Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia
♦ A Béziers des hommes et des femmes politiques, venus pour les uns des rives de Les Républicains (Jean-Frédéric Poisson, Jean-Pierre Lemoine, Jérome Rivière, Christian Vanneste), les autres des berges du Front national (Marion Maréchal-Le Pen, Louis Aliot, Karim Ouchikh), se sont croisés et rencontrés lors d’une manifestation publique.
Certes, une hirondelle ne fait pas le printemps. Et les esprits chagrins regretteront l’absence de Philippe de Villiers et de Nicolas Dupont-Aignan comme le départ précipité de Marion Maréchal-Le Pen.
Il n’empêche que cette rencontre par-delà les frontières de la diabolisation est une première dans le champ politique.
Victoire idéologique et « hégémonie culturelle »
La victoire idéologique, elle, est incontestable. Les pages « Débats et Analyses » du Monde, paru le samedi 29 mai 2016, le soulignait à leur manière. En page de droite, on s’interrogeait sur tous ces politiques qui, de Fabius à Macron, revendiquaient l’héritage de Jeanne d’Arc. Victoire incontestable des défilés du Front national organisés chaque année jusqu’en 2015. En page de gauche, Le Monde qualifiait l’opération Oz ta droite de Robert Ménard de « démarche d’hégémonie culturelle »
A leur manière tous les journalistes ont accepté cette victoire gramscienne parlant d’un rassemblement d’ « intellectuels de droite et d’extrême droite ». Le vocabulaire reste diabolisant, bien sûr. Mais alors que les intellectuels de gauche semblent passés à la trappe on note l’existence d’ « intellectuels de droite ». Et on ne parle plus des gros bras de « l’extrême droite » (qui au demeurant pourraient rester utiles…) mais de ses intellectuels. Désormais c’est officiel pour les médias bien-pensants : il y a des « Intellectuels d’extrême droite » ! Quelle reconnaissance, quand même !
Béziers capitale culturelle de la droite
Il faut dire que Robert Ménard avait réuni un sacré beau panel : Bilger, Goldnadel, Raufer, Thibault de Montbrial, Chollet, Dormann, Ludovine de la Rochère, Gabrielle Cluzel, Béatrice Bourges, de Benoist, Aude de Kerros, Le général Martinez, Beigbeder, Dassier, Gave, Geffroy, Bichot, Aude Mirkovic, Axel Rovkam, Hureaux, Chantal Delsol, Combaz, Tillinac, Oskar Freysinger, Juvin, Millière – des sensibilités différentes mais qui pour la première fois se retrouvaient à la même tribune comme ce fut le cas pour Renaud Camus et moi-même à la table ronde sur l’immigration où nous avons débattu avec Gourévitch, Rioufol et Federbusch.
Et le public a suivi : plus de 1000 livres et revues d’idées ont été achetés au cours de ces trois jours où Béziers a fait figure de capitale culturelle.
Un consensus identitaire et conservateur
La tonalité générale des tables rondes et les propositions adoptées le dimanche matin ont montré un assez large consensus identitaire et conservateur.
Oui, mille fois oui à la défense de l’identité nationale et de la civilisation européenne. Non, mille fois non à l’immigration et à l’islamisation, conduisant les participants au vote du dimanche à souhaiter l’interdiction du voile islamique dans l’espace public.
Oui, mille fois oui à la défense des valeurs traditionnelles, de la liberté de l’école et de la famille. Non, mille fois non à la loi Taubira et à ses dérives, ainsi qu’aux dévoiements de l’Education nationale que bien peu d’esprits informés jugent encore sauvable.
Bref, un socle de convictions identitaires et de valeurs conservatrices fortement affirmées à l’image d’ailleurs de ce qui a fait le succès des populistes autrichiens, ou, de l’autre côté de l’Atlantique, celui de Trump.
En revanche, si tous les participants étaient attachés aux libertés économiques et à la souveraineté, il a été plus difficile de dégager un consensus en matière économique, en tout cas pas sur la sortie de l’euro.
Faire entrer les partis dans leur époque
Pour 2017 en tout cas, les débouchés politiques des Journées de Béziers ne doivent pas être cherchés du côté d’on ne sait quel homme (ou femme) politique providentiel. Pas davantage du côté d’un nouvel appareil partisan. En revanche, Béziers devrait servir à aider les partis politiques à mieux comprendre leur époque.
Historiquement le cycle de Mai-1968 touche à sa fin : les déconstructionnistes ont fait leur temps. Le cycle des Lumières montre aussi des signes d’épuisement et l’idéologie individualiste des droits de l’homme marque le pas. Les partis politiques doivent tenir compte de ces tendances et s’affranchir des logiques antérieures. Les mantras « républicains », indéfiniment répétés, ne peuvent plus servir à suppléer l’absence de pensée.
Culturellement le modèle jacobin des partis est percuté de plein fouet par l’efflorescence des réseaux. Que pèsent encore des notes technocratiques ou les « éléments de langage » des bureaucrates d’état-major quand chacun peut faire son marché intellectuel sur les médias alternatifs et les réseaux sociaux ? A cet égard la démarche de Ménard est singulièrement plus dans son temps que certains réflexes paléo-jacobins du Front national.
Plus globalement les partis ont pris l’habitude paresseuse de se soumettre peu ou prou à la doxa médiatique : très largement pour les dirigeants de Les Républicains ; un peu moins pour ceux du Front national. Il est important qu’à côté de ces pressions qui viennent du haut, de la classe médiatique, les partis prennent davantage en compte un autre monde : celui des intellectuels, celui des médias alternatifs et des réseaux, celui de l’opinion de base. Tout ce qui a fait le succès des journées de Béziers.
Jean-Yves Le Gallou
01/06/2016
Précisions sur le « flop d’extrême droite »
Dans un tweet d’une rare inconséquence Florian Philippot a qualifié les Journées de Béziers de « flop d’extrême droite ».
Il est stupide pour un dirigeant du Front national de reprendre à son compte la rhétorique d’intimidation de ses adversaires. En agissant ainsi il la légitime et la renforce. On ne se dédiabolise pas en diabolisant son voisin… qu’on a souvent contribué à diaboliser soi-même d’ailleurs. Ainsi à la table ronde sur l’immigration mon voisin Jean-Paul Gourévitch a été qualifié d’extrême droite par l’AFP et les médias au motif qu’il avait été cité par… Marine Le Pen ! Cela autorise-t-il pour autant Philippot à l’amalgamer à l’extrême droite ?
Quant au « flop », difficile de retenir une telle expression pour parler d’une réunion qui a réuni 1800 personnes. Le chiffre est facile à vérifier : le samedi, 1000 personnes débattaient de l’immigration dans le grand amphithéâtre (photo) pendant qu’un autre petit millier était réparti dans quatre autres salles de Béziers. Ce qui a permis à Robert Ménard de souligner qu’il y avait plus de monde à Béziers pour les coûteuses journées d’Oz ta droite que pour le banquet de Jeanne Arc du Front national pourtant largement subventionné (15€ le repas, autocars gratuits ou quasi gratuits).
Au-delà de cette polémique dérisoire la méthode participative utilisée, consistant à donner la parole à la salle, fut aussi un élément du succès montrant une droite décomplexée s’affranchissant des bornes du politiquement correct.
Image : Robert Ménard et ses 51 marqueurs
Polémia – 1/06/2016
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