Par André Posokhow, consultant ♦ Dans l’affaire Macron qui agite toute la France depuis une semaine il est possible de noter une chose surprenante. L’une des premières auditions fut celle des représentants des syndicats de police dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire du Sénat présidée par le président de la commission des lois Philippe Bas, ancien ministre, que le public découvre en cette occasion.
D’une durée de deux heures réparties en quatre demi-heures dédiées à des formations syndicales différentes, cette audition, accessible sur Youtube, est peu citée, presque ignorée par les journalistes, les politiques et les personnes interrogées. Et pourtant elle fut particulièrement riche, les paroles furent directes et sans langue de bois. N’oublions pas que les syndicalistes policiers ont déposé sous serment.
Avant tout elle met en lumière des aspects de cette affaire qui ne ressortent pas clairement de ce que racontent les médias même si plusieurs d’entre eux semblent vouloir lâcher Macron.
Elle met à mal certaines des affirmations sous serment de plusieurs hauts fonctionnaires.
Enfin cette audition soulève des questions cruciales et notamment celle de la réserve citoyenne de la gendarmerie.
L’audition des syndicalistes de la police fut la première que mena la commission d’enquête parlementaire du Sénat. Elle est riche en constats, informations et révélations, provenant de professionnels dont la plupart sont indignés par ce qui s’est passé. Elle débouche sur des interrogations dont on attend que la désormais seule commission d’enquête du Sénat apportera des réponses après ses six mois d’enquête. En annexe, le lecteur trouvera une présentation résumée des déclarations des syndicalistes de la police au cours des quatre auditions.
Affaire Benalla. Résumé de l’audition des syndicats de police
Des constats révélateurs et des révélations percutantes
A la Contrescarpe Benalla a eu tout faux
L’individu et son comparse Vincent Crase étaient présents en tant qu’observateurs. Les règles sont définies clairement. Selon les témoignages des policiers elles sont appliquées d’une manière satisfaisante et n’ont pas donné lieu à des incidents jusqu’à aujourd’hui. Or, contrairement à ces règles, non seulement Alexandre Benalla était déguisé en policier avec un brassard police et une radio mais il est intervenu brutalement, ce qui représente une usurpation d’autorité et de pouvoir. Au lieu de rester près de son référent, il a été perçu comme un agitateur courant partout avec un comportement de nature à faire dégénérer une situation déjà tendue.
Selon le témoignage de F.O. les effectifs des CRS étaient bien dimensionnés et ceux-ci dont la compétence est reconnue dans le monde entier maîtrisaient la situation. Invoquer l’utilisation du Code pénal pour intervenir, comme le fait Alexandre Benalla, est un « argumentaire à l’eau de rose ».
La police nationale est déstabilisée et son image ternie
Trois policiers ont été suspendus etl’image de la police est touchée. Pendant deux mois et demi cette affaire a été considérée comme une bavure policière puisque l’individu était considéré comme un policier.
Les policiers de terrain qui sont soumis à de fortes contraintes ne comprennent d’ailleurs pas qu’il ait fallu l’article du Monde et l’apparition de la vidéo fin juillet pour qu’apparaissent au grand jour les agissements de l’individu.
Cette affaire a introduit une suspicion dans les rangs de la police et une rupture de confiance avec la hiérarchie policière. Les syndicalistes affirment qu’Alexandre Benalla était parfaitement connu de tous les cadres de la préfecture de police et ne pouvait pas être inconnu de la haute hiérarchie.
Il leur parait par conséquent abusif de s’arrêter au niveau de Monsieur Simonin, chef d’état-major adjoint de la préfecture de police et grand professionnel, qui était loin d’être au sommet de cette hiérarchie.
Confusion de fonctions et attributs exorbitants
Alexandre Benalla semble s’être autoproclamé adjoint au chef de cabinet sur sa carte de visite, alors qu’il n’était que chargé de mission, alors même qu’il s’occupait de la sécurité rapprochée du Président, et était en fait son garde du corps. Il apparaît ainsi une confusion des rôles et des missions de cet individu. Cette ambiguïté de fonctions qu’il aurait fallu lever si cette gestion du personnel n’avait pas été calamiteuse, pose de graves problèmes sur la lisibilité et l’exercice des missions qu’exercent en toute légitimité les policiers.
Les attributs de fonction de l’intéressé semblent exorbitants et suscitent la colère des policiers. A titre d’exemple :
- Pourquoi une voiture de fonction Talisman équipée police, alors que de nombreux policiers travaillent sur des voitures affichant 200 000 ou 300 000 km au compteur et en mauvais état ?
- Pourquoi un badge d’accès à l’Assemblée nationale?
Une démarche intrusive et une attitude arrogante motivée par sa relation avec le Président de la République
Selon les témoignages des syndicalistes, Alexandre Benalla était présent dans le paysage de la Préfecture d’une manière récurrente où il était « comme un poisson dans l’eau ». Il intervenait y compris quand il y avait de hauts responsables.
Selon les remontées des policiers, il se comportait comme un « cador ». Tout devait lui être ouvert. Il « reprenait » les gens. Dans toutes les manifestations où il était autorisé à aller, il essayait de prendre la main systématiquement auprès des gradés et des officiers.
Il était présent lors de manifestations et de services d’ordre, même si cela ne concernait pas la Présidence de la République alors qu’il existe un service spécifiquement dédié, comme par exemple la panthéonisation de Simone Weil après qu’il ait été sanctionné.
Alexandre Benalla jouait de sa relation et montrait sa carte à tout le monde. Les cadres de la préfecture le connaissaient comme une autorité en tant que conseiller du président de la République et ne pouvaient s’opposer à sa présence. Il est clair que la référence constante d’Alexandre Benalla à la confiance que lui témoignait le Président de la République a été à l’origine de ces dysfonctionnements.
Des relations difficiles avec les services de sécurité
Selon les affirmations de syndicalistes, les relations d’Alexandre Benalla avec les services de sécurité étaient mauvaises et son comportement a été qualifié d’exécrable.
Il y a eu des incidents notamment lors du retour du car de l’équipe de France de football quand il s’est immiscé dans le dispositif de manière autoritaire et déplacée ce qui a provoqué des conflits avec les gendarmes et la police des frontières qui en a fait part aux syndicats.
Concernant les relations entre Benalla et ses collègues, le secrétaire général FO a indiqué que, depuis la fin de la semaine dernière, les langues ont commencé à se délier. Alexandre Benalla faisait régner la terreur au sein du GSPR. Il semblerait, d’après les propos rapportés au syndicat, que cette personne allait jusqu’à l’insulte envers les gardiens de la paix, les gradés et peut-être les officiers.
Des remontées faibles à la hiérarchie
Il s’agit d’un point sensible puisque les autorités policières ont affirmé lors de leur audition qu’elles n’avaient jamais eu de remontées concernant le comportement d’Alexandre Benalla.
Les syndicalistes font observer que si des policiers ont accepté des ordres de cet individu ainsi que des quolibets et des insultes c’est qu’ils se considéraient dans une chaîne hiérarchique face à une personne qui faisait régner la terreur et se présentait comme chef adjoint du cabinet de la présidence.
Pour des raisons compréhensibles, un policier qui a en face de lui une personne qui affirme qu’il a une relation constante et récurrente avec le président de la République s’opposera rarement.
Une promotion fulgurante dans la hiérarchie de la gendarmerie et l’opacité de la réserve citoyenne
La nomination au grade de lieutenant-colonel à un homme de 26 ans apparaît scandaleuse et comme une insulte aux forces de sécurité. Le secrétaire général de FO insiste sur le fait qu’en moyenne pour passer de brigadier à brigadier-chef il faut au minimum 15 à 20 ans. L’expertise invoquée est irrecevable et le représentant de la CFDT considère que dans cette affaire la réserve citoyenne est salie.
Les syndicalistes, notamment ceux de la CFDT, insistent très fortement pour que la liste de la réserve citoyenne soit transparente et publique. Actuellement cette liste est marquée par une totale opacité. Ils ont saisi toutes les autorités possibles et jusqu’à la CADA et la Haute autorité de la transparence de la vie publique. Il n’y a jamais eu de réponse. Les questions qu’ils posent sont : Comment Benalla a-t-il été recruté et était-il rémunéré ? Mais surtout combien y-a-t-il de Benalla au sein de cette ressource de personnels ?
Une réforme de la sécurité de l’Elysée en faveur de « vigiles » ?
La situation actuelle
Au sein de l’Elysée, il existe un service issu du Ministère de l’Intérieur dédié à la sécurité du président au quotidien et dans ses déplacements (SDLP et GSPR). Ce sont plusieurs dizaines de professionnels de la sécurité formés et aguerris. Pourquoi engager un conseil sécurité qui est opérationnel sur le terrain ?
Des vigiles à l’Elysée ?
Il y a des personnes qui ont des prérogatives difficiles à identifier et qui, de par leur positionnement et la voix qu’ils portent, ont une autorité naturelle sur des forces de sécurité intérieure qui devraient avoir, elles, cette autorité naturelle.
Il semblerait, selon les éléments en la possession du secrétaire général F.O., qu’au sein du GSPR il y ait un groupe hors police et gendarmerie hors du champ régalien qui sont des civils et des privés. Ce sont selon ses propos des « vigiles » employés par la Présidence de la République. Il a même utilisé le terme de « barbouze » et de « police parallèle », propos dont il affirme assumer la responsabilité. Le président de la commission lui a demandé de « sourcer » ses informations et de s’informer sur leur nombre, ce à quoi il s’est engagé.
Y a-t-il une défiance du président envers le service chargé de sa sécurité ?
Existe-t-il un problème de confiance à l’égard des forces de sécurité qui regroupent 250 000 policiers et gendarmes ont demandé les syndicalistes ? Sinon, pourquoi aller chercher des agents de la sécurité privée pour intégrer la sécurité du Président de la République. ? Il y a suffisamment d’experts dans la gendarmerie et la police nationale.
La sécurité de l’Elysée coupée des structures nationales de la sécurité publique ?
En réponse à une question du président de la commission sur le projet de réorganisation des services de la présidence et de fusion du commandement militaire et du GSPR, il a été répondu qu’il s’agit d’un « fait accompli » même s’il n’est pas abouti et qu’il n’y a rien d’écrit.
Il s’agit de couper le cordon avec le Ministère de l’Intérieur et de procurer une plus grande souplesse de recrutement des profils : contractuels, ex DGSE, ex militaires, personnels en disponibilité…
FO n’a pas été associée à ce débat d’une réforme. Une autre organisation syndicale s’est opposée à cette tentative de restructuration.
La responsabilité de la Présidence de la République
A une question d’une sénatrice de savoir pourquoi une sécurité privée et pour quels objectifs, il est répondu que c’est au Président de la République, au directeur de cabinet et à Alexandre Benballa de répondre.
Deux poids deux mesures
Les syndicalistes ont affirmé de manière forte que cette situation globale reflétait le « deux poids deux mesures » dont ils sont victimes.
Citons un seul exemple : si un tel incident avait concerné un gardien de la paix, une procédure administrative de sanction disciplinaire et pénale de l’article 40 du Code pénal aurait été immédiatement engagée. Pour Alexandre Benalla cela n’a pas été fait. Pourquoi ?
Des questions pour l’instant sans réponse
La réserve citoyenne
Il ‘agit d’un point essentiel. ll y aurait dans la réserve citoyenne environ 30 000 personnes dont la moitié au titre de la gendarmerie. Apparemment, la liste de cette réserve n’est pas accessible et les syndicalistes qui ont formulé des demandes se seraient heurtés à un mur. La question posée est de savoir s’il y a d’autres Benalla au sein de cette réserve marquée selon les déclarations au cours de l’audition, par l’opacité et si oui combien ?
On serait tenté de relier cette question, à la présence, telle qu’elle a été affirmée, de « vigiles »au sein de l’Elysée, à la promotion stupéfiante de Alexandre Benalla au grade de lieutenant-colonel et à cette réforme de la sécurité de l’Elysée visant à la couper des structures publiques de la sécurité nationale.
Fantasmes ? Probablement. Bornons-nous à demander qu’il soit clairement répondu aux questions des syndicalistes, ce qui sera le meilleur moyen de réfuter ces fantasmes, sinon on pourrait croire, à Dieu ne plaise, à la création d’une milice personnelle.
La position de Benalla vis-à-vis du Ministère de l’Intérieur
Au cours des auditions on a laissé entendre que A.Benalla était peu connu de la très haute hiérarchie et était considéré par certains comme un policier
Or il était, selon les syndicalistes, connu, esqualités, comme le loup blanc, notamment à la préfecture de police.
Quelle est la réalité ?
Les remontées
De hauts responsables de l’Elysée et de la police nationale ont affirmé qu’ils n’avaient jamais eu de remontées négatives sur Alexandre Benalla et que, au contraire, ils ne pouvaient que se confondre en louanges sur cet individu.
A l’écoute de ce qu’ont dit les syndicalistes de trois choses l’une :
- Ou ces hauts responsables n’ont des rapports que très épisodiques avec la vérité.
- Ou le système d’information interne de ces grandes maisons est complètement obturé.
- Ou tout le monde était complètement terrorisé par la familiarité de l’intéressé avec le chef de l’Etat.
Dernier point : le secrétaire général de l’Elysée a souligné au cours de son audition qu’il était fier que, au travers de l’intéressé, l’Elysée soit à l’image de notre pays. Souhaiterait-il également que la France soit à l’image d’Alexandre Benalla ?
En définitive, les quatre auditions des syndicalistes de la police qui ont déposé sous serment font apparaitre des problèmes fondamentalement graves :
- Avant tout le problème de la réserve opérationnelle ;
- Les dysfonctionnements du traitement de l’affaire de la Contrescarpe ;
- L’appui de l’autorité suprême conféré à des personnes. Des prérogatives, des fonctions et des missions difficiles à identifier et qui de par leur positionnement et la voix qu’ils portent exercent une autorité illégitime sur des forces de sécurité intérieure qui détiennent, elles, une autorité légitime ;
- La déstabilisation des forces de sécurité qui en résultent ;
- L’image ternie de la police ;
- La question sur les « vigiles » soulevée au cours des auditions ;
- La problématique de la réforme de la sécurité de la Présidence de la République et de la défiance supposée à l’égard des forces de sécurité.
- Les mécanismes de remontées au sein des forces de police ;
- Enfin les responsabilités du chef de l’Etat.
André Posokhow
01/08/2018
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Commission d’enquête du Sénat
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