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L’Etat : l‘ultime contre-pouvoir ? (1/2)

L’Etat : l‘ultime contre-pouvoir ? (1/2)

par | 14 mars 2017 | Politique

L’Etat : l‘ultime contre-pouvoir ? (1/2)

Frédéric Villaret, docteur en sciences. Spécialité : ingénierie écologique des écosystèmes artificiels. Il est chef d’entreprise et enseignant-chercheur indépendant.

♦ Que l’on soit en empathie avec lui ou bien franchement hostile, nul ne conteste la prééminence de Donald Trump dans l’esprit de nos contemporains. Ainsi, Matthieu Niango, brillant Africain, normalien, agrégé, très actif dans les couloirs de nos gouvernants, constate dans un article du Huffington Post du 21 février 2017 qu’«  aux mains d’un homme d’affaires beauf et semi-dément (…), une signature en bas d’un papier officiel depuis un bureau lambrissé peut tout chambouler ». En effet, pour paraphraser son analyse, la politique ne se réduit pas encore à des décisions essentielles prises au sein d’officines échappant au contrôle des institutions et du peuple et s’imposant ensuite à tous: médias, politiciens, experts, conseils d’administration, etc. Ce crypto-pouvoir, qualifié aussi de Système, d’Establishment, d’Empire, d’Oligarchie, d’Etat profond, etc. existe bel et bien, mais n’est pas totalement libre de ses entreprises. Il existe encore dans nos démocraties des moyens de le contenir. Paradoxalement, l’Etat apparaît alors comme le contre-pouvoir fondamental.

Aussi, devons-nous modifier nos perspectives et ne plus l’envisager comme l’essence du vrai pouvoir, mais comme le contre-pouvoir ultime défendant les intérêts de ceux n’en ayant pas. Nous sommes alors bien loin de l’esprit de la litote attribuée à Louis XIV, résumée par « L’État, c’est moi ». L’Etat est désormais le premier contre-pouvoir au Pouvoir réel.
Pour développer cette perspective, s’interroger sur le fondement du pouvoir permettra d’apporter quelques éclairages.


L’effet Trump – Le pouvoir selon Henri IV et les biosociologues

Mon fils aîné a un ami descendant d’Henri IV. Chez ces gens-là, la vision de la société est très claire. Il y a les Puissants, leurs (censuré) et le Peuple. On n’utilisera pas le terme très péjoratif employé pour désigner ceux obéissant aux Puissants que doivent connaître les descendants d’Henri IV lisant ce texte. On parlera de « Serviteurs ».

Les Puissants, – des personnes en soi au sens kantien -, ont du pouvoir et luttent entre eux pour en avoir plus ou s’associent quand leurs pouvoirs sont menacés par autrui. Leurs Serviteurs les servent. Le Peuple observe, approuve ou subit… Il a aussi du pouvoir; celui de sa masse. Mais n’ayant pas de volonté, il est récuremment instrumentalisé par des pouvoirs potentiels en concurrence avec le Pouvoir en place.

Du lycéen pendant l’épreuve de philosophie jusqu’aux esprits les plus brillants de toutes les époques, chacun à un moment ou à un autre a été obligé de s’interroger sur le pouvoir. Pour un écologiste, nourri d’éthologie d’essence biosociale, le pouvoir consacre les individus les plus « actifs » mettant le groupe à leur service et par rétroaction assurent la survie des membres de ce dernier. Leur première fonction d’une relation à autrui, inter- ou intra-, est de perpétuer leur lignée par la transmission de leurs génomes. Toute relation ou posture inopérante est éliminée. Dit autrement, pour un écologue, quand une composante sociale n’a aucune utilité écosystémique, elle est éliminée. L’utilité écosystémique est ce qui optimise la pérennité des lignées dans le respect des principes de fonctionnement des écosystèmes. Le pouvoir apparaît alors comme une optimisateur d’utilité écosystémique.

Ainsi, pour les écosystèmes artificiels, de la lutte entre les Puissants émergera le modèle politique le plus adapté aux impératifs écosystémiques. Cette lutte est donc nécessaire car nul ne sait quel sera le modèle politique le plus efficace demain. Les principes de fonctionnement des écosystèmes nous indiquent simplement à quels principes fondamentaux ils devront être conformes. Parmi ceux-ci : équilibre ressources-population, optimisation énergétique, efficience reproductive, etc. Bon, c’est très liminaire, mais si l’opportunité se présente, on approfondira.

De la force au contrat

En résumé, le pouvoir c’est la capacité à imposer une volonté, par la force… ou le contrat. Le pouvoir est vertueux quand il agit au nom de l’intérêt public, vicieux s’il agit en contravention avec l’intérêt général, le conflit armé étant le paroxysme d’un antagonisme irréductible. En cela, le pouvoir se distingue du contrat associant les volontés de deux parties. Sous cet angle, une des dialectiques fondamentales faisant l’Histoire contemporaine oppose la force au contrat.

C’est ainsi que l’histoire de l’Europe fut analysée par de nombreux auteurs. On pense présentement à Benjamin Constant, Rousseau, Montesquieu et toutes les personnalités du Siècle des lumières vilipendant la force comme fondement du pouvoir. Ainsi, les républicains envisagèrent la société comme une ensemble reposant sur l’adhésion fondée sur l’utilité sociale – fondements des droits de l’Homme – et à ce titre blâmèrent impérialisme, féodalité et monarchie car reposant sur la force d’une oligarchie s’imposant contre la volonté des peuples. Le modèle politique de référence était donc la démocratie, mais sur une base censitaire. Seuls les plus utiles votaient, ces derniers étant les plus riches. Les partisans de l’ancien monde rétorquaient que l’aristocratie terrienne garantissait la paix et les équilibres sociaux sur le fondement d’une hiérarchie naturelle. On ne détaille pas, si l’opportunité se présente, on précisera…

Dans un Etat de droit, l’Etat a le monopole de la violence. L’essence du pouvoir est donc la violence. Cette situation est acceptée par tous dès lors qu’elle se justifie publiquement. Lorsque ce n’est plus le cas, la révolte gronde ouvrant la porte à des groupes sociaux susceptibles de l’instrumentaliser et de succéder aux groupes dominants. Ainsi, la grande révolte du Languedoc de 1381 à 1384 fut justifiée par la politique de prédation menée par Jean de Berry en contradiction avec la notion « d’utilité de la chose publique ». La Révolution française fut un succès, sous cet aspect, mais un succès faisant suite à l’échec récurrent des révoltes communales. Elles sont sans doute à l’origine de l’expulsion de juifs de nos sociétés d’antan, obligés à s’exiler sous d’autres cieux ; idem à la fin du 17e siècle avec les protestants (foi de Villaret). Eux aussi voulurent jouer le jeu du pouvoir, mais perdirent. On pourrait aussi évoquer les cathares (eux ne purent s’exiler…), etc.

Casser l’Esprit pour gagner la guerre

L’étude des rapports de pouvoir que nous offre l’Histoire montre que trois étapes sont nécessaires pour initier une mutation. La première étape, dans une perspective gramscienne, est de modifier le paradigme politique de référence en ébranlant les certitudes justifiant le pouvoir attaqué, tout en proposant de nouvelles visions. Une fois cette tâche accomplie, le combat politique amène une majorité capable d’imposer une adhésion aux nouvelles visions ; puis, s’en suit un conflit armé violent décidant du sort des pouvoirs en concurrence. Les anciens envisageaient la bataille comme nécessaire pour connaître le jugement de Dieu. Un écologiste envisagera le conflit comme le moyen d’accéder au modèle politique nécessaire compte-tenu des impératifs écosystémiques. Cette violence s’impose car nul ne sait, en réalité, ce qu’il faut faire à l’instant ; et aussi parce que, les anciennes structures de pouvoir n’ayant pas muté, elles refusent le changement qui s’impose à tous. Là encore, on pourrait préciser cela, mais le raccourci est nécessaire. L’idée générale est là, toutefois.

Un exemple : la Révolution française de 1789.

Pendant le 18e siècle, les fondements de l’ordre royal sont attaqués. On se moque des insuffisances sexuelles de Louis XVI ou du Clergé comme Diderot dans La religieuse (1780). Molière, lui, se moquait des bourgeois qu’il montrait infatués au moment où l’aristocratie terrienne sentait leur montée en puissance. Un siècle plus tard, le Trône et l’Autel vacillaient. Inimaginable avant. Pourquoi cette mutation ? Une approche écosystémique de l’Histoire fournit un élément de réponse. Au 17e siècle, l’Angleterre réalise sa mutation politique (Révolution, République, Restauration, partage des pouvoirs). Elle s’ést engagée ensuite dans une révolution industrielle lui conférant une grande supériorité sur les autres entités européennes dont la France. Il y avait alors nécessité de réagir pour survivre comme entité politique. La Révolution de 1789 permit la mutation entre une société structurée par le capital foncier, vers une société structurée par le capital financier, permettant la révolution industrielle à l’origine de nouvelles armes irrépressibles pour ceux ne les possédant pas. Ce phénomène fut général en l’Europe. Conséquence : impérialisme et colonialisme à l’égard des peuples ne maîtrisant pas cela. Aux Etats-Unis d’Amérique, ce fut la même chose pendant la Guerre de Sécession entre un sud terrien et un nord industriel. La révolution japonaise sous l’ère Meiji illustre les nécessités de peuples en infériorité techno-industrielle. Mais en Extrême-Orient, tout se déroula tranquillement. Il y eut bien quelques samouraïs d’éliminés, mais tout se passa bien, chacun étant conscient des mutations à opérer. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les Japonais mirent à l’eau les plus imposants cuirassés jamais construits: le Yamato et le Musashi. Ils passèrent du Moyen-Âge à l’ère industrielle en 50 ans.

Pour un écologiste, une classe dirigeante a comme fonction fondamentale d’assurer la pérennité du peuple dont elle est issue, donc, d’un point de vue biosocial, d’optimiser la permanence des lignées constitutives des écosystèmes artificiels dont elle est partie. Confronté à une obligation socio-politique, chaque groupe social en possibilité de domination, porteur d’une vision spécifique, va alors intrusmentaliser l’opinion pour obtenir un soutien populaire. En effet, les individus issus de milieux populaires sont très conservateurs. Le suivisme est le fondement de la stabilité sociale, les forces dominant l’espace socio-politique sachant comme faire pour l’entretenir. Les études de Stanley Milgram évoquées dans le film I comme Icare ont démontré ce conservatisme inhérent à tout individu issu d’un milieu populaire dès lors qu’une autorité – qu’il reconnaît – s’impose à lui. Il peut aller jusqu’à la torture ou au meurtre si on lui en donne l’ordre, mais pas la responsabilité. Spontanément, 2/3 des gens obéiraient à une hiérarchie, à ce qui s’impose à eux comme une autorité. Dans le même esprit, l’émission Histoire parallèle de Marc Ferro sur les actualités de la s

Seconde Guerre Mondiale a montré de nombreuses images où les mêmes individus applaudissaient un jour la Wehrmacht et quelques semaines après l’armée soviétique. Donc le B.a.-ba d’une action offensive, avant la lutte politique ou armée, est de détruire cette autorité, puis d’en proposer une autre pour obtenir l’adhésion des « suiveurs » doutant de la pertinence du modèle politique attaqué de pérenniser leurs lignées. Lorsque les suiveurs ont faim, c’est plus facile.

Aujourd’hui, comme hier, deux courants animent l’espace politique de nos sociétés. Le premier porteur de la Modernité repose sur une perspective théo-téléologique dont la Bible est le fondement. Judaïsme, christianisme et islam sont animés par cette vision séculariée en libéralisme et socialisme. Le judaïsme mérite une attention particulière car il n’a jamais été, en tant que tel, associé à un substrat géographique, étant depuis 2000 ans animé par une conception diasporique de son identité. C’est la matrice fondamentale du mondialisme cosmopolite. Il anime les progressistes pour qui notre monde a une finalité dont l’Histoire rend compte du cheminement. Etc. Pour les autres, inspirés d’une vision… vitaliste, ce que l’évolution et l’histoire ont sélectionné est bon par nature, et ne doit être modifié que par les forces les ayant promus. Ce sont les conservateurs. Ce deuxième courant est aujourd’hui animé, initialement par le courant écologiste, puis plus récemment par le courant identitaire. Bon, là aussi, c’est très schématique ; on précisera plus tard. Force est d’admettre que c’est une des dialectiques fondamentales animant notre temps. En notant toutefois que les rapports de force étant ce qu’ils sont, les progressistes au pouvoir sont devenus conservateurs, alors que les écologistes, entre autres, par essence conservateurs, sont devenus progressistes, car ils appellent à une mutation profonde de nos pratiques sociales.

Force est d’admettre, toutefois, qu’avec l’invasion américaine de 1945, le jeu du pouvoir a été très largement modifié en Europe de l’Ouest, avec comme conséquence que les contre-pouvoirs envisagés comme fondements de l’équilibre des pouvoirs sont devenus le Pouvoir. La pyramide du pouvoir a été chamboulée. L’Etat, issu d’une conception féodale du pouvoir avec notamment l’exclusivité de l’usage de la violence (encore), apparaît de plus en plus comme le contre-pouvoir ultime.

Frédéric Villaret
7/03/2017

(à suivre)

Voir aussi :

L’Etat : l‘ultime contre-pouvoir ? (2/2)
https://www.polemia.com/letat-lultime-contre-pouvoir-22/

Correspondance Polémia – 14/03/2017

Image : Guerre de Cent ans

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