Par Leslie Varenne, directrice de l’IVERIS et Yehia Ag Mohamed Ali, chercheur et spécialiste du Sahel ♦ Le 16 septembre 2017, Ayman al-Zawahiri (photo), le chef d’al-Qaeda, s’est adressé aux Africains et les a appelés à combattre la France qu’il accuse de revenir en Afrique. Dans son allocution, il s’est référé à Omar el-Mokhtar, héros de la lutte armée libyenne contre l’Italie coloniale. Ni cette accusation, ni le choix de cette figure légendaire ne sont dus au hasard. Si aucun dirigeant de l’Hexagone ne semble avoir pris la mesure du sérieux ressentiment anti-français qui prévaut actuellement dans tous les pays d’Afrique francophone, en revanche, le leader de l’organisation terroriste, lui, l’a bien compris. Plus qu’un véritable appel au djihad, cette déclaration est avant tout opportuniste.
Il revendique, par anticipation, la paternité des effets que pourraient avoir les diatribes anti-françaises en cours sur le continent, d’une ampleur jamais égalée, y compris à l’époque des luttes pour l’indépendance. Pas un jour ne passe sans recevoir des fausses informations imputant à Paris de terribles méfaits. Ici des images de soldats français pillant de l’or à Kidal, dans le Nord du Mali, mais le montage photo mal réalisé laisse apparaître des arbres n’existant pas dans cette région. Là, des révélations dites explosives : La France arme Boko Haram, La France pille l’Afrique, derrière les titres accrocheurs ce ne sont que des manipulations, de vieilles informations sorties de leur contexte. Les réseaux sociaux s’enflamment. L’ancien état colonisateur est responsable de tous les maux, de toutes les souffrances, les peuples gardant, souvent à tort, l’image ancienne de la toute-puissance française.
Sur le terrain, l’agressivité contre les Français a commencé à se ressentir dès 2011 après les guerres contre la Côte d’Ivoire et la Libye et elle prend de plus en plus d’ampleur. Avec la bataille contre le franc CFA, portée par Kemi Seba, activiste français d’origine béninoise, le french bashing atteint des sommets.
Curieusement, le militant pour le panafricanisme et contre l’impérialisme ne vise qu’une seule cible : la France. Ses soutiens demandent le retrait des bases militaires françaises sur le continent, mais restent étonnamment muets sur la présence de plus en plus importante de l’armée américaine dans tous les pays francophones. En effet, l’Hexagone ne cesse de perdre du terrain dans son ancienne zone d’influence. Ce qui était impensable il y a encore quelques années est devenu réalité, l’Africom, le commandement US en Afrique, a implanté une base au Sénégal, des avant-postes opérationnels ont été construits au Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad, Gabon.
De la même manière, et bien qu’absolument légitime, le débat sur la souveraineté monétaire est posé en termes irrationnels. Pour sortir le franc CFA du giron de la Banque de France, Kemi Seba propose une monnaie panafricaine qui reproduirait les mêmes erreurs que celle du Franc CFA actuel et souffrirait des mêmes maux que l’euro : une seule monnaie pour des États aux économies fort différentes, avec la Côte d’ivoire dans le rôle de l’Allemagne et le Mali dans celui de la Grèce. La seule issue étant la création de monnaies nationales, mais que vaudraient-elles sans tous les autres instruments de souveraineté, armées dignes de ce nom, industrialisation ?
L’activiste ne répond pas à ces questions, preuve que ce débat est plus passionnel que politique. Il prospère sur le terreau d’une histoire d’amour/haine entre ex colonisateur/ex colonisés jamais vraiment résolue. La rancœur est si prégnante, qu’il suffit désormais à un chef d’État africain, même le plus impopulaire en son pays, de prononcer un seul mot contre Paris pour se refaire une santé sondagière. Idriss Deby, Président du Tchad depuis 27 ans, pourtant ami et allié de tous les Présidents français successifs, s’y est essayé avec un certain succès… Mais si la mayonnaise du french bashing prend aussi bien, ce n’est pas seulement à cause des erreurs du passé, c’est également et surtout en raison des fautes commises par les dirigeants français successifs en ce début de 21e siècle.
Les bâtons pour se faire battre
La première faute, magistrale, est celle de la guerre en Côte d’Ivoire, avec les bombardements sur la résidence de Laurent Gbagbo et son arrestation par l’armée française. Il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir l’impact et les conséquences que pouvaient avoir sur les opinions publiques africaines ces images, dont celle d’un Président en tee-shirt, prisonnier dans une chambre d’hôtel, surveillé du coin de l’œil par les soldats de l’ancienne puissance coloniale.
Que ce conflit ait été ourdi par Washington avec la participation active de l’Africom, que Nicolas Sarkozy n’ait pas œuvré au nom des intérêts de la nation qu’il dirigeait, mais en son nom propre et à celui de l’ami américain, ne change rien à l’affaire, pour la très grande majorité des Africains, la France est seule responsable. Les US n’ont pas adopté la stratégie de l’empreinte légère, qui consiste à laisser un autre pays diriger les opérations afin de ne point trop s’exposer, pour rien. La deuxième faute magistrale, est bien entendu, la guerre en Libye opérée selon le même modus operandi, le président français sur tous les fronts, les Américains en arrière, puis l’assassinat de Muammar Kadhafi et le chaos qui s’en suivit. Au passage, il est intéressant de noter que le guide de la Jamahiriya ne sortait jamais sans la photo de son héros, Omar el-Mokhtar, à la boutonnière de son uniforme !
Dès cette époque, sur le terrain, le ressentiment anti-français est palpable. En 2012, à son arrivée au pouvoir, François Hollande ne prend pas le pouls de l’Afrique francophone, ne tire pas les enseignements des guerres de 2011 et des inconséquences de son prédécesseur. Faute de vision, il poursuit la même politique faites d’errements, d’erreurs, de petits arrangements entre amis, de complicité avec des chefs d’États corrompus. Il se rend coupable d’aveuglements volontaires lors de consultations électorales frauduleuses et/ou contestables au Tchad, au Niger, au Gabon, au Congo, etc. Il ne mesure pas le désespoir et l’exaspération des peuples avides d’alternance et de changements. Il laisse des personnalités s’adonner à une diplomatie parallèle qui œuvrent pour leurs propres intérêts sonnants et trébuchants et non pour ceux de la nation ; il permet à son Premier ministre, Manuel Valls, d’entretenir des relations très particulières au Togo, en Côte d’Ivoire, au Congo, donnant ainsi crédit à l’abondante littérature sur, ce que d’aucuns appellent, la France-Afrique.
L’ancien président français persévère dans l’indignation sélective, rappelant à l’excès les valeurs de la France : démocratie, droits de l’homme sans jamais les appliquer en Afrique ; toujours silencieux sur les prisonniers politiques en Côte d’Ivoire et ailleurs, muet sur les tueries aux Congo… Au Mali, la réussite de l’intervention militaire française tant vantée fut de courte durée, sur le long terme cette victoire s’est transformée en échec et ce pays est maintenant la proie d’attentats terroristes. L’ancien président français a ainsi contribué à entretenir les blessures de 2011, voire à retourner le couteau dans les plaies.
De l’huile sur le feu
À cette longue liste des raisons de la colère, il faut ajouter la Cour Pénale Internationale (CPI), cette Cour honnie des Africains où seuls les ressortissants de ce continent sont envoyés à la barre.
Le procès ubuesque de Laurent Gbagbo, retransmis en direct, alimente quotidiennement le french bashing et pas seulement dans les pays francophones.
De l’extrême nord à l’extrême sud du continent, l’ancien président ivoirien est devenu un symbole du panafricanisme. Âgé de 72 ans, il s’apprête à vivre le sixième anniversaire de son emprisonnement à la Haye, sans qu’à ce jour aucune preuve ne vienne étayer l’accusation. Sa douzième demande de liberté provisoire est en cours de traitement, peu importe qu’Emmanuel Macron puisse avoir ou non une influence sur cette décision. En l’état des opinions publiques, l’élargissement de Laurent Gbagbo sera porté au crédit du nouveau président français, son maintien en détention sur son compte débiteur. Et s’il arrivait malheur au martyr de l’impérialisme dans sa prison, les Français en Afrique seraient rhabillés pour de très nombreux et de très longs hivers…
Ce paroxysme du ressentiment anti-français repose à la fois sur des bases solides et sur un mode émotionnel. Paradoxalement il culmine au moment où la France perd de plus en plus pied sur le continent. Mais est-ce aussi contradictoire ? Ce phénomène est une aubaine pour les Etats-Unis qui sous couvert de lutte anti-terroriste s’implantent durablement en Afrique francophone.
Pendant les deux mandats de Barack Obama, la stratégie US a consisté à déposséder la France de sa zone d’influence stratégique en Afrique de l’Ouest (En Afrique centrale, cette stratégie mise en place par Bill Clinton avait débuté dès les années 1990 dans la région des Grands Lacs). Après la Côte d’Ivoire, ce fut le tour du Sénégal, avec le financement du mouvement citoyen Y’en a marre qui permit à Macky Sall d’arriver au pouvoir. En octobre 2014, vint le tour du Burkina-Faso qui peut être considéré comme la première révolution de couleur sur le continent, avec aux commandes le Balai citoyen dans le rôle du mouvement sénégalais et l’ambassadeur US de choc, Tulinabo Mushingi. Dans cette zone, le smart power américain bat son plein comme le montre la réunion organisée par le World Movement for Democracy à Dakar les 12 et 14 mars 2015. Tout ce que l’Afrique compte d’organisations dites de sociétés civiles étaient présentes (cette réunion n’étant pas publique, il n’existe pas de document sur internet, l’IVERIS possède des documents, mentionnant les noms des participants, leur organisation et leur pays ainsi que tous les organisateurs/financeurs : National Endowment Democracy, Freedom House, NDI, Solidarity Center… À noter, la sur-représentation de la Gambie, avec quatre participants, c’est beaucoup pour un si petit pays…). Il n’est donc pas interdit de penser que des groupes de pressions américains et leurs relais français alimentent la campagne de french bashing. Dans un entretien sur une chaîne de télévision sénégalaise, Kemi Seba déclare être financé par l’Iran. Surprise. Quel serait donc l’intérêt de la République islamique d’œuvrer à la fin du Franc CFA ? Mystère. En outre, de nombreux Libanais chiites sont installés en Afrique de l’Ouest où ils ont réalisé d’importants investissements, ils participent à l’économie des États dans lesquels ils vivent mais également à celle du Sud Liban. En l’état de l’instabilité qui règne dans toute la zone, de la Côte d’Ivoire au Togo, la création d’une monnaie nationale les ruinerait. Mais qu’importe puisque la problématique du Franc CFA a été résolue par deux chercheurs travaillant pour des institutions financières d’Amérique du Nord : « Une autre approche serait de remplacer le CFA par une dollarisation de la région, ce qui favoriserait le développement du secteur financier, des taux d’intérêts plus raisonnables tout en conservant les avantages de la stabilité monétaire. »
L’apaisement ?
Emmanuel Macron hérite de cette situation et est décidé à faire de l’Afrique une de ses priorités, à juste titre, puisque l’heure est grave. Personne n’est encore capable de dire s’il poursuivra la politique de ses prédécesseurs ou s’il engagera l’incontournable virage à 180°. Chaque nomination, chaque signe est interprété dans l’espoir de percevoir les lignes de forces qui se dégagent. Pour l’instant les initiatives prises : création du Conseil Présidentiel pour l’Afrique, mise en place du G5 Sahel pour combattre le terrorisme dans la zone et instauration de hot spot au Niger et au Tchad pour enrayer le flux des migrants qui traversent la Méditerranée, ne sont pas de nature à apporter une réponse sensible à la crise aigüe que traverse les relations franco-africaines. La vapeur pourrait pourtant se renverser facilement : il suffirait seulement de prendre l’exact contre-pied de la politique mise en œuvre par Nicolas Sarkozy et François Hollande au cours des dix dernières années.
Leslie Varenne et Yehia Ag Mohamed Ali
25/11/2017
Source : iveris.eu
Correspondance Polémia – 24/11/2017
Crédit photo : Hamid Mir via Wikimédia (cc)