Par Pierre Boisguilbert ♦ Malgré l’échec de la motion de censure, celui d’Élisabeth Borne est acté. La mission retraite que lui a confiée le président Macron tourne à la crise politique majeure exploitée par l’extrême gauche.
Un supplice féministe ?
Élisabeth Borne s’est elle-même désignée comme fusible. On a un moment envisagé sa démission car elle est sur le point de craquer moralement et physiquement. Mais tout est fait pour la faire durer encore un peu. À cela il y a une explication simple. Élisabeth Borne est une femme. Certes, cela ne lui a pas épargné les critiques, même médiatiques. Elle a pu juger par elle-même la formule attribuée au comportement médiatique : « Ils lèchent, ils lâchent, ils lynchent. » Elle est aussi une femme Premier ministre. C’est seulement la deuxième fois qu’une femme accède en France à cette fonction. La première a été Édith Cresson. Cela s’est mal terminé. Elle aura tenu à peine 10 mois et 18 jours. Borne ne peut pas tenir moins longtemps. Ce serait un coup dur pour le combat sur la compétence des femmes au plus haut niveau politique. C’est ce qui explique la volonté de la Macronie de la faire durer encore un peu, quitte à lui imposer un supplice dévastateur et moralement injustifiable. C’est pourquoi elle a dû affronter les motions de censure après avoir été dévastée par le renoncement au vote de la Chambre des députés. Pour l’idéologie de la cause des femmes, elle va souffrir encore alors que malgré tout son destin est scellé. Elle a été choisie car femme, et elle est lapidée parce que femme, au-delà du supportable. Tout le monde l’a lâchée et en premier lieu les médias qui l’ont encensée.
Un changement de ton des médias macronistes ?
« Macron, t’es foutu, BFM est dans la rue ! » La chaîne d’information en continu, parfois nommée de manière humoristique « Broadcast For Macron », a opéré un revirement éditorial assez saisissant. Les commentateurs politiques de la chaîne ont retourné leur veste et se montrent maintenant parfois plus critiques que CNews. Le changement de ton est spectaculaire et certains ont même « piscine » depuis quelques jours. L’approche qui était globalement : « Macron n’a pas forcément raison mais il n’a pas tout à fait tort », s’est transformée en : « Comment n’a-t-il pas compris ce qui arrive ? » La question est posée par la presse étrangère de manière bien plus crue. Affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, montagnes de poubelles jonchant les rues de la capitale, puis brûlant dans les flammes au milieu de la route… Ces images fortes d’une France en colère ont fait le tour du monde entier. Beaucoup de ces clichés ont illustré les articles de la presse internationale, parfois placés en tête de leurs sites, constate le journal Le Monde. Pour El País, le choix du 49.3 met en avant le « caractère hautain et déconnecté de la rue » du président français, dont la popularité est au plus bas. Quand le quotidien russe Komsomolskaïa Pravda titre sur « Macron a montré sa faiblesse », le Telegraph évoque la « pire crise depuis sa réélection » en 2022. De son côté, le Corriere della Sera italien écrit simplement : « Le recours au 49.3 est une défaite. » Et parfois on a même une explication inexistante dans la presse française. Le Wall Street Journal défend le chef d’État, « pris en étau entre les courants démographiques et géopolitiques ». D’après le quotidien américain, Macron est revenu sur les retraites afin « d’augmenter les dépenses militaires » dans un contexte de guerre en Ukraine. Il n’avait pas le choix. Le 49.3 à cause de Poutine ?
Le discours inaudible d’Élisabeth Borne à l’Assemblée nationale a également marqué les journaux étrangers. Le New York Times mentionne une « tension palpable » entre les députés de la majorité et de la Nupes qui brandissaient des pancartes « 64 ans, c’est non ! », tout en chantant La Marseillaise. Une situation révélatrice de la « colère », de la « frustration » et de « l’incertitude nationale ». Die Welt compare l’hémicycle, durant les mois consacrés aux débats, à « une arène de cirque, où il s’agissait de savoir qui crierait le plus fort ou ferait les meilleures cabrioles ». Bras d’honneur d’Éric Dupond-Moretti, députée Renaissance partie en pleurs de l’Assemblée, montages photo… Tout est passé en revue par le quotidien allemand. Le Guardian et El País se demandent si Macron n’a pas « gaspillé tout son capital politique » en contournant le Parlement pour faire passer sa réforme. Pour El Mundo, l’utilisation de l’article 49.3 ouvre « une crise politique et sociale aux conséquences inconnues » car « elle est vécue comme un acte de force de la part du gouvernement ». Un gouvernement en échec à l’image de son ministre du Travail au supplice permanent et de son Premier ministre. À contrecœur, depuis la présentation de son texte, le 10 janvier dernier, le Premier ministre répétait son espoir de trouver une majorité pour le voter. Elle s’est heurtée à la non-fiabilité structurelle des Républicains qui ont lâché Borne en pleine bataille comme ils ont trahi dans tous les domaines et dans tous les sens leurs électeurs ou ceux qui leur restent. Marine Le Pen jubile et demande à Borne de partir. Mais on ne la laisse pas faire. Car le désastre d’une femme à Matignon pourrait en favoriser une autre à l’Élysée. C’est pour cela aussi et surtout qu’il faut sauver la soldate borne. Mais c’est mission impossible.
Pierre Boisguilbert
21/03/2023
Crédit photo : Parlement européen [CC BY 2.0]