L’article de Jean-Yves Le Gallou, Désinformation sur les entrées d’immigrés : Polémia fait le point, a suscité une réponse de Jean-Paul Gourévitch qui ne partage pas son analyse. Il est naturel que Polémia donne la parole à ce consultant qui a fourni plusieurs travaux de grand intérêt sur l’immigration. Vous trouverez ci-joint son droit de réponse dans le cadre d’une disputatio courtoise mais technique. Les chiffres et les raisonnements ne s’appliquent pas toujours aux mêmes données. Jean-Yves Le Gallou reviendra sur ce sujet en partant d’une approche globale du solde migratoire qui selon lui confirme son estimation initiale. En attendant voici la lettre de Jean-Paul Gourévitch. Polémia
Controverse avec Jean-Yves Le Gallou sur l’augmentation de la proportion de la population immigrée en France
Cher Jean-Yves Le Gallou,
J’ai bien reçu vos courriers et lu votre article dans Polémia. Et je ne partage pas votre analyse comme vous le verrez ci-après.
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Page 19 de la monographie n° 27 de Contribuables Associés (novembre 2012), dans le chapitre sur les immigrés en situation régulière, je précise : Catherine Borrel et Jean-Michel Durr, dans leur collecte de données 2004 (INSEE Première n° 101, janvier 2005) écrivent : « 4,5 millions de personnes immigrées âgées de 18 ans ou plus résident en France métropolitaine, soit 9,6% de l’ensemble de la population du même âge contre 8,9% en 1999. Si l’on s’en tient à cette statistique il paraît clair que la population immigrée a augmenté en pourcentage d’environ 0,15% par an. C’est cette proportion que nous adopterons. »
Il s’agit donc bien ici de la population immigrée au strict sens de l’INSEE (personnes nées à l’étranger de parents eux-mêmes nés à l’étranger et qui veulent s’installer durablement ou définitivement dans le pays d’accueil) et non de la population étrangère car, comme vous le savez, « étranger » s’oppose à « Français » tandis qu’ « immigré » s’oppose à « autochtone ». La notion de naturalisation n’a donc pas à être prise en compte ici, pas plus que les descendants d’immigrés nés en France.
Votre analyse
Dans votre article, vous contestez mes chiffres et concluez : « Dans un domaine où la pression du politiquement correct est puissante, on ne peut exclure l’hypothèse d’une minoration par précaution. » Vous me connaissez pourtant assez bien pour savoir que je suis hermétique aux pressions d’où qu’elles viennent et que je n’ai comme objectif que de cerner au plus près la vérité de l’information, quelles que soient les attaques dont j’ai été et continue d’être l’objet.
Votre analyse se fonde sur plusieurs paramètres :
- une contestation des chiffres de l’INSEE dont vous dénoncez les palinodies en matière de solde migratoire (paragraphe 1) ;
- un amalgame entre le solde migratoire de l’immigration régulière et celui de l’immigration irrégulière (paragraphe 2) ;
- un amalgame entre les étrangers et les immigrés, qui vous conduit à affirmer que, sur la période 1999-2009, « le nombre des étrangers nouveaux s’élève donc à 216.000 par an, soit 0,325% de la population, plus du double de l’estimation de Jean-Paul Gourévitch » (paragraphe 3), ce que vous confirmez dans le paragraphe 4 en décomposant cette population en 160.000 entrées d’étrangers par an + 56.000 enfants nés de deux parents étrangers ;
- enfin, dans le cadre du « grand remplacement de population » que vous stigmatisez paragraphe 5, vous montrez à partir des statistiques de naissances de 2011 (824.000 dont 604.000 nés de deux parents nés en France, source INSEE) que pour les 219.000 restants, 87% proviennent d’un parent ou des deux né(s) hors de l’Union européenne.
Ceci vous amène à la conclusion suivante :
« Il y a 66 millions d’habitants (Français d’origine et immigrés). S’il y a 100.000 immigrés supplémentaires, cela fait bien 0,15% de la population résidant en France. S’il y a 200.000 immigrés supplémentaires, cela fait bien 0,30% de la population résidant en France. »
Je crois avoir ici loyalement résumé votre argumentaire. Je vais maintenant y répondre.
***
Admettez d’abord que votre paragraphe sur les naissances en France, quelle que soit sa justification, est hors sujet puisque ces naissances ne rentrent pas dans la catégorie « immigrés » citée plus haut. Toutefois, pour ne pas occulter cet aspect, après avoir traité des immigrés au sens strict du terme, j’élargirai ma réponse aux enfants d’immigrés.
Le solde migratoire de l’immigration régulière
Sur le solde migratoire, il faut séparer les immigrés en situation régulière et les immigrés en situation irrégulière. Pour les premiers on connaît le nombre des entrées (185.000 en moyenne) mais le système français n’enregistre pas le nombre des sorties sauf pour les reconduites et retours volontaires qui ne concernent que marginalement l’immigration régulière. Il faut donc soustraire du chiffre des entrées ceux qui reviennent chez eux, ceux qui partent pour un autre pays de l’espace Schengen et les immigrés présents sur le territoire qui décèdent.
Il est impossible de se fonder sur les statistiques de l’émigration que j’ai analysées dans la monographie n° 21, à savoir 233.000 départs par an et 168.000 retours, puisque, si on peut identifier largement les pays où ces personnes ont choisi d’aller vivre, on connaît très mal la composition de la population émigrante, même si l’on peut admettre qu’environ 90% du solde migratoire de l’émigration, soit 61.000 personnes, sont vraisemblablement autochtones. En ce qui concerne les décès des seuls « étrangers », vous les avez vous-même chiffrés à une moyenne de 23.600 par an. Pour les sorties, faute de statistiques officielles fiables, ce que nous déplorons vous et moi, nous sommes obligés de procéder par approximation.
Vous contestez le solde migratoire 2011 établi par l’INSEE, soit 77.000 personnes, au motif que l’INSEE a revu à la hausse en 2005 ses estimations en faisant un « ajustement » important qui aurait doublé ce solde. Certes, l’Institut n’enregistre les données que de ceux qui ont voulu ou pu se faire recenser, mais l’hypothèse d’un prochain « ajustement » de l’INSEE ne repose sur aucune donnée scientifique. Pour l’accréditer, vous vous appuyez d’ailleurs sur l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile et de bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat qui relèvent du solde migratoire de l’immigration irrégulière, ce qui est un autre sujet.
Bref, constatant que le solde migratoire affiché par l’INSEE pour 2011 est de 77.000 et que les « oublis » de l’INSEE dans son recensement s’étagent, pour les immigrés en situation régulière, entre 10 et 20%, je dirais volontiers que l’augmentation de la population immigrée en situation régulière est de 77.000 + 11.500 (15% de 77.000) – 23.600 = 64.900 personnes (arrondies à 65.000).
Le solde migratoire de l’immigration irrégulière
Sur ce point, nous ne disposons pas, et pour cause, du nombre d’entrées mais seulement de celui des reconduites volontaires, humanitaires ou forcées (environ 30.000 par an) et du nombre de régularisations (environ 30.000). Il faudrait y ajouter ceux qui reviennent d’eux-mêmes ou partent dans un autre pays de l’espace Schengen. A partir des indicateurs dont nous disposions – nombre de déboutés du droit d’asile, d’interpellations, de placements en rétention, d’arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière et d’obligations de quitter le territoire français non exécutés – nous en avons conclu (p. 22-23 de la monographie) que « le stock de migrants irréguliers continue à augmenter même si c’est à un rythme beaucoup plus faible que celui des années précédentes », cette augmentation étant principalement due à la politique migratoire pratiquée à Mayotte, en Guyane et dans une moindre mesure dans les autres DOM-TOM.
Conclusion sur le solde migratoire
Si l’on considère que cette dernière augmentation est d’environ 15.000 personnes, cela signifie que le nombre total d’immigrés en France augmente chaque année d’environ 80.000 personnes.
Par rapport à une population française que l’INSEE a établie au 1/1/2012 à 65,350 M d’habitants, qui croît chaque année de 350.000 unités, et en retranchant l’émigration autochtone, l’augmentation du pourcentage des immigrés entre le 1/1/2012 et le 1/1/2013 serait sensiblement égale à :
80.000/ (65.350.000 + 350.000 – 61.000 – 80.000), soit :
80.000/ 65.559.000, soit 0,122%.
Vous noterez que, même si nous oblitérions les 23.600 décès en nous restreignant au seul solde migratoire, nous aboutirions à une proportion de 103.600 (80.000 + 23.600)/ 65.559, soit 0,158%. Nous sommes très loin du 0,30% par an que vous avez calculé.
L’extension de l’étude aux descendants d’immigrés
Sur ce point nous partageons le même point de vue global. La population d’origine étrangère des moins de 18 ans croît davantage que la moyenne nationale du fait essentiellement du différentiel de fécondité entre immigrés et autochtones. Page 24 de la monographie et après avoir tenu compte des « oublis » de l’INSEE, nous avions dénombré une population d’immigrés et descendants en situation régulière ou non de 9,975 M de personnes sur 66,660 M de résidents sur l’ensemble du territoire français COM compris, soit 15%.
Il est impossible d’affiner une segmentation par âges en raison de la méconnaissance de la pyramide des âges des migrants irréguliers mais, celle-ci représentant, selon nos estimations, moins de 1,05% de la population française et 7,2% de l’ensemble des personnes d’origine étrangère, son impact est mince et le pourcentage des moins de 18 ans très faible. Je me contenterai donc de reprendre vos chiffres extraits des statistiques de l’INSEE : 604.000 naissances autochtones sur 824.000 et 219.000 nés d’un ou deux parents étrangers.
Le principe que nous avons adopté, plus restrictif que le vôtre, est le suivant. Quand les deux parents sont nés à l’étranger, les enfants sont considérés comme étant d’origine étrangère ; quand l’un des deux est né en France, c’est la proportion d’un sur deux qui est retenue. La statistique page 17 de la monographie donne le suivi des naissances en fonction du lieu de naissance des parents. Sur une moyenne de 13 ans, la proportion des enfants de couples autochtones est environ de 75%, celle d’enfants de couples mixtes de 14%, celle d’enfants de couples étrangers de 11%. Bref, la proportion de ceux que nous considérons comme personnes d’origine étrangère s’établit à 11 + 7 (14/2) soit 18%. Ainsi, sur 804.000 naissances, il se situerait à 144.720 (804.000 x 0,18).
Les moins de 18 ans d’origine étrangère représentant 19,4% de la population légale (mais 20% dans la seule métropole), leur poids, même augmenté des irréguliers de moins de 18 ans, reste à la lumière des statistiques de l’INSEE sensiblement constant et le chiffre de 0,15% d’augmentation de la population immigrée par an en est d’autant plus conforté. En revanche, il n’est pas discutable que le rajeunissement constant de la population d’origine étrangère, la multiplication des couples mixtes et l’importance des flux migratoires non contrôlés dans les COM et à Mayotte est de nature à accélérer le métissage de la population française.
Je livre cette démonstration à votre sagacité, souhaite que vous en teniez compte pour rectifier votre analyse et surtout considérer que je ne me détermine pas en fonction d’une conjoncture politique ou d’un principe de précaution mais d’une démarche aussi scientifique que possible dans le flou des statistiques dont nous disposons, afin de permettre à chacun des lecteurs de construire son opinion personnelle en connaissance de cause.
Et je vous prie de croire à mes sentiments les meilleurs.
Jean-Paul Gourévitch
13/01/2013