Bruno Mégret, ancien élève de l’Ecole Polytechnique
♦ Depuis 30 ans les « affaires » se succèdent.
Et à chaque « affaire » sa nouvelle loi de « moralisation ».
Avec pour seul résultat pratique de renforcer le pouvoir des juges et de fragiliser un peu plus les élus. Dans ce papier qui décoiffe, Bruno Mégret, aujourd’hui en marge de la vie politique, rappelle une vérité essentielle : la France n’a pas besoin de brevets de vertu pour la diriger mais d’hommes ou de femmes qui agissent.
A cet égard la polarisation de la campagne présidentielle sur le « Penelopegate » ou sur les emplois – tout sauf fictifs – de chef de cabinet ou de garde du corps de Marine Le Pen n’a qu’un but : enfumer les électeurs pour avantager le candidat des banques et des médias, Emmanuel Macron. Place au débat de fond.
Polémia.
Au-delà de ses conséquences pour l’avenir immédiat de la France, l’affaire Fillon est particulièrement révélatrice de la crise du politique que connaît notre pays. Une crise qui comporte de multiples facettes parmi lesquelles la corruption des responsables publics est indéniablement la plus mal supportée par les Français. Et chacun de considérer comme une évidence que le politique est détruit par la prévarication et que tout irait mieux si la probité régnait dans les rangs des élus.
Au risque de choquer, je dirais que c’est aujourd’hui l’exigence d’honnêteté et de transparence poussée à l’extrême qui détruit le politique. Car cette obsession de la pureté conduit à rendre les politiques toujours plus impuissants.
Elle a en effet comme conséquence première de subordonner encore davantage les politiques aux médias et aux juges, lesquels s’arrogent le pouvoir de discréditer du jour au lendemain n’importe quel politique tant il est facile de trouver un angle d’attaque pour lancer une campagne médiatico-judiciaire de mise en cause. Et naturellement, cette exigence de pureté réclamée par les journalistes et les magistrats s’applique de façon sélective selon l’orientation idéologique des victimes potentielles. Le fait que Fillon ait été élu à la primaire de son parti sur une ligne de droite dure n’est évidemment pas étranger aux foudres qui l’accablent. Ce n’est pas non plus un hasard si l’autre candidat à la présidentielle, actuellement dans le collimateur des juges, se nomme Marine Le Pen.
Cette obsession de la pureté conduit par ailleurs à un rejet du politique qui mène l’opinion à estimer que, moins les responsables publics auront de pouvoir, plus on limitera leurs turpitudes. D’où l’idée qu’il faut raccourcir la durée des mandats, empêcher leur cumul et surtout confier ce qui était autrefois de leur responsabilité à des magistrats, des commissions, des hautes autorités. On s’achemine ainsi vers une société où les hommes politiques, privés de toute prérogative, ne seraient plus que des pantins chargés de la figuration pendant que les médias et les juges tout-puissants fixeraient la politique à suivre et que les fonctionnaires la mettraient en œuvre.
Aussi, en ces temps de grande confusion, faut-il rétablir quelques principes fondamentaux. L’honnêteté est une qualité première qui fait la beauté morale des individus et qui s’impose à chacun de nous. Si donc elle doit être prise en compte pour apprécier la valeur intrinsèque d’un être humain, elle ne saurait en revanche constituer le premier critère pour juger un homme politique. L’essentiel pour un responsable public au plus haut niveau est en effet d’une autre nature. L’essentiel est qu’il ait du pouvoir pour proposer un projet et le mettre en œuvre concrètement. L’essentiel est qu’il ait la capacité d’agir sur le réel et de le transformer pour le bien commun.
La qualité principale d’un homme politique n’est donc pas l’honnêteté mais la puissance. Et si nos responsables politiques actuels sont condamnables, c’est précisément en raison de leur impuissance et donc de leur incapacité à résoudre les problèmes des Français tels que l’immigration, le chômage ou l’insécurité. Alors, si dans le même temps ils détournent des fonds publics à leur profit, c’est évidemment pire que tout. Mais s’ils devenaient d’une probité absolue tout en restant toujours aussi impuissants, ils ne seraient pas de meilleurs politiques pour autant. A la limite, mieux vaut un homme d’Etat qui se sert mais qui sert bien son pays, plutôt qu’un dirigeant qui ne se sert pas mais qui ne sert à rien. Certains pourront être choqués de la formule ; elle s’applique pourtant à de nombreux personnages illustres de notre histoire dont la France aurait pâti d’être privée, tels Mazarin et tant d’autres.
L’intégrité est une qualité morale primordiale, mais c’est au vu des services qu’il rend à la France qu’un responsable politique doit être jugé, car le politique n’est pas de l’ordre de la morale.
Bruno Mégret
28/02/2017
Correspondance Polémia – 28/02/2011
Image : Cénotaphe du cardinal Mazarin dans la chapelle du Collège des Quatre Nations, diplomate et homme politique au service des rois de France Louis XIII et Louis XIV.