Par l’Observatoire du journalisme ♦ Le 3 novembre 2022, à l’Assemblée nationale, le député Grégoire de Fournas régissait à une question posée au gouvernement par un député de la France Insoumise, Carlos-Martens Bilongo, relative au sort de migrants en mer Méditerranée à bord du bateau d’une O.N.G. Aussitôt, la machine à disqualifier et à condamner s’est mise en marche. Les médias centraux n’ont une fois de plus pas manqué d’y apporter leur active contribution. Revue de presse.
Les méthodes de production du scandale
L’essayiste et universitaire canadien Mathieu Bock-Côté nous a habitué aux analyses souvent clairvoyantes des ressorts de la vie politique française Dans l’édition du 3 novembre de Valeurs actuelles, il signe une tribune intitulée « pourquoi la gauche veut en finir avec Valeurs actuelles ».
Si la démonstration en question concerne la tentative de changement de la ligne éditoriale du journal, elle trouve également à s’appliquer à l’incident opposant Grégoire de Fournas à Carlos-Martens Bilongo :
« Les méthodes de production du scandale sont connues : un journaliste de gauche s’empare d’une phrase, d’un extrait de phrase, d’un slogan décontextualisé dans un meeting, d’une photo, puis la jette dans l’espace public ou, de plus en plus, sur les réseaux sociaux, en obligeant les uns et les autres à commenter sur le mode de l’indignation (…). Se crée immédiatement un effet d’entrainement : personne ne veut être pris à ne pas commenter de la manière la plus outrée qui soit. On pourrait le dire avec les mots d’Orwell : quand sont déclenchés les « deux minutes de la haine », le moindre silence sera interprété comme une marque de dissidence et d’insoumission, transformant dès lors le discret en complice du diabolisé du moment, ce qui justifiera à son tour sa propre diabolisation. »
La méthode 1984
De fait, cet enchainement des faits a été rigoureusement respecté dans l’affaire de Fournas :
- une phrase montée en épingle et sortie de son contexte,
- une médiatisation à outrance,
- la course à l’indignation, dans ce cas de figure, des députés NUPES au président de la République,
- la diabolisation de ceux qui ne participent pas au concert des critiques de la personne visée.
La phrase incriminée
Jeudi 3, sur les bancs de l’assemblée nationale, le député de la France Insoumise Carlos-Martens Bilongo interpelle le gouvernement sur le sort de migrants en mer méditerranée à bord du bateau d’une O.N.G. Un député du Rassemblement national, Grégoire de Fournas réagit : « qu’ils retournent en Afrique ».
La langue orale du français ne permet pas de différencier « qu’il retourne en Afrique » au pluriel « qu’ils retournent en Afrique ». La question est d’importance quand celui que l’on interpelle est noir de peau.
Mais comme Gilles Platret, le maire de Chalon-sur-Saône, le souligne le 4 novembre sur Twitter en publiant un extrait des dits débats :
« Si la vidéo était ambiguë, la publication des débats de l’Assemblée lève tout doute ce matin : le député de Fournas dit bien « Qu’il retourne en Afrique » au sujet du bateau de migrants et non « Retourne en Afrique » à l’adresse du député Carlos Martens Bilongo. Pas d’injure donc ».
Mais, sans attendre la publication des débats parlementaires, la gauche, le gouvernement et les médias de grand chemin ont donné une toute autre interprétation à la petite phrase.
L’effet d’entraînement
Les réactions venant de la gauche et du centre ont été vives. Juste après que Grégoire de Fournas ai prononcé son interpellation, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, interroge : « Quel est le député qui vient de prononcer cette phrase ?» .
Comme nous apprend un article du Figaro du 4 novembre, les parlementaires de la Nupes qualifient rapidement ces propos de « racisme ». Emmanuel Macron aurait quant à lui trouvé ces « mots intolérables », selon son entourage, etc. Des députés LR condamnent également fermement les propos du député RN. La machine est lancée.
Grégoire de Fournas a beau s’expliquer et publier un communiqué de presse. Ses explications selon lesquelles « On cherche à dénaturer mes propos pour me faire tenir des propos dégueulasses » restent ignorées.
Un banc de poisson
Comme Mathieu Bock-Côté le souligne dans ce type phénomène collectif : « personne ne veut être pris à ne pas commenter de la manière la plus outrée qui soit ». Comme un banc de poisson, les médias de grand chemin ont la même interprétation de l’incident à l’Assemblée nationale : Grégoire de Fournas a prononcé des propos racistes.
- France Info : « Propos racistes à l’Assemblée nationale : “Je ne vais pas démissionner”, déclare le député RN Grégoire de Fournas ».
- BFMTV : « Propos racistes de Grégoire de Fournas : Sébastien Chenu aurait “suspendu la séance” mais critique la sanction ».
- Le Point : « Incident raciste à l’Assemblée : des propos « pas très fins », selon Bardella ».
- RTL : « Propos à teneur raciste à l’Assemblée : qui est Grégoire de Fournas ? ».
On pourrait multiplier les exemples.
Sans doute sous la pression grandissante, la sanction tombe. Le 4 novembre, BFMTV nous informe que, « après ses propos racistes, Grégoire de Fournas écope de la plus lourde sanction prévue par le règlement » (de l’Assemblée nationale NDLR).
Gilles-William Goldnadel réagit à la même présentation des faits donnée par France Inter sur Twitter le 5 novembre : « 9h sur Inter : Nouveau fake sur l’odieux visuel de service public qui évoque « les propos JUGÉS racistes » du député FN. Faux, il a été sanctionné pour tumulte. Soit c’est une opinion partielle et partiale, soit c’est un mensonge juridique .»
De fait, un journaliste du Point, Charles Sapin, commente sur Twitter la sanction prise par le bureau de l’Assemblée nationale à l’encontre de Grégoire de Fournas, qui consiste en exclusion pendant 15 jours du parlement :
« Il y a quelque chose d’ambigu, voire d’illogique, dans cette décision du Bureau de l’Assemblée nationale à l’encontre du député RN Grégoire de Fournas. Pour motiver sa demande de sanction, il retient comme motif la « manifestation troublant l’ordre, ou qui provoque une scène tumultueuse » dans l’hémicycle. Il aurait pu retenir au contraire la « mise en cause personnelle qui interpelle un député[…] » également prévu au règlement.
Dès lors, le bureau de l’Assemblée semble accorder le bénéfice du doute au parlementaire RN. L’instance convient que ses propos ne visait pas le député LFI. Mais bien le bateau de SOS Méditerranée et les migrants à son bord. Sauf que dans ce cas, l’accusation en racisme tombe. Ses propos, « qu’ils retournent en Afrique », peuvent être qualifiés d’insupportables, de choquant, de xénophobes… mais c’est de l’ordre du subjectif. Et surtout, l’hémicycle en a vu d’autres.
Là où ça devient illogique, c’est du coup dans la sanction retenue : censure avec quinze jours d’exclusion. La plus grave. N’ayant connu qu’un seul précédent depuis 1958. Une sanction exemplaire, justifiée si le caractère raciste de la sortie du député avait été caractérisé par le bureau de l’Assemblée. Ce qu’il n’a pas fait.
Pour résumer, le bureau de l’Assemblée donne droit aux arguments du député RN qui nie avoir interpelé le député LFI. Mais, dans le même temps, le sanctionne comme s’il l’avait fait. Curieux ».
Le passé refait surface
Le halo d’indignité entourant Grégoire de Fournas dépasse bientôt les seuls propos incriminés : Le Parisien tout comme Nice-Matin, France bleu, etc., exhument le 4 novembre « d’anciens tweets racistes du député RN ».
Puis de Grégoire de Fournas, c’est au Rassemblement national que les critiques s’étendent.
Sophia Aram s’exprime sans réserve sur le service public de l’information, en l’espèce France Inter :
« Pour en finir avec les propos racistes à l’Assemblée nationale, l’idée (lumineuse) serait d’éviter de voter pour des racistes ET d’arrêter de déresponsabiliser ceux qui le font au nom d’une colère sensée justifier la haine ».
Jusqu’à l’émission de J.L. Morandini le 7 novembre, il n’y a guère que sur les réseaux sociaux que certaines prises de position alléguées du député LFI Carlos-Martens Bilongo sont également évoquées.
Gilles-William Goldnadel, l’ancien maire de Sarcelles François Pupponi, Céline Pina, et Mohamed Louizi y vont de leurs commentaires. On pourra certes objecter que cela n’a rien à voir avec l’incident à l’Assemblée nationale.
La tête froide de Vincent Trémolet de Villers
Rares sont les journalistes à ne pas avoir cédé à l’emballement collectif. Dans un billet sur Europe 1, le 7 novembre, le journaliste Vincent Trémolet de Villers revient sur « l’affaire » de Fournas :
« Quand il y a un emballement médiatique, la première règle, c’est de ne pas s’emballer, de prendre le temps pour faire sereinement la part des choses entre ce qui tient de la réalité et ce qui tient de la posture. Alors, allons‑y. Nietzsche disait « Nul ne ment autant qu’un homme indigné ». Et dans cette histoire, il y a oui beaucoup d’indignations qui tiennent du mensonge.
Alors d’abord, il faut distinguer les députés qui dans l’hémicycle ont au départ sincèrement cru à une interpellation raciste, et ceux qui n’étaient pas dans l’hémicycle.
Mais depuis, Grégoire de Fournas s’est expliqué, le bureau de l’assemblée nationale l’a reconnu en creux, il ne s’adressait pas à l’orateur, mais s’en prenait à un bateau de migrants.
Alors à partir de là, on peut trouver sa formule brutale, on peut la trouver grossière. On peut dire qu’elle n’est pas à la hauteur d’un débat qui concerne des êtres humains qui traversent la méditerranée, parfois au risque de leur vie.
Reste que cette phrase n’est absolument pas raciste. Dire que des immigrés illégaux doivent retourner chez eux, c’est ce que disaient Emmanuel Macron et Gérald Darmanin, c’est ce que dit la loi. Confondre racisme et politique migratoire, c’est malhonnête et c’est dangereux. On a clairement assisté à une utilisation de l’antiracisme à des fins idéologiques ».
Épilogue
Dans un article du 7 novembre, Le Figaro nous informe que Grégoire de Fournas se « pose la question» d’attaquer la presse « en diffamation ».
Puis le 8 novembre, nous apprenons par France Info que « le député Carlos Martens Bilongo compte porter plainte », ayant « reçu une centaine d’insultes racistes et de menaces dans sa boîte e‑mail depuis qu’il a été interpellé à l’Assemblée national par Grégoire de Fournas. (…) Sa plainte veut viser à la fois les expéditeurs des messages racistes, mais aussi les chaînes de télé qui, d’après, lui font circuler de fausses informations à son sujet ».
Cette affaire commencée sur les bancs de l’Assemblée nationale pourrait donc se terminer sur les bancs des prétoires du tribunal… À suivre, donc.
Observatoire du journalisme
14/11/2022