Jure Georges Vujic, écrivain franco-croate, juriste, essayiste
♦ Les règles de l’hospitalité devraient être simples et communes à tous les peuples, fondées sur le principe de réciprocité. En temps de paix elles ne devraient pas faire problème, alors qu’en temps de guerre contre le terrorisme, elles deviennent problématiques en raison de leur caractère équivoque, et surtout lorsque l’adversaire, l’ennemi, les utilise comme moyen de faiblesse en tant qu’arme de dissimulation. Dans toutes les religions traditionnelles, l’hospitalité constitue un principe, une vertu majeure de la chrétienté, mais aussi de l’islam, les préceptes du Coran prônant l’accueil et la protection des gens du Livre.
Dans son sens originel, la dhimma était un « contrat » par lequel la société musulmane pratiquait l’accueil et la tolérance envers les monothéistes non musulmans, et leur accordait le droit de pratiquer leur religion.
Pourtant, il existe des différences sémantiques voire épistémologiques entre les conceptions hospitalières. Ainsi l’étymologie du terme hospitium reste ambiguë et équivoque. La langue allemande distingue Gastgeber et Gast, alors qu’en français le mot hôte demeure ambigu : il désigne aussi bien l’accueillant que l’accueilli. Pourtant, dans tous ces « régimes » et traditions de l’hospitalité, la relation hôte-accueillant demeure asymétrique car l’hospitalité implique une dépendance, un respect et un devoir de l’accueilli envers des règles extérieures, les usages et coutumes de la maison de l’accueillant, de l’Oikos, comme c’est le cas dans l’antiquité avec le respect de certains rites comme le temps des repas.
Faut-il rappeler la notion d’Hospitium qui est l’ancienne conception de l’hospitalité gréco-romaine comme un droit divin de l’invité et un devoir divin de l’hôte ? L’hospitalité était double : privée et publique, et supposait toujours une relation contractuelle, des droits et des devoirs mutuels. Montandon souligne le caractère normatif et codé de l’hospitalité en affirmant : « L’hospitalité, une manière de vivre ensemble, régie par des règles, des rites et des lois. Ainsi il ne suffit pas que l’hôte se contente de marquer sa bienveillance par le mot “Bienvenue !”, “Welcome !”, “Mar’haban bik !”, etc., pour que l’hospitalité et le respect des règles asymétriques voire contractuelles de cette hospitalité soient consommés. Transposée dans le contexte de l’immigration massive et le risque hautement polémogène d’infiltration par les réseaux islamistes terroristes, la profession de foi hospitalière dont a fait preuve la chancelière Merkel avec sa politique du Willkommen paraît être suicidaire, car offrir son hospitalité sans limites, sans contrôle et sans égards aux intentions des migrants suspects très souvent d’être des djihadistes dissimulés sous les traits de réfugiés est non seulement irresponsable mais aussi suicidaire. En effet, si, philosophiquement, l’hospitalité implique un partage du « chez soi », en tant que valeur, il serait absurde d’offrir en partage ce que l’autre veut ouvertement, voire de façon dissimulée, détruire. Bien sûr, il faut aussi reconnaître que les idéologies postmodernes et déconstructivistes, les politiques successives pro-migratoires et sans-frontiéristes ont largement absolutisé la figure de l’étranger, du migrant, en lui offrant les conditions d’hospitalité, d’accueil (parfois largement supérieures aux droits sociaux des populations autochtones), sans exiger, sous peine de sanctions, le respect et les devoirs qui incombent aux hôtes, aux invités. La relation asymétrique hôte-invité, accueillant-accueilli s’est transformée en une relation quasi symétrique, voire dissymétrique et disproportionnée par le nombre et la structure migratoire et démographiques aboutissant au phénomène du « Grand Remplacement » qui est en fait l’illustration parfaite de l’hospitium occidental dévoyé, de l’Oikos occidental purement et simplement colonisé.
Il suffit de se référer à l’abondante littérature sociologique et philosophique sur l’hospitalité qui s’est focalisée sur les étrangers absolus (Derrida), l’éloge du nomadisme (Attali) : les exilés, les déportés, les expulsés, les déracinés, les apatrides, les nomades anomiques. Le culte généralisé du déracinement a progressivement muté vers une haine de soi, de son propre foyer et traditions pour finalement parachever une longue et « mimesis » où l’Européen a renoncé à son identité ; son mode d’être singulier s’est transformé en « Occidental » générique, anomique, au mode de vie uniforme. Ce long chemin d’auto-déculturation s’est accompagné d’une dénégation du sens de l’histoire et de la civilité qui ont favorisé l’implantation d’enclaves ethnoconfessionnelles et criminelles, alors qu’il s’agissait de légitimer par un discours métapolitique et académique les diverses lois visant à affaiblir le contrôle de l’immigration et d’approuver les opérations de régularisation d’étrangers en situation irrégulière. Pourtant ce discours largement irénique et hypocrite se rendra compte que l’hospitalité n’est pas l’intégration, cette dernière exigeant un certain effort, une volonté, une bona fides qui le plus souvent faisait défaut chez les migrants de deuxième génération préférant se contenter et d’instrumentaliser leur statut de minorités et de marginalisation sociale. L’arrivée des étrangers provoque une imbrication de cultures différentes, certaines étant moins perméables que les autres aux modes de vie et de pensée de l’accueillant-autochtone. A force de propager et d’imposer de manière indifférenciée le discours égalitariste et multiculturel, on a fini par abolir la certaine distance indispensable qui devait être maintenue avec l’étranger pour préserver l’altérité et la relation asymétrique nécessaire pour la conservation du lien social.
La taqiya est désignée dans les textes coraniques comme un moyen légitime qui permet aux musulmans de dissimuler, de voiler leur foi aux non-musulmans pour la défense de la doctrine musulmane. Cette idée est reprise par des penseurs musulmans (Al-Ghazâlî, Tabari ou Ibn Kathir) et des spécialistes non musulmans de l’islam. Bien sûr, cette notion a été travestie dans un double sens : le premier par l’intégrisme islamiste et l’autre qui, sous l’impulsion de milieux principalement politiques, consistera à répandre l’idée selon laquelle le mensonge et la dissimulation seraient intrinsèques à l’islam, assimilant « islam » et « intégrisme islamique ». La taqiya est aussi, dans les milieux islamistes, un principe de dissimulation stratégique dans un contexte de conquête. Pour V. Legrand, la notion de taqîya comme stratégie de conquête intrinsèquement liée à l’islam depuis ses origines a été développée au début du XXIe siècle en Occident dans certains milieux politiques. A la lumière des derniers événements tragiques de Nice et des attentats en Allemagne, certains associent à de la taqiya l’attitude des terroristes-djihadistes ne respectant ouvertement pas les règles islamiques à des fins de dissimulation, comme les frères Abdeslam ou Mohamed Merah. La taqiya serait en quelque sorte utilisée pour déjouer et instrumentaliser l’hospitalité occidentale et les politiques d’accueil permissives. La dissimulation est dans certains cas poussée à la perfection, puisque pour certains terroristes il s’agit principalement de citoyens français de la seconde génération d’immigrés aux modes vestimentaires et manière de vivre occidentale. La taqiya ferait bon marché avec l’idéologie globaliste sans frontiériste cosmopolite faisant l’apologie de l’ouverture, l’affranchissement des limites et des frontières, des repères identitaires ethniques et religieux. Alors que la taqiya prône la dissimulation, le voilé, l’hospitium occidental vénère la transparence, la divulgation à gogo, l’impératif « du tout-montré », une sorte de révélation globale omniprésente et instantanée. Et c’est ce qui fait la faiblesse de l’hospitalité occidentale contemporaine, qui, par excès de transparence et d’ouverture, ne sait plus reconnaître les différences entre l’hôte de bonne foi et l’inimicus, ou le hostis sous les traits de l’amicus, la différence entre les bonnes intentions et les mauvaises intentions.
La globalisation marchande dans sa course éperdue d’uniformisation par le marché a abouti à un clonage de civilisations détaché des repères culturels et historiques, lequel a enfanté un double fondamentalisme hybride postmoderne : l’un séculier, matérialiste et sotériologique, l’autre religieux islamiste refoulé, compulsif et schizophrène très souvent latent, dissimulé et imperceptible et dont l’irruption agressive et violente est imprévisible. Ce même clonage civilisationnel a abouti à la négation de l’altérité qui suppose une certaine distanciation de soi-même et des autres, l’autre étant réduit á la valeur marchande du nombre, du même indifférencié et démultiplié à l’infini, et dont la crispation identitaire et intégriste constitue souvent la réaction-réponse symptomatique. L’ hospitium européen au Moyen Age, proche du monastère, où les pèlerins et d’autres personnes de bas rang social pouvaient trouver l’hospitalité et hébergement, s’est transformé en vaste hospice global de névrosés, de déracinés compulsifs, une immense zone de transit et d’attente, où cohabitent de nouvelles tribus mondiales, des solos djihadistes, des sectes religieuses et des réseaux criminels imbriqués, sous fond de violence omniprésente et de peur panique, qui reflètent une société anxiogène qui cumule le besoin de plus de sécurité avec l’impératif ludique de consommation et de jouissance sans limite. Un Oikos de l’anonyme, non pas « maison », « patrimoine », le chez soi qu’on partage avec l’autre avec respect et mesure, mais plutôt, l’Oikos de l’anonyme de l’hybris – non-lieu global de tous et de personnes, qu’on consomme et dilapide sans respect ni mesure, étranger à toute idée de transmission.
Et viendra peut-être le temps où, par la force des choses et une certaine ruse de l’histoire, l’on verra apparaître une « taqiya » européenne, lorsque des îlots d’Européens résistants devront professer sur leur propre terre leur foi identitaire de façon dissimilée, voilée, un retour à une sorte d’ésotérisme européen.
Jure Georges Vujic
15/08/2016
Correspondance Polémia – 17/08/2016
Image : L’ancien Hospitium (hospice médiéval du XIIIe/XIVe siècle) de l’abbaye de Sainte-Marie, York, Angleterre.
- Après la défaite de la pensée, la défaite de la parole - 1 octobre 2024
- Émeutes : nihilisme festif et inframondisation - 12 juillet 2023
- La nouvelle vérité optionnelle : vers une union du « siliconisme » et du wokisme - 27 mai 2023