre 2020.
(2) « La protection de l’enfance – Une politique inadaptée au temps de l’enfant ». Cour des comptes. Novembre 2020.
(3) « L’histoire de la protection de l’enfance ». C. de Ayala. Le Journal des psychologues. 2010.
(4) « Le nombre de mineurs isolés étrangers explose en France ». Le Figaro. 29 septembre 2020.
(5) « L’accueil des mineurs non accompagnés (MNA) dans les départements ». ADF. Février 2019.
(6) Avis de Jean Sol sur le projet de loi de finances pour 2021 : Solidarité, insertion et égalité des chances. 19 novembre 2020.
(7) « “Pièces à conviction”. Enfants placés : que fait la République ? ». France Info. 27 janvier 2021.
(8) Circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l’Intérieur M. Valls.
(9) « L’entrée et le séjour des mineurs ». Info droits étrangers. Consultation 4 février 2021.
(10) « ASE et prise en charge du jeune majeur : le département peut prendre en compte le comportement du jeune majeur ». Landot & associés. 18 août 2020.
(11) Rapports institutionnels nationaux. InfoMIE. Requête 5 février 2021.
(12) Proposition de loi n° 1716 relative à l’accueil et à la prise en charge des mineurs étrangers isolés, du 20 février 2019.
(13) « L’accueil et la prise en charge des mineurs non accompagnés dans huit pays de l’Union européenne ». France terre d’asile. Octobre 2010.
(14) Instruction du ministre de l’Intérieur « relative à l’examen anticipé des demandes de titres de séjour des mineurs étrangers confiés au service départemental de l’aide sociale à l’enfance ». 21 septembre 2020.
(15) « Décision du 2 juillet 2020 fixant pour l’année 2020 les objectifs de répartition proportionnée des accueils des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ». Ministère de la Justice.
(16) « Faut-il forcer les départements à ficher les jeunes migrants isolés ? ». La lettre du cadre territorial. 22 janvier 2021.
(17) « En détention, l’ultraviolence des mineurs étrangers déstabilise la vie carcérale ». Le Figaro. 3 février 2021.
(18) « Qui sont les mineurs non accompagnés en France ? ». Institut Montaigne. 14 octobre 2020.
(19) Cf. (1).
(20) Cf. (7).
(21) « Interdiction du placement en hôtel, création d’un fichier national des agréments… Adrien Taquet dévoile ses mesures pour les enfants placés ». France Info. 27 janvier 2021.
(22) Cf. (1).
(23) Cf. (21).
(24) Cf. (1).
(25) « Mineurs migrants isolés : 100 de plus par semaine, un élu débordé témoigne ». Fdesouche à propos d’une émission de RMC du 22 novembre 2017.