La façon dont les médias rendent compte actuellement du scandale du système d’écoute mondial américain Prism révèle une nouvelle fois leur grande indépendance et nous éclaire aussi sur les rouages de la désinformation ordinaire. Michel Geoffroy fait le point pour Polémia.
Un nouveau scandale mondial
En effet, le scandale porte non seulement sur les écoutes en elles-mêmes, mais aussi sur le fait que les majors de l’Internet et de la « société de l’information » américains ont, – en application, au surplus, « d’injonctions judiciaires secrètes » – remis au gouvernement américain toutes leurs données en provenance de l’étranger. Les révélations d’E. Snowden montrent aussi que tous les pays anglo-saxons ont été mobilisés dans ces écoutes et au premier chef en Europe nos chers amis anglais.
Au moment où l’Union européenne négocie un énième traité commercial avec l’Oncle Sam, ces révélations tombent évidemment bien mal.
Mais, comme par enchantement, voici que nos braves médias décident de nous « éclairer » sur cette ténébreuse affaire. A leur façon.
Tout le monde complice ?
D’abord, l’argument se répand que finalement ce ne sont pas des révélations car tout le monde « savait » depuis l’affaire du réseau Echelon. C’est par exemple le sens de la tribune de Michel Riguidel dans le Monde du 26 juin 2013 (« Edward Snowden n’a révélé qu’un secret de Polichinelle »). Voilà un argument plaisant. Le fait que l’on « sache » que des voleurs et des criminels existent suffit-il à légitimer le vol et l’assassinat ? A les banaliser, peut-être, mais sûrement pas à les légitimer.
Tout le monde ferait pareil ?
Une seconde approche consiste à expliquer que finalement tout le monde écoute tout le monde. Telle est, par exemple, l’analyse éclairante d’André Glucksmann dans sa tribune « Le cyber-espionnage nous projette dans une ère de confrontation sans limites » (le Monde du 3 juillet 2013).
Que nous dit finalement, en effet, notre « philosophe » ? Que les écoutes américaines ne doivent pas nous faire oublier l’espionnage chinois ni « les sorties kaguébistes de Poutine » (sic). Le Monde du 5 juillet publie d’ailleurs un article sur les « grandes oreilles » mondiales de la DGSE.
Semer la confusion
On connaît bien ce type de désinformation par confusion. Il consiste à mettre sur le même plan des données de portée différente afin de relativiser le fait principal.
Ainsi, par exemple, les médias nous entretiennent périodiquement de la montée « des » intégrismes religieux : ce qui permet de mettre sur le même plan les traditionalistes catholiques et les islamistes. Et donc de banaliser ces derniers.
Dans le cas de Prism l’idée sous-jacente est, bien sûr, de relativiser ce réseau mondial : finalement tout le monde écoute tout le monde, et il se trouve seulement que les Américains font cela en grand. Quoi de plus normal en effet pour cette grande nation ?
Curieusement, en outre, nos commentateurs ne vont pas au bout de leur argument : car si tous les gouvernants espionnent les citoyens d’une façon totalitaire, c’est que les libertés régressent partout, et notamment en Occident.
Ah bon ? Vous croyez ?
Les sondages en renfort
Une autre désinformation intéressante consiste à commenter gravement des sondages qui montreraient, par exemple, que 62% des Américains se déclarent favorables à l’interception des communications afin de lutter contre le terrorisme (sondage effectué du 6 au 9 juin) ; ou, comme le fait Die Welt dans son édition du 13 juin, que 40% des Allemands y seraient également favorables. Des sondages français vont certainement sortir bientôt sur le même thème.
Ah les braves gens ! Voilà la désinformation sociologisante à grand renfort de commentateurs experts !
Mais on ne nous dit pas si ces sondages portent effectivement sur les révélations faites par E. Snowden ou si des questions plus génériques ont été posées. En outre, en quoi 62% d’opinions positives des Américains devaient-elles modifier l’opinion des Européens sur un système dont on nous dit, par ailleurs, qu’il a justement pour objet d’espionner les communications de ceux qui… ne sont pas américains ?
Il s’agit là encore, bien sûr, de brouiller les perspectives.
De nous faire voir la dure réalité au travers d’un prisme, justement.
Michel Geoffroy
13/07/2013
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